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On a discuté coming out avec Le Refuge, l’asso qui offre un toit aux LGBT+

On a discuté coming out avec Le Refuge, l’asso qui offre un toit aux LGBT+

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© KMBO

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Par Lucille Bion

Publié le

Acceptation de soi, homophobie, harcèlement... Frédéric Gal nous parle de son combat à l'occasion de la sortie de Coming Out.

Le Refuge œuvre pour les victimes d’homophobie en proposant un toit aux jeunes LGBT+ rejetés par leurs proches. Un hébergement présent dans 19 villes, pour soutenir, accompagner et sensibiliser les jeunes en rupture familiale.

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Soucieuse d’aider ses bénéficiaires en détresse à se reconstruire, l’association n’hésite pas à prendre la parole dans les médias. À l’occasion de la sortie de Coming Out, le documentaire d’utilité publique de Denis Parrot compilant des vidéos de jeunes homosexuels, bisexuels et trans qui se filment en faisant leur coming out devant leurs proches, ou par téléphone, nous avons discuté avec le directeur général du Refuge, Frédéric Gal.

Militant et spécialiste du mal-être des jeunes homosexuels, il nous transmet une parole positive tout en expliquant l’importance du coming out, et ce que ça implique. Entre affirmation de soi, homophobie et libération de la parole, Frédéric Gal met des mots sur les images bouleversantes de Denis Parrot.

Konbini | Avec Internet, est-ce plus facile de faire son coming out qu’avant ?

Frédéric Gal | Je ne dirais pas que c’est plus facile, je dirais que c’est plus envisageable. L’aspect anonyme d’Internet permet de se libérer plus facilement qu’auparavant, et la circulation des informations permet à un moment de se sentir libre de le faire. À l’inverse, à cause de cette même circulation importante des informations et de sa rapidité, le harcèlement se poursuit une fois rentré à la maison, et tout le monde peut le voir, ce qui est compliqué.

Justement, que pensez-vous du rapport des jeunes à Internet ?

C’est un rapport double : à la fois primordial pour lutter contre l’isolement, favoriser la rencontre de l’autre, l’accès au savoir et en même temps il mène à une hyperconnexion, au “toujours plus” et à une surexposition. Cette surexposition est le danger principal, elle peut quelquefois être dangereuse et conduire à un oubli de sa propre identité, de sa pudeur, etc.

Dans le documentaire, on aperçoit des jeunes pour qui le coming out se passe bien. Pour d’autres, ça se termine en drame. Lorsque des jeunes LGBT+ viennent trouver refuge chez vous, s’agit-il plutôt d’un rejet de la part de la famille qui leur demande de quitter le domicile ou de jeunes qui décident de partir parce qu’ils subissent l’humiliation chez eux ?

Les jeunes qui viennent voir Le Refuge nous racontent leurs parcours, souvent empreints d’une grande violence. Cela va de l’ultimatum forçant à quitter la maison familiale sous deux semaines, à l’obligation de devoir trouver une solution d’hébergement dans l’heure.

Il y a aussi ceux qui partent avant d’être mis à la rue. En effet, certaines familles, sous couvert d’une acceptation officielle, ne peuvent pas se résoudre à constater quotidiennement l’homosexualité de leur enfant. Il n’est donc pas possible d’en parler, de faire venir son ou sa petit(e) amie(e) à la maison, de le présenter aux proches, etc.

Cela revient à nier de manière encore plus hypocrite la vie sentimentale de son enfant. S’épanouir et vivre normalement n’est dès lors plus possible, et la fuite semble être la seule solution. Et puis il y a bien sûr la mise à la rue directe !

Que dire aux jeunes qui redoutent une réaction négative ?

L’important c’est d’apporter à ces jeunes une écoute déculpabilisante et dénuée de jugement.

Vous souvenez-vous du premier jeune que vous avez accueilli ?

Pas forcément du premier jeune, mais je me souviens d’un jeune hébergé de 19 ans qui nous racontait que lorsque sa famille, de culture haïtienne, avait appris qu’il était gay, ses parents l’avaient emmené chez un prêtre vaudou pour qu’il soit exorcisé en égorgeant un poulet au-dessus de sa tête ! Ces histoires paraissent quelquefois surréalistes au 21e siècle, et pourtant…

(© KMBO)

Dans le documentaire, nous voyons effectivement que les jeunes viennent des quatre coins du monde. Avez-vous affaire à des étrangers ?

30 % des jeunes hébergés sont d’origine étrangère : Mali, Maroc, Guinée, avec un dénominateur commun : le rejet lié à l’homosexualité.

Le sentiment d’inadéquation personnelle ou sociale et la difficulté de s’accepter comme étant d’orientation homosexuelle, bisexuelle ou transgenre contribuent aussi à ce qu’un jeune entretienne une faible estime de lui-même. Tout cela entraîne un repli sur soi et un sentiment de solitude.

Cette très faible estime de soi est due à l’image négative de l’homosexualité, aux rejets vécus, à la dépréciation quotidienne et aux difficultés de socialisation avec les autres jeunes, et avec l’entourage en général. On remarque trois “étages” de difficultés :

– Une absence d’appartenance au groupe hétéronormatif (une fille avec un garçon et un garçon avec une fille), ce qui va l’exclure de la société dans laquelle il est ou dans laquelle il évolue.

– Ensuite, l’absence de soutien de la part de la famille au moment où elle doit jouer son rôle essentiel de cocon protecteur et être un guide pour l’enfant, et par ricochet l’exclusion de celle-ci.

– Enfin, la rupture avec le pays d’origine, avec ses références intrinsèques (culturelles, religieuses…) et tous les repères qui y sont attachés : les jeunes ont souvent le sentiment de devoir repartir de zéro.

Ils doivent donc se placer dans une phase de reconstruction identitaire sur trois niveaux : culturel, sexuel, mais aussi quelquefois de genre, avec ce qui est attendu de chaque sexe/genre.

Discernez-vous des profils de jeunes rejetés par un milieu social spécifique ?

Il n’y a pas de catégories socioprofessionnelles qui soient plus impactées que d’autres. L’homophobie est présente dans toutes les sphères de la société, quels que soient la richesse, le niveau d’éducation, la culture, etc. La seule différence réside dans sa manifestation : plus feutrée dans les milieux plus aisés, plus directe et violente dans les milieux fortement marqués par la religion.

Ce qui ne signifie pas qu’étant plus “feutrée”, elle n’en demeure pas moins terrible. Elle est sournoise et insidieuse, virant (et ce, dans tous les cas de figure) au harcèlement pur et simple.

Question simple et frontale : pourquoi est-il important de faire son coming out ?

Parce que c’est important d’être soi-même ! Toutefois, il faut bien penser à cette démarche qui n’est pas anodine. Elle ne doit pas être faite en y étant “forcé” (par les amis, la culture, la “mode”) mais doit être réellement pensée, réfléchie, mûrie. C’est une décision qui vient de soi, non des autres. Elle est souvent libératrice, mais il faut aussi en prendre toute la mesure.

Finalement, quel est le meilleur enseignement à tirer du documentaire de Denis Parrot ?

Qu’il faut surtout en parler ! Que tous les parents ne sont pas non plus des êtres qui ne comprennent pas : le chemin est aussi difficile de leur côté. Apprendre l’homosexualité de son enfant n’est pas chose aisée, lorsqu’on est inséré dans la société avec ses codes, ses rituels, et que le tout est fortement hétéronormé !

C’est déjà compliqué pour un jeune de se dire ou de se définir comme “différent” comparé aux autres camarades, mais quand il faut l’annoncer aux parents… Il faut garder en tête que le jeune a eu pas mal d’années pour comprendre sa situation, mais ce n’est pas le cas de ses parents. Il est relativement compréhensible que ceux-ci, qui n’ont bien souvent eu qu’un seul modèle auquel se référer, se retrouvent perdus.

C’est d’autant plus important de susciter le dialogue avec son enfant que cela permet de comprendre des étapes essentielles : il ne s’agit pas d’un choix de sa part, ça se vit très bien et il n’y a surtout pas de responsabilité de part et d’autre ! De plus, des associations existent pour accompagner ces parents en questionnement, leur prodiguer des conseils ou tout simplement leur permettre de discuter des expériences de chacun.

Coming Out sort en salles le 1er mai.