Le Tour de France et les femmes : à quand la révolution ?

Le Tour de France et les femmes : à quand la révolution ?

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Par Mélissa Perraudeau

Publié le

Ce dimanche s’achève le Tour de France, une compétition qui demeure masculine et sexiste. Mais des femmes cyclistes se mobilisent, et espèrent bien faire évoluer les mentalités.

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Le Tour de France a été créé en 1903 et a depuis lieu chaque année (sauf durant les deux guerres mondiales). Au fil des ans, sa durée s’est allongée, et les nationalités des participants se sont diversifiées. Mais question genre, le progrès est difficile. Le Tour de France a été ouvert aux femmes, bien qu’uniquement en lever de rideau, en 1984… pour leur être à nouveau fermé en 1989. Il faut dire que les mentalités étaient alors bien arrêtées − “une femme sur un vélo, c’est moche” déclarait sans complexes Marc Madiot à Jeannie Longo, dans une émission diffusée à la télévision en 1987.

Mais cette année, Franceinfo est retourné voir l’ancien coureur cycliste professionnel, qui a admis qu’il ne dirait “sans doute pas” la même chose aujourd’hui. La situation ne s’est pourtant pas franchement arrangée pour les femmes cyclistes, confrontées à “l’un des rares exemples de discrimination dans le monde sportif”.

Les femmes exclues du Tour de France

Une pétition lancée en 2013 par quatre championnes de cyclisme revendiquait : “Après un siècle, il est grand temps que les femmes soient autorisées à courir le Tour de France, elles aussi”, les coureuses qualifiant le monde du cyclisme de “l’un des pires représentants de ce manque de parité”. Elles demandaient une compétition égale à celle des hommes, en parallèle de leur tour. Résultat : elles ont obtenu La Course by Le Tour, une épreuve féminine organisée sur deux jours par Amaury Sport Organisation (ASO), propriétaire du Tour de France.

C’est certes mieux que rien, mais bien, bien loin des trois semaines de compétition auxquelles les hommes ont droit… Le Monde explique que la présentation de la version 2017 de la course féminine a suscité l’indignation de “plusieurs acteurs du cyclisme féminin, dont la FDJ, sponsor de l’événement” : la longueur accordée à la course n’était que de “67 kilomètres entre Briançon et le col de l’Izoard, soit la moitié de ce que les femmes ont l’habitude de couvrir”.

Le lieu était également un pas en arrière en matière d’égalité, puisque jusque-là cette course se déroulait sur les Champs-Élysées, permettant une visibilité “à une épreuve sans intérêt sportif”. En parallèle, il existait pourtant bien une sorte d’équivalent féminin du Tour de France depuis 2006, la Route de France féminine, qui se déroulait sur un autre parcours. Très peu médiatisée, très peu connue, elle a carrément été annulée cette année sans qu’on en entende vraiment parler. Le Tour de France garde donc bien les femmes à l’écart… du moins les cyclistes, puisque la compétition emploie de nombreuses hôtesses, faisant preuve d’un sexisme de plus en plus dénoncé par certains médias et internautes.

Le Tour de France : un sexisme bien ancré

Début juillet, Franceinfo interrogeait plusieurs hôtesses travaillant sur le Tour de France. Elles dénonçaient le sexisme quotidien dont elles étaient victimes, entre harcèlement sexuel et attouchements, voire agressions : “Au programme : ‘des mains aux fesses’, ‘des caresses hasardeuses’, ‘des bisous forcés’, ‘des photos en pleine face’…” L’une d’entre elles avait même reçu un verre d’urine. Et le 19 juillet, c’est une photo à la légende explicite du président Macron entouré d’hôtesses qui était pointée du doigt.

Sur Slate, la journaliste Titiou Lecoq s’interrogeait :

“Je ne sais pas ce qu’il y a de pire dans cette photo. Peut-être de savoir d’expérience (j’ai été hôtesse comme nombre de jeunes femmes) que les femmes qui sourient dessus se sont payées toute la journée des remarques vicelardes. Ou alors la légende qui l’accompagne.”

Les bises distribuées aux gagneurs ont également été mises en cause, la tradition étant critiquée par des organisations féministes et par certains coureurs comme Mikel Landa. Il déclarait en janvier que “les hôtesses des podiums sont considérées comme des objets”, et que la bise donnée aux vainqueurs était “une habitude bien ancrée” que “personne” n’osait changer. Le Tour d’Espagne, un autre grand tour cycliste professionnel, réfléchit désormais à supprimer ce baiser, et introduire de la mixité pour la remise des prix. Une réflexion qui, comme le Huffington Post l’explique, fait suite à l’initiative du Down Under australien de remplacer les hôtesses par des adolescents coureurs cyclistes pour remettre leurs récompenses aux vainqueurs d’étape. Avant d’ouvrir la compétition aux femmes ?

De la nécessité de mieux considérer et visibiliser les femmes cyclistes

C’est un fait, bien plus d’hommes que de femmes font du cyclisme : les Terriennes rapporte qu’il y aurait 90 % de licenciés pour 10 % de licenciées environ. Une minorité de coureuses, dont on entend très peu parler, voire pas du tout. Le site a interrogé l’ancienne championne Catherine Marsal, qui s’indigne par exemple du manque de médiatisation du tour d’Italie féminin, pourtant l’une des courses féminines les plus importantes au monde, qui s’est tenu il y a une semaine. Les professionnelles du domaine ne sont pourtant pas en reste d’après l’ancienne coureuse, qui explique :

“Les courses sont d’une excellente qualité, les championnats du monde sont intéressants. Il y a de l’action, de la compétition, ce n’est jamais la même qui gagne ! Et puis, les structures se professionnalisent et de plus en plus d’équipes hommes ont leur parallèle féminine.”

Ce manque de médiatisation s’accompagne d’un manque de moyen. Il n’y a pas de salaire minimum pour les coureuses, ce qui complique forcément beaucoup leurs parcours. Marion Rousse, championne de France sur route en 2012 et première femme à commenter le Tour de France, a arrêté sa carrière en 2015, à 24 ans, à cause de cette précarité comme le souligne Le Nouvel Observateur :

“Je n’ai jamais eu de salaire directement lié au vélo. Quand tu vois que tu partages la même équipe que ton mari, la même souffrance et que lui est bien payé, c’est frustrant…”, avait-elle confié au Journal du Dimanche. Avant d’ajouter récemment dans Libération : “Chez Lotto-Soudal, les hommes ont trois bus à disposition, les femmes, une camionnette.”

Pour Catherine Marsal, une solution serait d’organiser “une grande épreuve féminine ‘poussée’ devant les médias, un tour d’Europe, par exemple” :

“Dans les années 1990, l’ASO avait organisé une course féminine qui partait de France et passait par plusieurs pays d’Europe. C’était une superbe course. Il nous faut des organisations de cet acabit, capables de séduire médias et sponsors.”

En attendant une potentielle course “de cet acabit”, onze femmes cyclistes de différentes nationalités réalisent “l’intégralité des étapes du Tour de France, un jour avant les professionnels hommes”. Intitulée “Donnons des elles au vélo”, l’opération, qui existe depuis deux ans, vise à “promouvoir l’existence du cyclisme féminin et [alerter] sur le déficit de grandes courses féminines par étapes”. Elles s’appliquent ainsi à changer la représentation des cyclistes, pour que des filles et des femmes puissent “envisager de s’inscrire dans un club”. À leur sens, c’est de là que la révolution du cyclisme français pourra s’opérer :

“Nous pensons vraiment que le développement de la pratique féminine peut participer au renouveau du cyclisme en général. La femme est l’avenir du vélo !”