Test : Super Danganronpa V3 est une véritable tuerie

Test : Super Danganronpa V3 est une véritable tuerie

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Par Benjamin Benoit

Publié le

Vulgaire et libéré, l’ultime opus de ce jeu d’enquête n’est pas aussi confidentiel qu’il en a l’air.

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Imaginez un concept de jeu à la frontière entre Battle Royale, Détective Conan et Phoenix Wright, célèbre simulation d’enquête dont un avocat est le héros. Dans Danganronpa, tout démarre à l’Académie du pic de l’Espoir, où une quinzaine de lycéens frappadingues, caractérisés par un “don ultime” (super duper pianiste, entomologiste, voyant, maid, cosplayeuse, etc.), sont enfermés à leur insu dans un espace clos. Comprenez, un lycée coupé du monde.

Soudain, un ours robotique bicolore et psychopathe du nom de Monokuma les informe qu’ils sont désormais les protagonistes d’une tuerie organisée : la seule personne qui parmi eux aura le droit de s’en sortir sera celle qui commettra un meurtre. Après la découverte de chaque cadavre se tient un procès de classe, où l’on débat pour tâcher de déterminer qui est le ou la coupable.

Si la bonne personne est désignée, elle est alors condamnée à une exécution parfaitement débile liée à sa caractéristique principale. Par exemple, pour reprendre un épisode fameux de la saga : être changé en beurre. Derrière ses allures de cartoon, Danganronpa entretient un rapport ambigu avec le voyeurisme et la peine capitale, et n’hésite pas à questionner régulièrement le joueur sur le sujet.

D’abord confidentiel, maintenant universel

Tout ça semble un peu nébuleux et absurde ? Effectivement, mais là est tout le sel de cette saga qui baigne dans un troisième degré permanent. Danganronpa, dont le premier opus date de 2010, sur PSP au Japon, a été popularisée en Occident grâce à une adaptation en anime du studio Lerche diffusée à l’été 2013. Le premier jeu, au déroulement fondateur pour le reste de la série, a tenu en haleine toute une communauté devenue accro à un Let’s Play textuel, où un joueur avait minutieusement retranscrit le déroulé de l’intrigue.

Le jeu a fini par débarquer sur nos écrans, en anglais toutefois, début 2014. À la fin de cette même année, Danganronpa 2 : Killing Harmony est traduit pour les Occidentaux, avec deux ans de retard. Un jeu harder, better, faster, stronger, qui reprend tous les codes de l’original pour les sublimer. Riche de passages de bravoure dantesques (les chapitres IV et V qui sont respectivement un vrai whodunit et le récit d’un personnage trichant avec les règles du jeu), le second opus bouclait un diptyque cohérent, bien que la conclusion un peu radicale n’ait pas plu à tout le monde.

Bref, tout ceci est désormais sur Vita, PS4 et maintenant sur PC via Steam… n’hésitez pas à vous y mettre avant d’attaquer le 3. Sachez juste que ces jeux sont des visual novels, un genre qui s’approche du livre interactif – il y a peu de phases de gameplay à proprement parler. Vous vous déplacez dans un environnement de plus en plus étendu, entouré de personnages aux mémorables poses fixes et plates (à la Paper Mario), vous lisez beaucoup de texte, draguez vos camarades de temps en temps et participez à des procès de classe qui alignent une multitude de mini-jeux pour pimenter un peu le tout. Soyez donc conscient du caractère “minimaliste” (mais ne vous formalisez pas dessus) du jeu.

Super Danganronpa V3 promet d’être déconnecté des deux autres, et se veut accessible à toute personne ne connaissant rien à la saga. Dans les faits, c’est vrai. Mais cela signifie de passer à côté de références cruciales lors d’un money shot final, dont il est impossible d’amorcer la moindre description sous peine de spoiler une fin réellement radicale et iconoclaste. Ce dénouement fera parler et peut potentiellement vous déprimer, mais chaque fan ayant fini le jeu ronge sévèrement son frein pour ne pas hurler ses réflexions à qui veut l’entendre.

Ainsi, le jeu fait mumuse avec les attentes du joueur qui, après deux épisodes coulés dans le même bronze, voit ses habitudes bousculées en permanence. Et cela peut atteindre des niveaux inégalés de subversion : Danganronpa V3 atteint des sommets de dinguerie que vous ne soupçonnez pas.

Intelligence maîtrisée, débilité maîtrisée

Commençons par le commencement. Vous incarnez Kaede Akamatsu, la pianiste ultime, qui se retrouve dans une autre tuerie organisée avec un casting de 15 personnages parfaitement frappés et unidimensionnels. Angie, l’artiste et folle de Dieu ; Tenko, la sportive misandre ; Hoshi, le tennisman ex-taulard ; Gonta, l’entomologiste un peu benêt ; Himiko, la sorcière-qui-n’est-surtout-pas-magicienne… sans oublier les deux stars de cette épopée : Kokichi, l’ultime despote dont l’incroyable fourberie va vous donner du fil à retordre… et Miu, l’ultime inventrice, sans conteste le personnage le plus vulgaire de toute la saga.

La décence nous empêche de retranscrire les meilleures lignes de dialogue, mais lire autant de mots inutilement outranciers en français a quelque chose de réjouissant. Car oui, Danganronpa V3 est le premier opus à être officiellement traduit dans la langue de Molière, tout le monde peut donc profiter de cet esprit vulgaire et libéré – cette saga tape en permanence en dessous de la ceinture, comme le feraient des lycéens très décomplexés. Et le jeu est à l’image de ses personnages, enchaînant les situations de fan service jamais justifiées, pour le plaisir bête et beauf du lol.

Kaede, l’héroïne, est assistée de Shuichi, le super détective timoré, pour tenter de mettre fin à une autre tuerie – car un massacre finit toujours par arriver. Démarrent six chapitres binaires : d’abord l’enquête, puis le procès. Entre deux, l’intrigue du nouveau chapitre est lancée, et vous pouvez quelquefois passer un peu de temps avec vos camarades encore vivants pour développer votre amitié avec eux, en apprendre plus sur eux et inaugurer une superbe collection de sous-vêtements offerts par ces derniers.

Le casting se réduit peu à peu, votre chéri ou chérie virtuel·le va systématiquement caner deux secondes après votre coup de foudre (l’opération est répétée trois ou quatre fois). Les procès s’enchaînent, les exécutions, aussi sadiques que débiles, aussi. Seul le troisième chapitre est un peu en deçà, mais à partir de ce point le jeu décolle vers des cieux dont on ne revient pas. La toute fin peut conclure définitivement la série, mais aussi changer radicalement l’image mentale que vous aurez du jeu…

Le tout est supervisé par l’habituel Monokuma, cette fois accompagné de ses rejetons, les Monokumers. Imaginez cinq ours en peluche, arborant tous une tétine et des motifs sentai, qui interrompent votre progression en permanence pour débiter un tombereau de conneries si déplacées qu’elles rappellent un peu Assassination Classroom.

Le meilleur de cette étrange routine ? Les procès de classe, entrecoupés de séquences inspirées d’autres genres de jeux, pour dynamiter vos préjugés sur l’affaire en cours. Le plus souvent, il s’agit de “débats” où les paroles des élèves défilent comme sur un carrousel, avec certains mots mis en exergue. Si vous avez un argument qui rentre en contradiction avec ce qui est affiché, il faudra être rapide pour littéralement dégainer une “ballindice” sur le mot fautif, et ainsi flinguer cette contradiction pour faire avancer les choses.

Parfois il faut être d’accord, voire mentir volontairement. De même, il faut quelquefois reconstituer un enchaînement logique… en écrasant en voiture des call-girls, dans un passage entre Hotline Miami et Out Run (ça a du sens dans le contexte). Résoudre des puzzles et rébus vous permettra de découvrir des indices essentiels pour votre progression. Autant de petites séquences inégales qui vous amènent vers la vérité, rarement agréable à découvrir. Le jeu, fieffé manipulateur, vous fait souvent capter ce qu’il veut quand il veut, et l’effet est épique. Les coupables, qui vont donc mourir de manière improbable, ont souvent un mobile ou une “excuse” qui les absoudra à vos yeux embués.

Cette tension dramatique est le meilleur élément de cet opus. Vous ne vous doutez pas des sensations provoquées par ces lignes de texte, ces animations, et ces certitudes toujours brisées sur qui a fait quoi, dans ces meurtres qu’on croirait sortis de Scooby-Doo (où personne ne meurt, certes, mais où l’on utilise le même genre de mécanismes bizarres pour commettre un méfait).

Enfin comprendre comment un crime s’est déroulé d’un bout à l’autre et finir un procès en le reconstituant grâce à une espèce de comics (où l’on vous demande de remettre les cases dans l’ordre, histoire de prouver que vous n’êtes pas arrivés ici par hasard) est un grand moment de jeu vidéo.

L’expérience n’est pas parfaite : elle est un peu mécanique (voire prévisible par moments) et les mini-jeux sont trop inégaux. L’ultime jeu de rythme a été timé par quelqu’un qui n’a probablement jamais joué à un autre jeu de rythme de sa vie (déso, il faut le dire). En revanche, l’après-jeu, dans son extrême générosité, vous débloque un nouveau mode entre le mini JRPG et le jeu de plateau, sorte d’hommage ultime à l’intégralité de la saga, où l’on trouve d’autres tartines de textes. Chapeau bas au traducteur pour ce travail de titan.

Kazutaka Kodaka est un troll sans concessions

En bref, nous avons affaire à un étrange jeu, rondement mené par le génial Kazutaka Kodaka, troll parmi les trolls, et porté par la musique de Masafumi Takada. Hors contexte, cette dernière est bruitiste, un peu pénible, anguleuse et agressive (à l’image du jeu qu’elle illustre). Mais en plein jeu, elle est épique, mesurée, parfaitement maîtrisée, et nous donne aussi quelques moments de bravoure. Deux types de moments ont retenu notre attention : les “Clash d’opinion” où toute l’assemblée est divisée en deux, et les fameux “Climax” en bande dessinée qui, jusque-là, étaient soutenus par la même musique iconique (la nouvelle est plus tranquille et mielleuse, mais tout aussi efficace).

Danganronpa est une expérience rare et radicale, dont on ne ressort par indemne (surtout avec ce V3). Vous trouvez ce jeu bizarre et niché ? Il ne l’est pas. D’une grande facilité d’utilisation, le déroulement est parfaitement guidé : on vous dit systématiquement quoi faire pour faire progresser l’intrigue, et dès que l’enquête démarre, tout le reste se déroule comme si de rien n’était.

Danganronpa V3, le jeu le plus japonais du moment, est en français (fait trop rare) et jouit d’une localisation aux petits oignons : vous n’avez plus d’excuses pour découvrir cet incroyable délire transgressif. Comme dirait Angie : c’est divinementiel !

Ce test a été réalisé à partir d’un code donné par l’éditeur Koch Media. Un bug empêchant la progression à la toute fin du chapitre II, récemment corrigé par un patch, a retardé sa parution. Si vous rencontrez le même souci, passez la console en anglais juste le temps de la séquence qui pose problème et tout ira bien !