En 1939, Winston Churchill était passionné par la question de la vie extraterrestre

En 1939, Winston Churchill était passionné par la question de la vie extraterrestre

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Par Thibault Prévost

Publié le

Un manuscrit de onze pages de l’iconique Premier ministre anglais, dans lequel il aborde avec brio la possibilité de la vie extraterrestre, a été retrouvé.

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“L’homme au cigare” avait décidément de multiples talents. Outre un remarquable sens de la maxime – son “no sport” restera à jamais un slogan dans les annales de l’hédonisme –, un talent inné pour l’écriture (l’homme recevra le prix Nobel de littérature en 1953) et un sens de la stratégie hors du commun, le chef de guerre du Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale était également un passionné de sciences.

Intéressé par une multitude de sujets, auteur de plusieurs essais scientifiques sur la biologie, la fusion nucléaire et, surtout, l’avenir de la science dans la société. Un travail de prospective si important à ses yeux qu’il fut le premier dirigeant britannique à engager un conseiller scientifique, le physicien Frederick Lindemann. Autre particularité, qui vient seulement d’être découverte : Churchill fut probablement le seul chef d’État à écrire un essai sur la vie extraterrestre, jusqu’alors parfaitement inconnu.

C’est un astrophysicien, Mario Livio, qui a redécouvert en 2016 le manuscrit de onze pages, intitulé “Sommes-nous seuls dans l’univers ?” et conservé dans les archives du National Churchill Museum de Fulton, aux États-Unis. Écrit en 1939 et amendé en 1950, il avait été cédé au musée dans les années 1980 par la femme de l’ancien éditeur de Churchill, avant de moisir dans un carton. Dommage, car ce qu’y écrit Churchill est non seulement loin d’être de la science-fiction, mais bien une solide énumération d’arguments scientifiques que la communauté astrophysique ne renierait pas aujourd’hui.

15 ans d’avance sur la science

Selon Mario Livio, dont les recherches ont été publiées dans la revue Nature mi-février, “ce qui est extraordinaire, c’est sa façon de penser. Il aborde le problème comme un scientifique et utilise des arguments toujours d’actualité”. Pour commencer, Churchill détaille des caractéristiques essentielles au développement de la vie sur Terre, parmi lesquelles “la capacité à se reproduire et se multiplier” et le besoin d’eau.

À partir de là, il dresse une liste des planètes potentiellement enclines à abriter la vie, expliquant que les candidates doivent être placées à une certaine distance du Soleil pour être à la bonne température et posséder, entre autres, une gravité bien précise pour que l’eau liquide puisse exister à sa surface. Bref, Churchill développe le concept de “zone habitable”, toujours central dans la recherche d’exoplanètes et énoncé pour la première fois en… 1953. L’Anglais avait donc 15 ans d’avance.

Une fois sa liste terminée, Churchill part donc du Soleil, qu’il pense (à tort) être “une étoile exceptionnelle et possiblement unique”  – la première exoplanète ne sera découverte qu’en 1995 – et se penche sur le système solaire pour déterminer où avoir le plus de chances de dégoter un voisin de l’espace. Résultat : Vénus et Mars… ce qui est loin d’être une erreur, puisque Mars accueille effectivement de l’eau liquide et que la Nasa est petit à petit en train de découvrir que Vénus aurait pu abriter la vie avant de devenir infernale. Churchill n’était donc pas si loin du but, sachant qu’il avait d’autres choses plus urgentes à régler que la question de la vie extraterrestre – comme, par exemple, empêcher le IIIe Reich d’engloutir la civilisation occidentale.

Paradoxe de Fermi et exoplanètes

Néanmoins, ce n’est pas dans les certitudes de Churchill que réside l’intérêt du texte sinon dans ses conjectures, et plus particulièrement dans sa capacité à garder un esprit ouvert : probablement bien au courant du fonctionnement du progrès scientifique, qui s’appuie sur les cadavres des vérités du passé pour poursuivre son ascension, Churchill entrevoit la possibilité d’autres mondes, qui mettraient à mal ses théories. “Je ne suis pas assez vaniteux pour penser que mon soleil est le seul à avoir une famille de planètes”, écrit-il, avant de développer, en conclusion de son essai, la théorie suivante :

“Avec des centaines de milliers de nébuleuses contenant chacune des centaines de millions d’étoiles, il y a d’énormes chances pour qu’un nombre important d’entre elles possèdent des planètes dont les conditions ne rendraient pas la vie impossible. […]

Pour ma part, je ne suis pas suffisamment impressionné par les succès que nous accomplissons en tant que civilisation pour penser que nous sommes le seul endroit en cet immense univers qui contienne la vie, des créatures intelligentes, ou que nous ayons atteint le stade de développement physique et mental le plus élevé dans la vaste étendue de l’espace et du temps.”

Mathématiquement, cette relation statistique entre les nombre de planètes potentiellement habitables et la probabilité de l’existence d’une vie extraterrestre s’exprime sous le nom de “paradoxe de Fermi”, formulé vers 1950. En bref, ce paradoxe stipule qu’en tout état de cause, vu les différentes variables (âge de l’Univers, nombre de galaxies, vitesse du progrès technique), nous aurions déjà dû rencontrer une civilisation extraterrestre plus ou moins avancée.

En onze pages, Churchill expose donc, avec quelques années d’avance, deux des raisonnements de base de la recherche de vie extraterrestre contemporaine : l’existence d’exoplanètes autour d’autres étoiles et les conditions particulières qui les rendent propices à la vie. C’est en travaillant sur ces deux socles que la Nasa a pu annoncer, la semaine dernière, la découverte du système Trappist-1 à sept exoplanètes rocheuses, dont trois – pardon, quatre ? – potentiellement habitables. Le bon Churchill aurait sans doute été ravi.