“Vous devriez épouser mon mari”, la lettre d’amour virale d’une romancière décédée

“Vous devriez épouser mon mari”, la lettre d’amour virale d’une romancière décédée

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Par Thibault Prévost

Publié le

Atteinte d’un cancer des ovaires, la romancière Amy Krouse Rosenthal a composé une déchirante lettre d’amour à son mari, dix jours avant sa mort.

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“Vous devriez épouser mon mari” : dès les premiers mots, on se dit qu’un truc ne tourne pas rond, que le paradoxe présage une suite funeste, qu’en choisissant de parcourir le texte publié le 3 mars par le New York Times, on risque de faire bosser son canal lacrymal. Mais on entame quand même la descente vers le bas de page, parce qu’Amy Krouse Rosenthal est écrivaine et qu’elle sait comment agripper un lecteur par le col pour l’emmener avec elle.

Amy Krouse Rosenthal s’est éteinte le 13 mars, dix jours après la publication de son texte, emportée à 51 ans par un cancer des ovaires diagnostiqué en 2015, le jour où son dernier enfant quittait le domicile familial pour l’université. Son texte n’est pas un épitaphe, c’est un panégyrique, une ultime déclaration d’amour à son mari, enveloppée dans un emballage lexical de profil de site de rencontres. “Permettez-moi de vous présenter le gentleman de cet article, Jason Brian Rosenthal, débute-t-elle. C’est un homme dont on tombe facilement amoureuse. Il m’a fallu une journée.”

La lettre retrace ensuite la saga de leur rencontre, en 1989, qui a lieu grâce au meilleur ami de son père, avant de s’attarder sur une longue description énamourée de l’homme en question, empruntant volontairement à la sémantique Tinder – mensurations, goûts, qualités, etc.

“Cela fait un moment que j’essaie d’écrire cette lettre, mais la morphine et le manque d’hamburgers ont drainé mon énergie. Mais je dois l’écrire car j’ai un délai à respecter. Dans mon cas, la deadline est urgente. Alors, je dois m’exprimer pendant que j’ai encore votre attention et un pouls.

Pendant 26 ans, j’ai été mariée à l’homme le plus extraordinaire qui existe sur Terre. J’avais l’intention de passer les 26 prochaines années avec lui.

Vous voulez entendre une blague de mauvais goût ? Un mari et sa femme arrivent au urgence le soir du 5 septembre 2015. Quelques heures et plusieurs examens plus tard, les médecins expliquent que la douleur inhabituelle que la femme ressent du côté droit n’est pas la petite crise d’appendicite qu’ils suspectaient mais un cancer des ovaires.

Tellement de projets tombés à l’eau.

Ce n’est pas un hasard si les mots cancer et cancel se ressemblent tellement.

Le moment est donc venu pour moi de vous présenter ce que j’ai appelé le plan “Be”, comprenez par-là : vivre uniquement le moment présent. Et pour le futur, je vous présente le gentleman de cet article, Jason Brian Rosenthal.

Je n’ai jamais été sur Tinder, Bumble ou encore eHarmony, mais je vais essayé de créer le profil de Jason grâce à mon expérience de vie à ses côtés d’à peu près 9 490 jours […].

“Je rêve d’avoir plus de temps avec Jason. Je rêve d’avoir plus de temps avec mes enfants. Je rêve d’avoir plus de temps pour boire des martinis au Green Mill Jazz Club. Mais cela n’arrivera pas. Il ne me reste probablement plus que quelques jours à passer sur cette planète. Alors pourquoi est-ce je fais ça ?

Je finis cette lettre le jour de la Saint-Valentin, et le seul et unique cadeau dont je rêve c’est que la bonne personne lise cette lettre, trouve Jason et qu’une nouvelle histoire d’amour commence.

Je laisse donc cet espace vide sous ma lettre afin de vous laisser à tous les deux le nouveau départ que vous méritez”.

Un espace vide

On apprend donc que Jason aime peindre, qu’il aime les trucs de petite taille, qu’il sait retourner un pancake, qu’il s’habille bien ou qu’il sait cuisiner – “Mon Dieu, qu’est-ce qu’il sait cuisiner” – et à mesure que l’énumération grossit, la silhouette de l’homme apparaît en surimpression, à la manière de ces jeux pour enfants où un dessin émerge d’une succession de points reliés dans le bon ordre. Une manière, à la fois bouleversante et dérangeante, de préparer “l’après”… tout en s’assurant l’immortalité dans les souvenirs de l’autre.

Car si l’auteure affirme que “le cadeau le plus original […] que je puisse espérer est que la bonne personne lise ça, trouve Jason, et qu’une nouvelle histoire commence”, et que sous la lettre, devenue évidemment virale, les volontaires affluent dans les commentaires.

Même si on imagine assez mal que la lettre remplisse sa fonction, malgré toute la bonne volonté d’une femme si amoureuse qu’elle fait son possible pour aider son mari à supporter sa perte. À la fin de la lettre, l’auteure explique “laisser volontairement un espace vide comme un moyen d’offrir à vous deux le nouveau départ que vous méritez”. Un espace vide, comme celui que le cancer s’apprête à créer. L’ironie du symbole est glaçante.