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Témoignage : être bisexuelle, entre invisibilité et biphobie ordinaire

Témoignage : être bisexuelle, entre invisibilité et biphobie ordinaire

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© Alamode Film

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Par Konbini

Publié le

De la biphobie ordinaire

Dès que cela s’est imposé à moi, j’ai voulu en parler. Je l’ai donc dit à mes amis. Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais, mais je pensais qu’ils me feraient me sentir un peu mieux. Certains ont été parfaits, d’autres beaucoup moins. On m’a demandé moult fois quel genre je préférais, on m’a affirmé que je ne pouvais pas en être sûre parce que je n’avais jamais eu de relation sérieuse et que je finirai bien par choisir. On a conclu par un : “De toute façon, quand c’est comme ça, t’es plus une fille.” Toutes ces remarques me touchaient profondément, mais je n’arrivais pas encore à identifier la biphobie.
La biphobie, c’était des tarés qui tuaient les gens qui n’étaient pas comme eux, ce n’était pas mes amis qui, pourtant, me faisaient du mal. Ce n’était pas mes amis qui ne voulaient pas comprendre qu’il n’y avait aucun doute, que cette double attirance faisait partie de moi, et qu’elle ne dépendait pas de mes relations passées ou à venir. Que c’était juste le terme qui venait verbaliser qui j’étais, pas qui me définissait en forçant le sens de mon identité.
Je pense qu’être bi est encore moins accepté qu’être gay. Les gens pensent encore dans un système binaire gay/hétéro, donc tout ce qui est en dehors leur paraît bizarre. J’entends souvent que les bisexuels sont des gays à moitié dans le placard ou des hétéros qui veulent se rendre intéressants. Qu’ils veulent coucher avec le plus de monde possible. Sans compter l’énorme manque de visibilité dans les médias et, de manière générale, le manque d’éducation aux questions LGBT+ dans la société. Beaucoup de gens pensent encore que les bisexuels n’existent pas.

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Traduction : “Personne bi :
Personne hétéro : Mais qui tu préfères ?!! Tu dois bien avoir un préféré ?! Si tu avais un flingue sur la tempe, tu choisirais qui ?”

Un coming out très difficile

La conséquence, c’est que j’ai toujours peur du coming out, des potentielles blagues ou critiques – ou pire. Personne ne sait à part mes amis. Plus que tout, j’ai peur de ma famille. De toute ma famille. Des intolérants que je ne supporte pas, à cette tante que j’aime tellement et qui pourrait, éventuellement, ne pas me comprendre. Et j’ai peur pour ma mère. Ma mère qui soutient la tolérance et le mariage pour tous, mais qui a intégré tant d’idées archaïques. Ma mère qui n’a jamais considéré la bisexualité autrement que comme une lubie venant de hippies soixante-huitards. J’ai aussi peur de mes futurs partenaires, que je ne connais pas encore, et de toutes les réactions négatives qu’ils pourraient avoir. Il y a tellement de clichés sur les bisexuels, on dit qu’ils vont forcément tromper ou quitter un genre pour l’autre.

#stillbi #stillbisexual #bisexual #biphobia

Une publication partagée par Hello Hi Yes Still Bi (@hellohiyesstillbi) le

Traduction : “Je ne sors pas avec les filles bi.
– Eh bien, les filles bi ne sortent pas avec des connards, donc tu n’auras pas de problèmes.”

Enfin, j’ai peur du monde, je me demande si j’y ai vraiment ma place. Cette peur plurielle sur plusieurs niveaux est angoissante, étouffante. Je n’en peux plus de l’invisibilité de ma sexualité dans les médias, de la biphobie – qu’elle vienne de l’hétéronormalité ou des milieux LGBT –, de ces clichés de plans à trois et de lesbienne qui ne s’assume pas. J’aimerais sortir de la binarité du genre et de la sexualité. J’aimerais pouvoir dire “je suis bisexuelle” en étant sûre que la personne en face sache que c’est une sexualité aussi valide que si j’avais dit “je suis lesbienne” ou “je suis hétérosexuelle”. La bisexualité n’est pas une nuance de gris, c’est une couleur à part entière qui possède ses propres nuances.
L’année prochaine, je veux aller faire mes études dans une grande ville. Je compte sur l’anonymat et une plus grande diversité pour enfin me sentir plus libre d’être qui je suis. Cela me permettrait de militer un peu et de me déclarer publiquement à la fac et/ou au travail. De grandes avancées ! En revanche, je n’envisage toujours pas d’en parler à ma famille, je ne me sens pas prête. Je vois l’éloignement comme l’occasion de faire mon coming out sans risquer de les informer. On verra dans quelques années, peut-être quand j’aurai une relation sérieuse.
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau