Jean-Jacques Urvoas, un gendarme du Web à la Justice

Jean-Jacques Urvoas, un gendarme du Web à la Justice

photo de profil

Par Thibault Prévost

Publié le

Le successeur de Christiane Taubira au ministère de la Justice est le grand artisan des lois sécuritaires de 2014 et 2015 et de leurs outils de surveillance.

À voir aussi sur Konbini

Sa tête ne vous dit sûrement rien, et pourtant c’est un homme clé de la majorité. Jean-Jacques Urvoas, député PS qui visait jusque-là l’Intérieur, se retrouve bombardé garde des Sceaux après la démission de Christiane Taubira, en désaccord avec l’exécutif au sujet de la loi sur la déchéance de nationalité. Alors que le mandat de Christiane Taubira s’achève, c’en est un tout autre qui débute.

Car Jean-Jacques Urvoas, tout socialiste qu’il soit, est un homme de police, transformé au fil des années en monsieur Loyal de la politique sécuritaire hollandiste. Comme l’explique de manière exhaustive Numerama, la nomination d’Urvoas à la Justice est une déclaration d’intention de la part du gouvernement : désormais, plus question d’être retardé dans l’établissement d’une politique sécuritaire par des magistrats réclamant plus de cohérence législative. Et la place Vendôme devient la succursale juridique de la place Beauvau.

Loi de Programmation militaire, loi Antiterroriste…

En 2014, Urvoas était le rapporteur de la loi Antiterrorisme, qui offrait aux autorités la possibilité de bloquer des sites Internet sans demander l’avis d’un juge au nom de la lutte contre la radicalisation en ligne et l’apologie du terrorisme… Une notion toujours nimbée d’un flou juridique.

Il était également dans le coup lors du vote de la loi de Programmation militaire et de son controversé article 13 (devenu au fil des polémique son article 20), qui autorise une cohorte d’administrations à collecter les “documents” et “informations” des utilisateurs stockés chez les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) si elles justifient cette recherche par la prévention du terrorisme, la sécurité nationale ou, tenez-vous bien, “les éléments essentiels du potentiel économique et scientifique de la France”.

Une série de notions particulièrement vagues qui n’ont pas empêché la loi d’entrer en application le 1er janvier 2015, contre l’avis émis par la Cnil en 2013. En avril, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été déposée par les activistes du Web libre pour dénoncer “une atteinte à la vie privée”. Elle a été reconnue, en juin, par le Conseil d’État, qui fera examiner la loi par le Conseil constitutionnel.

Loi Renseignement, état d’urgence : Urvoas sur tous les fronts

L’an dernier, on retrouvait Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois, en croisade pour la défense de la loi Renseignement – qui s’était vue affublée du titre de “Patriot Act à la française”. Un texte aux relents liberticides que Thomas Watanabe-Vermorel, porte-parole du Parti pirate, nous décrivait en juin comme “totalitariste”.

Le texte, adopté le 5 mai 2015, donne aux services de renseignements des moyens d’action démesurés, comme l’élargissement des moyens d’écoute des services de communication vidéo par Internet, l’augmentation des délais de conservation des données et, surtout, l’installation par les FAI d’algorithmes de “boîtes noires” pour surveiller en temps réel l’intégralité du trafic à la recherche de terroristes potentiels.

À l’époque des débats autour de cette loi, des associations, parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme (LDH),  l’Ordre des avocats de Paris et le puissant Syndicat de la magistrature, étaient montées au créneau pour s’opposer à certaines de ces mesures. Urvoas, lui, avait préféré se concentrer sur l’“amateurisme” et la “mauvaise foi” des opposants, qualifiés “d’exégètes amateurs”. Aujourd’hui, le voilà garde des Sceaux, interlocuteur direct de ses anciens adversaires.

Enfin, en novembre dernier, c’était encore lui qui rapportait la loi sur l’état d’urgence, qui permet (toujours) aux autorités de copier sur place les données contenues dans les ordinateurs ou téléphones portables présents lors des perquisitions administratives (elles-mêmes grandement facilitées par la promulgation dudit état d’urgence), et de les utiliser pour accéder aux comptes en ligne de la personne perquisitionnée.

Loi de Programmation militaire, loi Antiterroriste, loi Renseignement, état d’urgence : entre 2013 et 2015, Jean-Jacques Urvoas aura été la cheville ouvrière de toutes les campagnes sécuritaires du gouvernement. Son CV lui vaut aujourd’hui d’accéder au ministère de la Justice, à l’aube des débats sur l’inscription dans le marbre constitutionnel d’un état d’urgence au bilan pourtant décrié par une frange de la société française. Au moins, le message envoyé par l’exécutif est clair : la sécurité, première des libertés.