Entretien : Keira Knightley raconte la vie de l’intrépide et inspirante Colette

Entretien : Keira Knightley raconte la vie de l’intrépide et inspirante Colette

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( © Mars )

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Par Lucille Bion

Publié le

À l’occasion de la sortie de l’audacieux Colette, nous avons rencontré Keira Knightley, éblouissante dans le rôle-titre, et son réalisateur, Wash Westmoreland. Le duo raconte pourquoi il était nécessaire de ressusciter l’écrivaine à l’écran.

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La performance de Keira Knightley dans Colette nous ferait presque oublier ses rôles phares dans Pirates des Caraïbes ou ses rom-coms guilty pleasure. Dans ses costumes du siècle dernier, l’actrice incarne ici la défunte figure féministe, née à la campagne en 1873, sobrement surnommée Colette.

Son histoire est aujourd’hui racontée par Wash Westmoreland, partenaire de travail comme de vie du regretté Richard Glatzer, avec qui il a entre autres réalisé le fameux Still Alice. Derrière ce projet se cache d’ailleurs un douloureux chapitre de leur histoire d’amour : le duo travaillait depuis des années sur le film avant d’être interrompus par un évènement tragique. Ensemble, ils épluchaient les livres de l’intrépide romancière et écrivaient les prémices du scénario jusqu’à ce que Richard Glatzer ne succombe de sa maladie neurodégénérative, la maladie de Charcot, en 2015.

Wash Westmoreland a finalement trouvé la force de poursuivre leur entreprise. En résulte un biopic réussi, couvrant une période charnière de la vie de Colette : celle de son émancipation. Retour sur la vie mouvementée d’une écrivaine mystérieuse.

Écrivaine de l’ombre

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Sido, Claudine à l’école, Claudine à Paris, La Vagabonde… Si certaines des œuvres de Colette sont étudiées dans les classes de littérature, ces dernières ne reflètent en aucun cas la vie palpitante de l’autrice, sur laquelle plusieurs cinéastes sont déjà revenus. Avec son récit engagé sur l’écrivaine du XIXe siècle, Wash Westmoreland vient ajouter sa pierre à l’édifice et résonne avec notre époque post #MeToo.

Romancière, mime, actrice, journaliste, présidente de l’Académie Goncourt entre 1949 et 1954 mais aussi féministe, Colette était une artiste complète et une icône, comme l’explique le cinéaste :

“C’est intéressant car Colette est connue pour écrire sur la nature dans sa grande maison. Mais elle a eu une jeunesse scandaleuse. Sur scène, elle a montré un de ses seins en arrachant sa tunique, par exemple… Elle a vécu de manière grandiose et osée !

C’est pour ça que j’ai fait ce film. Parce qu’en plus d’être la célèbre écrivaine, Colette, c’était aussi une façon de penser et d’agir. Je ne pense pas qu’un autre écrivain ait eu une vie aussi palpitante. Je pense vraiment qu’elle vivait de manière spectaculaire.

Happé par le rythme de vie mouvementé de la jeune femme, Wash Westmoreland avoue avoir immédiatement pensé à Keira Knightley pour incarner Colette. De l’autre bout du monde, il l’a contactée pour lui proposer le rôle :

“La première fois que l’on s’est rencontré, c’était via FaceTime car j’étais au Shanghai Film Festival. Je me souviens que je n’avais plus que genre 10 % de batterie sur mon téléphone, donc je parlais super vite. Quand j’ai vu que je n’avais plus que 2 %, je lui ai dit : “Il n’y aura personne de mieux que toi pour jouer ce rôle, donc dis oui, s’il te plaît !” Elle a répondu : “OK, faisons-le !” Et mon téléphone s’est éteint. (Rires) On est ensuite devenu amis. Elle comprenait très vite. C’était incroyable de travailler avec Keira.”

Depuis quelques années, Keira Knightley s’est illustrée par des propos féministes et elle apparaît désormais dans la presse comme une femme forte et inspirante. L’égérie de Chanel, nommée aux Oscars pour Imitation Game, semble avoir tout de suite trouvé ses marques dans le personnage rebelle de Colette :

“Ce que j’aime chez Colette, c’est qu’elle a tout fait. Colette se faisait plaisir, elle explorait son identité, sa sexualité, sa créativité… Elle n’était pas effrayée d’essayer. C’est ce que je trouve inspirant chez elle.”

Pour se glisser dans la peau du personnage, l’actrice a dévoré les Claudine et La Vagabonde ainsi qu’une biographie intitulée Secrets de la chair : Une vie de Colette de Judith Thurman. Avant de tourner dans le biopic, elle n’avait lu que Chéri, il y a des années, qu’elle “avait adoré”.

La féministe

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Mais le film ne s’arrête pas à l’aspect littéraire de la vie de Colette, et ne se contente pas d’illustrer de manière académique le début de sa vie jusqu’à sa mort. Colette à 19 ans lorsqu’on la voit apparaître à l’écran. Elle se fait courtiser par Henry Gauthier-Villars aka Willy, un célèbre écrivain qui emploie des prête-plumes. Très vite, ils se marient et partagent leur amour pour l’écriture. Colette devient son prête-plume et permettra à son couple, alors dans le besoin, de toucher de l’argent. Mais lorsque la jeune femme, tapie dans l’ombre, découvre que son mari la trompe, elle décide de prendre son envol et déterminée, elle se fait un nom dans les maisons d’édition et les salons mondains parisiens.

Le cinéaste a donc reconstitué son parcours à une époque charnière, celle de son émancipation, comme il l’explique :

“Il y a beaucoup de films et de séries sur Colette, en même temps, elle a pleinement vécu, il y a des choses à raconter. Mais cette histoire est particulièrement pertinente parce qu’elle devient un écrivain. C’est aussi un film sur la manière dont elle vit son mariage avec quelqu’un qui aime contrôler les choses, elle écrit des livres et il prend les crédits, par exemple. C’est un homme avec un ego énorme et qui se prétend artiste… C’est intéressant de la voir graviter autour de cela.

Femme forte et avant-gardiste, Colette a peut-être marqué le siècle dernier avec ses comportements jugés scandaleux, mais si elle vivait de nos jours, elle serait louée pour son attitude féministe. La femme de lettres intrépide savait exactement ce qu’elle voulait et est ainsi parvenue à s’imposer dans un monde patriarcal en refusant d’obéir aux règles imposées aux femmes, comme le souligne Keira Knightley :

” Je ne pense pas qu’elle se serait qualifiée de féministe, je ne pense pas qu’elle aimait l’idée de collectif. Je pense que c’est une individualiste, qu’elle se battait pour elle-même. Pour vivre la vie qu’elle voulait vivre. Je ne pense pas nécessairement qu’elle pensait que les gens auraient dû vivre la vie qu’elle menait.

L’histoire de sa vie, en tant que féministe aujourd’hui, je la trouve très inspirante parce que ce qu’elle fait, en se créant de l’espace pour elle-même dans un monde qui ne lui laisse pas d’espace, en s’imposant avec un discours que les autres ne veulent pas entendre, avec une vie que les autres ne veulent pas mener.”

Sa vie avec les femmes

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Avec beaucoup de justesse, Wash Westmoreland, qui fait partie de la communauté LGBT+, insiste également sur le fait que Colette était bisexuelle. Dans le film, elle partage sa vie avec Willy qui est dépeint comme son premier véritable amour, mais elle évoquera tout au long de sa vie ses passions avec d’autres femmes. On reconnaît, par exemple, l’impact de la marquise de Belbeuf, aka Missy dans le film, qui lui fait découvrir à travers la séduction la scène, le théâtre et la danse.

Leur relation est devenue célèbre par le scandale qui s’est produit au Moulin Rouge, en 1907, dans la pantomime Rêve d’Égypte. Comme dans la Belle au Bois dormant, Missy incarne un égyptologue qui réveille une momie, jouée par Colette, en lui donnant un baiser. Les spectateurs s’indignent et leur jettent des objets, jusqu’à ce que la police n’intervienne. Plus tard, elle remontera sur les planches et dénudera un de ses seins lors de la représentation de La Chair. Ce geste jugé choquant et impudique participera à écrire la légende de cette romancière trop curieuse pour rester sagement derrière son bureau avec sa plume.

Fascinée par sa détermination, Keira Knightley ajoute :

“C’est justement ce que j’aimais avec le scénario : que ça parle des genres, de sexualité, de féminisme, de quelqu’un qui transgresse les règles, qui vit sa vie de la manière dont elle veut. Je pense que c’est une pionnière. Je ne pense pas qu’elle le fait sans peur mais qu’elle est très courageuse car elle maîtrise sa peur pour arriver à faire ce qu’elle veut. Si ça, ce n’est pas inspirant…”

Colette raconte finalement l’histoire d’une artiste qui n’a jamais voulu changer le monde mais qui aurait pu devenir une porte-parole de notre époque puisqu’elle explore l’identité et la sexualité avec assurance.