La victoire de deux hôtesses de l’air russes contre la “politique d’image” sexiste de leur compagnie

La victoire de deux hôtesses de l’air russes contre la “politique d’image” sexiste de leur compagnie

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Par Mélissa Perraudeau

Publié le

Discriminées par leur compagnie aérienne qui les jugeait trop vieilles, trop grosses et trop moches, deux hôtesses de l’air russes sont montées au créneau.

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Ça semble surréaliste, et pourtant : pendant l’été 2016, soi-disant pour un changement d’uniforme, les hôtesses de l’air de la compagnie aérienne russe la plus importante du pays, Aeroflot, ont été mesurées, photographiées et même, pour certaines, pesées. 600 collaboratrices dont la taille dépasse le 42 (taille européenne), ont plus de 40 ans et un physique jugé inesthétique ont ensuite été “classées” dans des listes confidentielles, baptisées en russe “VGM”, l’abréviation de “Vieilles, Grosses, Moches”. Ce sont deux de ces femmes stigmatisées et jugées trop vieilles, trop grosses et trop moches, Irina Ierusalimskaya et Evgenia Magurina, qui ont rapporté les faits à l’association russe Projet W (“Réseau d’entraide pour les femmes”) lors d’une interview, avant que la section Terriennes de TV5 Monde ne se saisisse à son tour du sujet.

Baisses de salaires et attribution des vols les plus difficiles

Les militantes du Projet W rapportent des mentions ajoutées à la main à ces listes, qui ont donc fini par fuiter, comme un visage disgracieux, un poids ou un maquillage non conforme. Les employées inscrites comme ne correspondant pas aux critères de beauté ont ensuite été discriminées, comme Irina Ierusalimskaya (qui a 26 années d’expérience) l’a raconté :

“Depuis 2009, la taille de mes vêtements n’a pas bougé, et cela n’a jamais influencé quoi que ce soit. Puis tout à coup, le 7 novembre 2016, la responsable du département me signale qu’un supplément au taux de cotisation personnelle, et c’est l’une des composantes du salaire, sera déduit de mon revenu parce que je ne satisfais pas aux exigences requises pour les membres des équipages de cabine.”

Une diminution de leur rémunération et une précarisation de leurs conditions de travail ont également été opérées : les femmes listées ont été mises en priorité sur des vols domestiques, des trajets courts ne leur permettant que difficilement d’atteindre les 600 heures nécessaires pour obtenir un salaire correct. Et ces vols internes, souvent la nuit et tôt le matin, ont eu des conséquences sur leur santé et leurs vies privées.

Une victoire partielle mais importante

Une situation inique contre laquelle Irina Ierusalimskaya et Evgenia Magurina se sont mobilisées, écrivant, sans succès, aux pouvoirs publics et à Vladimir Poutine. La protestation leur a même valu des humiliations publiques et au travail, mais cela ne les a pas empêchées de porter plainte contre Aeroflot, avant d’être déboutées en première instance en avril 2017. Avant de remonter au créneau et de faire appel, soutenues sur les réseaux sociaux et via une pétition qui a été signée par plus de 50 000 personnes. Leur persévérance a finalement payé : le 6 septembre 2017, les exigences de taille de la compagnie ont été jugées illégales. Elles ne pourront plus être appliquées au sein d’Aeroflot, qui devra dédommager les deux plaignantes pour préjudice moral (environ 73 euros), et compenser la perte de salaires qui leur a été infligée.

La victoire n’est toutefois pas complète, puisque le tribunal municipal de Moscou n’a pas reconnu l’existence d’une discrimination… La compagnie a avancé que les normes physiques étaient nécessaires pour notamment ne pas gêner le passage, et Irina Ierusalimskaya remarque à ce sujet que “les hommes qui portent du 54 (48 en taille européenne) ne gênent pas le passage, eux : est-ce qu’il y a deux passages dans l’avion, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes ?” Les hôtesses de l’air et le syndicat ont dénoncé une nouvelle “politique d’image” d’Aeroflot, dont le directeur général, Vitaly Savelyev, a déjà notamment voulu forcer les hôtesses de l’air à toutes être blondes. Toujours comme Terriennes le rapporte, ce même directeur s’est également vanté lors d’une interview : “J’ai demandé de ne plus produire d’uniformes de taille supérieure à 48 (42 en taille européenne) : résultat, plusieurs employées ont perdu du poids.”

Un bel exemple de lutte contre un sexisme décomplexé systémique

Et ce sexisme décomplexé ne fait malheureusement pas figure d’exception : le site souligne la discrimination sexiste systémique de la société russe, et pointe des politiques similaires chez d’autres compagnies. Comme Qatar Airways, dont les hôtesses de l’air, toutes jeunes, n’ont acquis le droit de tomber enceintes et de se marier qu’en 2015. Contrôler leur poids ne se fait pas non plus que chez Aeroflot : Air India, Thai Airways ou encore Malaysia Airlines ont eu la même idée. Ajoutons que du côté de la British Airways, les hôtesses engagées après 2012 n’ont obtenu le droit de porter un pantalon qu’en 2016, après deux ans de conflit. Ou encore qu’une publicité de Ryanair avait dû être interdite pour son sexisme en 2012.

Il faut dire que le stéréotype sexiste de l’hôtesse de l’air jeune, mince, blanche et correspondant aux critères esthétiques de la société a défini le métier dès ses débuts en 1930, comme Le Monde le rappelait en 2015. Les hôtesses de l’air étaient ainsi un argument de vente pour Air France, dont le communiqué annonçait en 1955 qu’avec elle s, “La France montrera son ‘beau visage’ à ses passagers”. Justifier les restrictions des mensurations des recrues reposait déjà également sur des soi-disant “raisons techniques”.

Dans ce contexte, la victoire d’Irina Ierusalimskaya et Evgenia Magurina reste importante et symbolique : les militantes de Projet W ont loué “un signal pour la société qu’une femme n’est pas un bonbon dans un joli emballage, mais qu’elle est égale à l’homme”.