À la recherche des inconnus d’Istanbul : leur mystérieuse vie de famille (2/3)

À la recherche des inconnus d’Istanbul : leur mystérieuse vie de famille (2/3)

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Par Clarisse Gorokhoff

Publié le

Episode précédent : “La découverte des photos”

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Ces 31 clichés mettent en scène des moments aussi anodins (le bain des gamins, un repas de famille) que bouleversants (la naissance d’un enfant, un périple au Maroc). Ils sont tirés sur papier, chose que personne ou presque ne fait plus aujourd’hui. La majorité comporte à leur dos une date inscrite… en français ! L’une de mes intuitions se révèle donc fondée : il s’agit bien, a priori, d’une famille française.
Ces photographies vont de 1996 à 2003 et mettent en scène divers lieux comme la place Jemaa el-Fna de Marrakech ou encore ce qui ressemble à certains coins de province, mais aucune d’elles n’évoque la Turquie. Alors, qu’est-ce qui a bien pu amener les souvenirs intimes de cette petite famille à venir s’échouer à Istanbul, dans cette échoppe poussiéreuse ? C’est la principale question que je me pose. Mais je devine déjà qu’elle est loin de ne contenir qu’une seule et éclatante réponse…

Révéler des moments que rien ne protège de l’oubli

Une intimité qui n’avait pas vocation à être exposée

En les regardant attentivement, il est évident qu’il s’agit là d’instants très privés, d’une intimité qui n’avait pas vocation à être exposée. De par leur nature argentique, ces photos n’ont eu qu’une seule chance d’être “réussies” et en cela, bien souvent, ne le sont pas – du moins selon les critères actuels des clichés qu’on livre, aussitôt pris, au jugement arbitraire des réseaux sociaux. La plupart d’entre elles ont un cadrage bancal, des poses incertaines et des sourires fugaces, qui tiennent mal en place face au flash crépitant.
Elles n’ont rien à voir avec les images apprêtées auxquelles notre regard est quotidiennement soumis. Au contraire, elles irradient une spontanéité que l’on n’a plus l’habitude de rencontrer… Par leur maladresse touchante et leur radicale matérialité, elles sont l’exact opposé de ce flot de clichés virtuels et calculés, mis en scène et retouchés que l’on voit et alimente tous les jours sur Facebook, Instagram, Snapchat.
Comment des photos, que l’on prend pour créer à la fois du lien entre des êtres et du sens dans la fixité d’un instant, peuvent-elles atterrir en vrac dans l’épaisse indifférence d’une boîte, soumises aux regards de badauds inconnus ? Y a-t-il eu un désaccord, une violente dispute, une rupture irréversible ? S’est-il produit un drame, une catastrophe ?

L’ébauche d’une réponse

Non ! Leur vie ne me regarde en rien

C’est à ce moment précis que, dans ma tête, l’enquête s’arrête net. Trop de questions, trop de pistes azimutées et puis surtout… bien trop d’indiscrétion – et sans doute un brin d’absurdité. Ces individus sont certainement encore vivants, leur vie a peut-être considérablement changé depuis l’époque où ces photos ont été prises. La famille a peut-être même éclaté.
Je ne les connais ni d’Ève ni d’Adam, ni d’Instagram ni de Facebook. Par conséquent, leur vie ne me regarde en rien. D’autant que j’ai toujours eu horreur des petites fouineuses à la Amélie Poulain qui ne peuvent pas s’empêcher d’aller mettre leur grain de sel dans la vie des autres.
Et même s’il y a quelque chose de troublant et touchant dans les coulisses de la vie des gens – même celles de parfaits inconnus –, il faut sans doute se retenir de spéculer, de se raconter des histoires inouïes à leur sujet. Car ils le font mieux que quiconque, aujourd’hui, sur les réseaux sociaux.
À suivre. Troisième et dernier épisode le 15 avril sur Konbini.