Tchétchénie : 33 victimes de la purge contre les homosexuels dénoncent un crime contre l’humanité

Tchétchénie : 33 victimes de la purge contre les homosexuels dénoncent un crime contre l’humanité

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Par Mélissa Perraudeau

Publié le

Fin juillet, l’ONG Russian LGBT Network et le journal d’opposition russe Novaïa Gazeta ont publié un rapport accablant la Tchétchénie, qui mène une véritable opération de purge contre la communauté homosexuelle. Trente-trois anciens détenus y racontent les horreurs qu’ils ont vécues, pour dénoncer un crime contre l’humanité. Nous tenons à vous prévenir que ces témoignages peuvent être très choquants.

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Début avril, le journal russe Novaïa Gazeta dénonçait la purge menée contre la communauté homosexuelle par les autorités tchétchènes. Selon le directeur de l’ONG Russian LGBT Network, Igor Kochetkov, 300 à 400 homosexuels tchétchènes ont été emprisonnés et torturés dans des “prisons secrètes”. Le gouvernement tchétchène a nié ces exactions, affirmant qu’aucune persécution n’était en cours, puisque les personnes homosexuelles “n’existent pas” en Tchétchénie. Le président Ramzan Kadyrov s’est tenu à ce discours lors d’une interview mi-juillet – tout en tenant de terribles propos homophobes. Il y a quelques semaines, on apprenait pourtant que la persécution des homosexuels en Tchétchénie s’était intensifiée depuis la fin du ramadan. Novaïa Gazeta a publié une liste de 27 personnes qui auraient été exécutées sans procès.

Une série de témoignages insoutenables

Un rapport publié le 31 juillet par Russian LGBT Network, en coopération avec une journaliste de Novaïa Gazeta, Elena Milashina, fait le point sur cette véritable purge, retraçant son fonctionnement, ses victimes et les horreurs qu’elles ont subies… et continuent de subir. En quatre mois, plus de 130 personnes auraient appelé l’organisation à l’aide pour fuir le pays. Les 30 pages sont remplies des témoignages de 33 anciens détenus, et montrent trois vagues de violence successives depuis la fin 2016. La lecture de cette série de témoignages est difficile, tant les victimes ont enduré tortures, violences et humiliations. Électrocutions, coups sur tout le corps, privations d’eau, de nourriture et de sommeil… Têtu mentionne par exemple ce témoignage, dont l’auteur est désigné par les initiales K. L. :

“On nous a obligés à nous allonger par terre, les fesses en l’air, et chaque personne de la cellule devait nous frapper trois fois. Au fil de la semaine, il y avait déjà 18 personnes LGBT détenues ici et torturées. Le plus jeune avait environ 17 ans, et le plus vieux 47. On n’avait pas le droit de se laver. Certains détenus avaient des plaies ouvertes et la cellule commençait à sentir la viande pourrie.”

Les ex-détenus rapportent ainsi avoir été forcés de se frapper entre eux, de commettre les mêmes violences qu’ils subissaient eux-mêmes. L’un d’eux raconte qu’on lui a montré une vidéo d’un homme à qui l’on avait enfilé un “tube creux” dans l’anus, avant d’y introduire un fil barbelé. Une fois le tube enlevé, le fil barbelé était tiré “lentement”. Un autre a été étouffé et battu en même temps. Autant d’horreurs qui ne s’arrêtent pas forcément à la libération des détenus – pour ceux qui sont libérés.

Un crime contre l’humanité auquel participent familles et autorités

Les personnes jugées trop “importantes”, qui pourraient “apporter la honte sur les autorités ou l’administration”, sont en effet tuées. Les autres sont libérées après quelques semaines, voire un mois. Mais leurs familles sont alors poussées à “laver l’honneur par le sang”. Ce sont également ces dernières qui se font justice lorsqu’il s’agit de femmes lesbiennes. Le rapport raconte des coups et des tortures, allant jusqu’aux meurtres.

Les témoignages font mention d’une douzaine de morts, cette purge dépassant parfois les frontières de la Tchétchénie. Et les personnes qui survivent sont dans une condition physique et mentale critique : “Au moins trois d’entre eux ont tenté de se suicider”, précise le rapport, qui conclut qu’il s’agit bien d’un crime contre l’humanité.

D’autant que la situation, dramatique, dépend en partie de personnes haut placées. Trois fonctionnaires y sont formellement identifiés : le porte-parole du Parlement tchétchène Magomed Daudov (qui aurait clairement demandé aux familles qui retrouvant des détenus de les éliminer), le chef du ministère des Affaires étrangères de la Russie Ayub Kataev, et le dirigeant d’un groupe d’intervention contre le terrorisme, Abuzaid Vismuradov.

Avec ce rapport, Russian LGBT Network, qui explique avoir évacué 64 personnes, compte bien agir. Les témoignages compulsés dans le dossier serviront de preuves dans le procès que les organisations internationales de défense des droits humains vont intenter contre Ramzan Kadyrov auprès de la Cour pénale internationale.