Vitesse, blessures et amour de la ride : le quotidien d’un coursier à vélo

Vitesse, blessures et amour de la ride : le quotidien d’un coursier à vélo

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Par Arnaud Pagès

Publié le

Dehors par tous les temps, régulièrement blessé, soumis au stress de la circulation, le coursier à vélo est un messager urbain qui a fait de son métier une compétition. Entre l’amour de la ride et les dangers de la ville, voici le quotidien de ces hérauts méconnus.

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En 2012, Neil Brill et Tom MacLeod réalisent Murder of Couriers, un documentaire sur les bike messengers américains, qui sera présenté jeudi 17 mars dans le Club Docu de Konbini à La Gaîté Lyrique. Premier véritable travail cinématographique sur cette corporation urbaine, on y découvre des jeunes gens passionnés par les sports extrêmes et le dépassement de soi. Animés d’une authentique mentalité “rock”, proche du skate et de la street-culture, les coursiers à vélo vivent entre adrénaline, dangers et compétition.

Bien que cette profession existe depuis presque aussi longtemps que l’invention du vélo, c’est en Amérique du Nord au début des années 1980 que le bike messenger est devenu une figure familière et même, au fil du temps, une véritable icône. Corporation à la coolitude extrême, composée d’anciens riders, rockeurs, skateurs ou graffeurs, elle a influencé la mode et le mouvement hipster. Elle a même créé son propre championnat du monde et des compétitions “régionales “, les Alleycats, où les meilleurs coursiers s’affrontent dans la ville.

On pourrait croire qu’être payé pour pédaler toute la journée est forcément un job de rêve. Mais la réalité est un peu différente. Les coursiers à vélo connaissent la précarité et se blessent souvent. Certains se font même tuer.

Nous sommes allé à la rencontre de l’un deux afin d’en apprendre un peu plus sur ce qu’ils vivent.

Qu’est-ce qui t’as motivé à devenir coursier à vélo ?

Il y a quelques années, ce métier n’était pas du tout connu à Paris. J’avais envie de travailler en extérieur, et de quelque chose de sportif, donc c’était parfait pour moi. Je me suis toujours déplacé en vélo. J’ai toujours beaucoup pratiqué. C’est quand même la base pour commencer. Mais tous les coursiers ont leur propre approche et leur propre type de vélo. Certains viennent du VTT, d’autres de la descente, du BMX ou de la route…. Moi je me suis toujours intéressé à la compétition sur route.

Quand tu as commencé, qu’est-ce qui était dur dans ce métier ?

Au début, physiquement c’est très dur ! Tu n’es pas forcément habitué à rouler toute la journée. C’est une approche du vélo assez particulière : on s’arrête et on repart tout le temps, et il faut toujours rester très attentif à la circulation. Il faut pouvoir réfléchir à tes courses, à où tu vas et aux dangers. Et être capable de rouler au moins 100 kilomètres par jour ! Après, ça n’a rien à voir avec les cyclistes professionnels. Eux font de la route en dehors de toute circulation, sans voitures ni camions. Du coup, ils peuvent facilement faire 200 kilomètres. Dans Paris, c’est beaucoup plus limité. Et nous ne sommes pas tout le temps à vélo, il y a aussi la livraison, il faut monter les étages, sonner chez les clients et remettre le colis.

 “C’est assez fréquent d’avoir un accident dans les premiers mois”

Il y a un petit côté sport extrême ? Dirais-tu que tu fais un métier dangereux ?

Dangereux… Je dirais que ça dépend des gens. Une fois que tu es habitué et que tu connais les pièges, il n’y a pas vraiment de danger. Quand tu commences, c’est assez fréquent d’avoir un accident dans les premiers mois. Tu ne connais pas encore bien le truc et les automobilistes font n’importe quoi. Donc, il faut apprendre à anticiper.

Comment te repères-tu dans la ville ?

On utilise des plans papier. À force, tu connais de mieux en mieux la ville mais chaque course est différente, donc tu as quand même besoin d’un plan. Et d’un point A à un point B, l’itinéraire peut varier. Il y a tellement de rues dans Paris qu’il y a toujours moyen de trouver un itinéraire plus rapide. Il y a des rues dans lesquelles je suis appelé et dont je n’ai jamais entendu parler. Ça arrive tout le temps. Il y a en tellement ! Si tu vas une fois dans une rue, tu la retiens. Et après, si tu n’y va plus pendant un an, tu la zappes. Et on ne fait pas que Paris, on fait la banlieue aussi. Là, généralement, c’est l’aventure. À part quelques villes qu’on connaît bien comme Neuilly, Levallois ou Boulogne… Sinon, on rentre dans l’inconnu total.

Tu te considères comme un sportif ?

Il faut clairement être sportif pour assurer au moins 100 kilomètres de ride par jour. Il faut avoir une réelle capacité physique. Il y a un rythme minimum qui est exigé. Donc, oui, il y a un côté sportif urbain. C’est très physique.

 “Il faut toujours anticiper et garder pas mal de distance, pouvoir accélérer si les trous entre les voitures se referment. Il faut toujours rester très attentif”

Tu t’es souvent retrouvé en situation de danger ?

On essaye de ne pas se retrouver en situation de danger. Avec l’expérience, on arrive à éviter ce type de situation. Chez nous, il y a beaucoup de conseils qui sont donnés aux coursiers pour éviter les accidents. Il y a aussi beaucoup d’échanges entre les nouveaux coursiers et les anciens sur leurs expériences respectives. Par exemple, il ne faut pas coller les voitures, ni frôler les portières. Il ne faut pas passer quand on n’a pas de visibilité. Il faut toujours avoir de l’espace pour se dégager au cas où une voiture coupe la voie n’importe comment. Il faut toujours anticiper et garder pas mal de distance, pouvoir accélérer si les trous entre les voitures se referment. Il faut toujours rester très attentif.

Quelle a été ta plus grosse frayeur ?

Parfois, on se fait peur sur des freinages d’urgence. J’ai déjà eu un accrochage place de l’Étoile. Un mec a mis un coup de volant, directement sur moi, et je suis tombé. C’est dans des moments comme ça, quand tu ne contrôles plus trop, que tu flippes. Parce que tu ne sais pas comment les voitures derrière toi vont réagir, si elles vont réussir à freiner à temps. C’est surtout ça la frayeur. Si tu fais tout pour rester concentré, c’est pour ne pas te retrouver dans ce type de situation.

 “Ça nous arrive d’aller à plus de 50 kilomètres/heure. Il ne faut pas se voiler la face, aucun scooter, aucune voiture, ne respecte les limitations de vitesse dans Paris. Et nous non plus”

C’est possible pour un coursier à vélo de respecter les limitations de vitesse à Paris ?

Non, c’est impossible. Les zones 30 par exemple, c’est pour les voitures. Ça nous arrive d’être à plus de 50 kilomètres/heure. Il ne faut pas se voiler la face, aucun scooter, aucune voiture, ne respecte les limitations de vitesse à Paris. Et nous non plus.

C’est difficile de gagner sa vie quand on débute ?

Quand j’ai commencé, on ne gagnait pas énormément d’argent. Ça a commencé à s’homogénéiser il y a six ou sept ans. Maintenant, il y a quand même une base. Quand le coursier commence, il gagne un peu moins. Pour un coursier à temps plein, il y a moyen de vivre. Tu débutes autour de 1 300 euros et tu peux monter à 1700 quand tu es bon.

Y a-t-il un phénomène de concurrence ? Vous vous tirez la bourre entre vous ?

C’est clair, on se tire la bourre à fond. Il y a de la concurrence. Notamment lors des fameuses compétitions Alleycats. Ce sont des championnats entre coursiers qui sont nés au début des années 1990 au Canada. Là, on règle les petits contentieux et on détermine qui est vraiment le meilleur ! Le bon coursier va aller dans la boîte qui lui rapporte le plus. Mais ce n’est pas le football, il n’y a pas de pont d’or. Les salaires sont assez équivalents dans toutes les boîtes. C’est plutôt au niveau de l’ambiance et de la considération des patrons que ça se joue.

Y a-t-il un esprit communautaire ?

On fait tous le même travail et on est tous confrontés aux mêmes dangers, aux mêmes conditions climatiques. On se connaît tous. On a même nos propres codes et chaque coursier a un surnom. Sur la route, on se fait des signes. On emploie beaucoup le mot “chistole“, on se le crie entre coursiers quand on est contents.

“Je me suis ouvert le menton et cassé le petit doigt. Il y a beaucoup de blessures au niveau des tendons, des poignets et de la clavicule”

Qu’est-ce qui t’es arrivé de plus grave ?

Une fois, j’ai fait un “soleil” et j’ai percuté le sol avec ma tête. Je me suis ouvert le menton et cassé le petit doigt. Il y a beaucoup de blessures au niveau des tendons, des poignets et de la clavicule. Ce sont des blessures classiques de chutes en sport. Mais nous n’avons pas d’élongations ni de claquages comme dans le cyclisme sur route.

Tu connais des coursiers qui prennent des substances pour tenir ?

Non, pas dans le boulot. On boit des bières le soir, c’est bon pour l’élimination. On ne prend rien quand on bosse. Dans la journée, tu gagnes du temps sur l’organisation ou sur le repérage des itinéraires, pas vraiment sur la vitesse. Prendre des produits dopants pour rouler plus vite te coûte plus que ce que ça te rapporte. Les pros du cyclisme se dopent car c’est un effort très intense et répété tous les jours, c’est très dur pour eux de récupérer s’ils ne prennent rien. Et sur cinq heures de route, la course se joue à quelques secondes près.

 “Les hipsters se sont beaucoup inspirés des coursiers à vélo. Ils ont récupéré le pignon fixe dont nous nous servons depuis longtemps”

Aujourd’hui, le coursier à vélo a une vraie proximité avec le hipster. Tu analyses ça comment ?

Les hipsters se sont beaucoup inspirés des coursiers à vélo. Ils ont récupéré le pignon fixe dont nous nous servons depuis longtemps. Beaucoup de coursiers ont des looks de hipsters. Notamment aux États-Unis ou à Londres. Ils roulent en pignon fixe, portent des slims, ont des tatouages, des chemises de bûcheron, de grosses lunettes Oakley et des casquettes Supreme.

Quand les coursiers se sont mis à avoir une barbe, les hipsters les ont imités. À Paris, on est arrivés plus tard. Les hipsters français s’intéressent moins aux coursiers à vélo français. Ils sont inspirés par les États-Unis. Là-bas, les coursiers peuvent rouler sans casque et on voit des mecs avec des crêtes ! Il y a beaucoup de freelance et ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Il y a un côté punk qui a inspiré les hipsters. C’est sauvage !

Peux-tu nous parler des championnats du monde des coursiers qui auront lieu à Paris en août ?

Les championnats existent depuis 1993. Ça a commencé à Berlin. C’est un grand rassemblement des coursiers du monde entier. Il y a aussi des championnats européens et nord-américains. Il y a beaucoup de pays, comme la Suisse, l’Allemagne ou l’Angleterre, qui ont des compétitions nationales.

Les championnats du monde regroupent entre 500 et 1 000 coursiers qui viennent de partout : Asie, Amérique, Europe… La course principale se joue en circuit fermé, on reproduit une ville à l’identique, avec des sens interdits mais sans voitures et sans piétons. Au début on devait faire ça le long du canal Saint-Martin et place de la République, mais la course devait passer devant le Petit Cambodge et La Bonne Bière.

Suite aux attentats, il nous a fallu trouver un autre lieu et la course aura lieu sur les pelouses de Reuilly. C’est moins glamour mais ça va nous permettre d’être beaucoup plus à l’aise. Il n’y a pas que la course, il y a aussi la fête. On vient aussi pour boire des bières et écouter de la musique. Chez les Anglais, il y a des coursiers punk, ils ont tendance à foutre la merde ! Il va y avoir des expos photos et des concerts punk et rock, avec une soirée de clôture au Point éphémère.

Le documentaire Murder of Couriers sera projeté jeudi 17 mars à la Gaîté Lyrique (3 bis, rue Papin, Paris 3e) dans le cadre du Club Docu de Konbini.