Quand Edward Snowden parle de pénis dans un talk show américain

Quand Edward Snowden parle de pénis dans un talk show américain

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Par Thibault Prévost

Publié le

Le 6 juin 2013, Edward Snowden, révélait le programme de surveillance généralisée des communications du gouvernement américain. L’occasion pour John Oliver, l’animateur de Last Week Tonight sur HBO, de donner une leçon de pédagogie au célèbre lanceur d’alerte.
Si l’on vous tendait un micro à la dérobée en vous demandant de parler d’Edward Snowden, seriez-vous capable de répondre ? L’équipe de John Oliver, l’hilarant animateur de l’émission Last Week Tonight, a fait le test à Times Square.
Évidemment, les Américains en sont incapables. Pourtant, il y a bientôt deux ans, l’ex-informaticien de la NSA, l’agence de sécurité nationale américaine, rendait publics des milliers de documents classés top secret par son employeur, révélant au grand public l’existence de programmes de surveillance de masse. Ce même grand public qui, aujourd’hui, semble avoir complètement oublié que toutes ses communications sont potentiellement espionnées, récupérées et stockées par des agences gouvernementales.
Partant de ce constat, John Oliver change de stratégie: “Et si votre gouvernement avait le pouvoir de jeter un œil aux photos de votre pénis, seriez-vous d’accord avec ça ?” demande le journaliste aux mêmes passants de Times Square. Indignation générale des interviewés, qui semblent d’un seul coup prendre conscience des enjeux liés à la vie privée.
Moralité : quand surveillance rime avec serveurs, données et adresse IP, personne ou presque ne daigne se pencher sur le problème ; quand il s’agit de son pénis en MMS, par contre, la protection des données devient vite une priorité. Si la méthode est un peu rentre-dedans, elle n’en est pas moins efficace.

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“Je vous arrête Edward, je n’écoute plus”

Dans la seconde partie du show, l’animateur se rend en Russie, où se trouve réfugié le lanceur d’alerte, pour s’entretenir avec lui. D’emblée, l’interview prend un tour déconcertant : d’ordinaire plutôt avenant, Oliver se fait cassant, sarcastique, avant de carrément couper un Edward Snowden récitant en pilotage automatique son discours sur l’architecture des systèmes de surveillance.

Okay, je vous arrête, Edward, parce que tout le problème est là. Je n’écoute plus. C’est comme quand le type de l’informatique arrive dans mon bureau et que je me dis “Oh, merde… N’essaie pas de me montrer des trucs, j’ai pas envie d’apprendre”.

Et Snowden, pris au dépourvu, d’avouer qu’“il est difficile de communiquer sur des sujets qui requièrent des années d’expérience, et de les compresser en quelques secondes“. Et Oliver de rebondir alors sur l’épineux sujet de l’espionnage des photos de pénis, et de demander à l’informaticien d’énumérer le fonctionnement de chacun des grands dispositifs de surveillance des données en partant de la question suivante: “Ce programme peut-il permettre à quelqu’un de voir la photo de mon pénis, et comment ?”.
Imperturbable, Snowden se prête au jeu, répondant avec précision aux questions de l’animateur et avouant qu’il n’avait jamais pensé à formuler ses arguments de telle manière. Ce à quoi l’animateur, redevenu grave, répond que les photos intimes sont l’argument le plus concernant,“la ligne la plus visible dans le sable” pour son public. Fin de la démonstration.

John Oliver, salutaire donneur de leçons

Entre l’homme de médias et le lanceur d’alerte, la différence est abyssale. Quand l’un sait parfaitement comment capter l’attention de son auditoire en mêlant habilement contenu informatif, vulgarisation et divertissement, l’autre, pourtant au cœur de l’un des sujets les plus importants de notre époque, peine à se faire comprendre et transmettre son message.
Comme l’explique bien Daniel Schneidermann dans un article d’Arrêt sur images consacré au sujet, la leçon de communication que donne John Oliver ne s’adresse pas qu’à Edward Snowden et son lexique d’ingénieur informaticien. Elle s’adresse aussi à son propre public, qui s’esclaffe tout au long de la vidéo alors même que le sujet est terrifiant ; interroge les journalistes qui, sur ce genre de sujets, zigzaguent entre le devoir d’informer et la nécessité de plaire ; interpelle enfin le grand public, premier à se plaindre de l’appauvrissement du contenu médiatique tout en râlant quand l’information devient trop complexe à appréhender, sur sa capacité critique.
En attendant, le buzz est réussi, et à l’heure de la possible prolongation du Patriot Act, qui permet à la NSA de développer ce genre de programmes, le débat de la protection des données est relancé. En témoigne ce site, créé le lendemain de l’émission et joliment nommé “peuvent-ils voir mon pénis.com“, qui résume de manière claire et intelligible les différentes sections du Patriot Act… sans oublier de filer la métaphore pénienne.