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Témoignage : ma journée d’assistant parlementaire

Témoignage : ma journée d’assistant parlementaire

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Par Konbini

Publié le

Nous avons voulu savoir à quoi ressemblait la journée type d’un assistant parlementaire non fictif. Eudes Simon, collaborateur d’un député Les Républicains, a pris le temps de nous raconter son quotidien, un mercredi, jour de fête à l’Assemblée nationale.

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Le mercredi à l’Assemblée c’est comme le mardi, c’est fête, c’est jour de commission, de questions au gouvernement ou #QAG sur Twitter : les députés fourmillent dans tous les coins, les assistants courent comme des canards sans tête, les journalistes sont de sortie, en résumé c’est le moment fort de notre semaine à nous, les collaborateurs parlementaires (c’est le terme officiel).

Évidemment, cette excitation ne vaut que pour les stars car pour les anonymes, et sur les 577 députés vous imaginez qu’ils sont nombreux, c’est tout de suite moins glamour. Comme je travaille pour un député de l’opposition, anonyme à Paris mais star, enfin connu, dans sa circonscription, ma journée est plus traditionnelle que celle des collaborateurs qui doivent tenir à distance avec une fourche les journalistes à cause du dernier coup d’éclat, mot poli pour dire connerie, tweeté par leur patron où celle des collab’ dont la fonction première semble être de devoir remplir Twitter, Instagram et Facebook des moindres gestes de leur employeur.

9 heures : arrivée à l’Assemblée, au Palais, notre petit luxe à nous, au même étage que le groupe socialiste. Ce qui me permet chaque matin, à la machine à café payante du couloir, de croiser cette grande et jolie collaboratrice socialiste qui me plaît comme femme et me terrifie à la fois comme toutes les femmes de gauche. Un jour, j’aurai certainement le courage de lui demander son prénom autour d’une vanne mûrement réfléchie mais, pour l’instant, c’est le calme plat.

9 h 22 : café en main, mais sans avoir vu Juliette (surnom que je lui ai attribué d’autorité), courrier dans l’autre, je passe devant le bureau au nom de l’actuel président de l’Assemblée dont je me suis toujours demandé l’utilité – vu qu’il dispose d’un hôtel particulier entier dédié sa personne – et, au bout du dédale de couloirs anonymes, je m’installe au bureau, allume mon ordi et, le temps que cela se fasse, sors fumer une cigarette sans évidemment oublier de mettre le répondeur.

Pendant ce temps le député est en commission d’affaires culturelles et éducation, la commission qui ne sert à rien par excellence mais j’imagine que c’était ça ou le bureau pourri avec la plèbe des anonymes dans l’immeuble du 101 rue de l’Université où il n’est pas rare de croiser des élus en pyjama ou peignoir au petit matin.

10 heures : après avoir traité les mails grâce à la touche Suppr de mon clavier, je passe en revue les courriers reçus que je m’empresse de classer verticalement tout en faisant bien attention à trier le plastique pour le recyclage. Une chaîne d’info tourne en boucle sur le dîner des putschistes de droite ratés, les collègues passent une tête pour discuter de notre candidat qui est bien dans la merde et pour échanger nos fulgurantes analyses de ce qu’il va se passer dans cette présidentielle. Le travail de l’Assemblée va bientôt s’interrompre pour cette raison, mon député enchaîne les rendez-vous car sa commission lui a confié un rapport pour avis sur “les perspectives du spectacle vivant” pour le punir de quelque chose que j’ignore.

Parfois, j’assiste aux rendez-vous mais la plupart du temps il m’en tient éloigné, il préfère que je gère le quotidien du bureau et surtout que je lui prépare son agenda, avec ma collègue quinquagénaire en circonscription, pour lui permettre de vite y retourner y faire campagne afin d’avoir le droit de revenir pour cinq ans passer deux jours et demi par semaine à Paris, où il court du matin au soir comme un canard sans tête entre réunions de groupe, de commission, auditions, questions au gouvernement, permanences de séance et rendez-vous extérieurs avec les représentants des betteraviers.

12 h 17 : aujourd’hui mercredi, c’est un déjeuner pour écouter les doléances d’un groupe représentant les intérêts du papier face à la numérisation croissante du monde. Je lui ai fait une belle note, qu’il ne lira pas, d’ailleurs en rentrant de la commission, il me demande d’annuler sa participation au déjeuner, préférant se rendre à une dégustation de produits régionaux d’un copain député. En rentrant à 14 h 47, il changera sa cravate sombre pour une de couleur qui lui permettra de ressortir à l’écran pendant les questions au gouvernement… Pas de question pour lui cette fois, mais je sais qu’il arrivera à se faire voir des personnes âgées de sa circonscription en se calant à côté de l’orateur du moment. Ils font tous cela.

18 h 30 : fin de journée, j’ai fumé 18 clopes, bu 5 cafés, mangé à la cafétéria, dit bonjour à 52 personnes. Demain, il repart en train, en circonscription, pour s’entendre dire “je vous ai vu à la télévision hier”, notre relation deviendra téléphonique jusqu’à mardi prochain.

Si vous n’avez jamais vu le film Un jour sans fin avec Bill Murray, je vous conseiller d’y jeter un œil, c’est un peu ça la vie de collaborateur parlementaire.

Un article écrit par Eudes Simon