Mark Zuckerberg vous présente Jarvis, son IA personnelle (et elle est décevante)

Mark Zuckerberg vous présente Jarvis, son IA personnelle (et elle est décevante)

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Par Thibault Prévost

Publié le

Jarvis, l’assistant virtuel que le fondateur de Facebook a passé l’année à développer en solo, est un exemple criant… des limites de l’intelligence artificielle.

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Il y a tout juste un an, Mark Zuckerberg nous annonçait qu’il se lançait, seul, dans une quête solitaire en forme de hobby du dimanche : la construction, à partir de rien, d’une intelligence artificielle (IA) capable de contrôler tous les objets de sa maison connectée et lui servir d’assistant personnel au quotidien. Un bébé rapidement baptisé Jarvis, en hommage à l’IA d’Iron Man, et doté de la voix de Morgan Freeman – oui, tout s’achète, même la voix de Dieu. Avec les ressources illimitées du bonhomme et son talent génial pour le codage, on se disait que le fondateur de Facebook allait bien réussir à nous pondre la première IA domotique entièrement autonome, qu’elle soit commercialisable ou non. Le 19 décembre, la quête de Mark Zuckerberg a touché à sa fin, et le milliardaire a donc dévoilé sa smart home aux yeux du monde. Les résultats sont… mitigés.

Côté satisfaction, le deux ex machina codé par Zuckerberg est bel et bien vivant. Et ça, pour un homme seul qui y a consacré “environ 100 heures” dans l’année, le dimanche, tout en s’occupant d’une des plus grosses multinationales de la planète, ça reste une performance ahurissante. Chapeau bas, donc. Car dans la vidéo de démo postée par le milliardaire pour Fast Company, qui a pu le tester, Jarvis se dévoile comme un petit bijou de technologie qui, en combinant machine learning, bots de conversion Messenger, reconnaissance vocale et faciale et traitement du langage naturel, parvient un faire un tas de trucs. Identification des visiteurs, activation des différents objets connectés de la maison, assistant vocal perpétuel pour organiser son agenda, sélection musicale, gestion de la température… Jarvis semble réellement faciliter la vie du milliardaire et de sa petite famille. Mais en même temps, tout paraît plus cool avec la voix de Morgan Freeman et un canon à T-shirts propres. Le problème, c’est que la vidéo promotionnelle de Mark Zuckerberg est un joli trompe-l’œil.

L’apprentissage autonome, le mur de l’IA

Car si Jarvis, vu de loin, a l’air réellement cool, il ressemble plutôt à un exemple criant des imites de l’IA domotique. D’ailleurs, Mark Zuckerberg le concède lui-même dans un long post en forme de bilan, qui décrit avec honnêteté les difficultés rencontrées durant la conception de Jarvis. La différence est même pour ainsi dire troublante entre le Zuckerberg de la vidéo, tout en sourires figés et démarche gauche, tentant exagérément de nous montrer à quel point son IA est géniale, et le Zuckerberg qui écrit ceci:

“J’ai aujourd’hui un système assez performant qui me comprend et peut faire pas mal de choses. mais même si je passais 1 000 heures supplémentaires dessus, je ne serais probablement pas capable de construire un système capable d’apprendre tout seul des techniques entièrement nouvelles – à moins que je ne fasse une découverte fondamentale sur l’IA entre-temps.”

Le voilà, le premier mur auquel s’est heurté Mark Zuckerberg, aussi doué soit-il. Toutes les IA développées aujourd’hui  dans le monde reposent sur le même principe d’apprentissage : l’identification de motifs et leur répétition. Ce procédé, le machine learning, produit des résultats rapides et impressionnants, mais touche aujourd’hui à ses limites. Car un authentique Jarvis, ou une IA à la Her, ne doit pas se contenter de reconnaître des sons, images ou mots déjà identifiés, il doit être capable de comprendre des concepts inédits du premier coup, notamment grâce à l’analyse du langage naturel, qui prend en compte le contexte de chaque phrase. Demandez aux développeurs de Siri, de Cortana ou d’Alexa ce qu’ils en pensent… Sans trop le vouloir, Mark Zuckerberg a donc rencontré le mur le plus épais qui sépare l’homme de la véritable intelligence artificielle : la capacité d’apprendre. Pour le moment, dans son architecture, Jarvis est une sorte de super-Amazon Echo, rien de plus. Et pour franchir ce mur, il faut repenser toute la structure d’apprentissage.

Aucun standard pour les objets connectés

Le seconde difficulté majeure à laquelle Mark Zuckerberg a été confronté tient, et c’est surprenant, à l’incompatibilité des appareils connectés entre eux. Si de nombreux constructeurs fabriquent aujourd’hui des objets connectés à la pelle et que l’Internet des objets est probablement la prochaine révolution technologique, personne n’a encore réfléchi à développer un langage standard pour programmer ces appareils. Résultat : lorsque Zuckerberg a tenté de relier Jarvis à son grille-pain, son frigo, ses enceintes ou son système de smart home, il a réalisé que chacun des objets parlaient des langages de programmation différents. Seule solution : faire de la rétro-ingénierie, en traduisant tous les logiciels en un langage unique, et ce avant même de bâtir Jarvis. Finalement, l’étape la plus fastidieuse du projet fut celle qu’il n’avait même pas envisagée au départ. Pour Mark Zuckerberg, il est désormais urgent que l’industrie des objets connectés se dote de standards de programmation, sans quoi le développement d’IA domotiques comme Jarvis restera difficile.

Comme le conclut Mark Zuckerberg, le développement de Jarvis aura été “un challenge intellectuel intéressant” qui, s’il n’a pas abouti à une IA domotique parfaitement fonctionnelle, aura au moins eu le mérite de révéler deux limites actuelles au développement des smart homes, tant sur le plan de l’IA que des objets connectés. Un monde à la Iron Man n’est pas pour demain, mais au vu de ce que Mark Zuckerberg a réussi à produire seul, il s’en tient à ses estimations en assurant que ce monde existera “dans cinq à dix ans”. Et si les IA d’aujourd’hui peuvent “conduire des voitures autonomes, guérir des maladies ou découvrir des planètes”, le problème de l’apprentissage total reste inchangé. Tant que personne n’aura trouvé un moyen de franchir cet obstacle, les maisons “intelligentes” resteront de simples surdoués à la mémoire prodigieuse, incapable de prendre une décision hors de leurs compétences ou de s’adapter à une situation nouvelle. Jarvis est donc, involontairement, l’illustration parfaite du chemin qu’il reste à parcourir.