Laurent Wauquiez a-t-il le droit d’envoyer des textos de rentrée aux lycéens de sa région ?

Laurent Wauquiez a-t-il le droit d’envoyer des textos de rentrée aux lycéens de sa région ?

Image :

LILLE, FRANCE – DECEMBER 04: French right-wing Les Republicains (LR) party vice-president and candidate for the party’s presidency Laurent Wauquiez delivers a speech during a campaign meeting on December 4, 2017 in LILLE, France. (Photo by Sylvain Lefevre/Getty Images)

photo de profil

Par Thibault Prévost

Publié le

À voir aussi sur Konbini

La Cnil va demander “des précisions”

Pour l’élu d’opposition, qui dit se réserver le droit “de saisir la Cnil”, “Laurent Wauquiez utilise pour sa communication politique personnelle des informations destinées à la région en tant qu’institution”, une pratique évidement contraire à la loi.
Rien de tel pour la région, qui y voit un simple “message de bienvenue” envoyé aux lycéens inscrits au service Pass’Région et, précise-t-on, ayant coché une case dans laquelle ils acceptaient de recevoir “des informations liées aux dispositifs régionaux”. Autre argument (plus étrange) brandi par la région : la pratique n’a rien de nouveau, puisque l’envoi de ce type de texto avait déjà lieu “les années précédentes”.
Finalement interpellée par la polémique, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) a annoncé à l’AFP qu’elle allait “se rapprocher de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour demander des précisions”. Elle précise que “de manière générale les données ne doivent pas être réutilisées pour des finalités non prévues”, mais explique également n’avoir encore reçu aucune plainte à la date du 5 septembre.
Très bien, mais tout cela ne répond pas à la question la plus pressante soulevée par cette initiative bizarre : Laurent Wauquiez a-t-il légalement le droit de piocher dans le répertoire de Pass’Région pour envoyer des textos aux lycéens, et si oui, en vertu de quel dispositif ?

Une question d’interprétation

La lecture des conditions générales d’utilisation (CGU) de la plateforme Pass’Région, pour commencer, ne nous aide pas à trancher. On apprend que “les données à caractère personnel collectées sur ce site sont destinées aux services de la région” et, plus loin, que “les informations nominatives sont exclusivement collectées pour un usage interne à la région, non commercial, et elles ne pourront faire l’objet d’aucune transmission à des tiers”.
Techniquement, lorsque Wauquiez envoie le texto aux lycéens, c’est la région qui s’exprime, via son plus haut représentant. D’autre part, le message est suffisamment neutre pour ne pas accuser le président des Républicains de venir faire coucou à un électorat en puissance, qui sera mûr pour le scrutin régional de 2021. Vraiment ?
Au fond, si la Cnil doit rendre une décision, tout sera question d’interprétation. L’utilité du message, tout d’abord, est discutable : rentre-t-il dans le cadre des “informations liées aux dispositifs régionaux” que les lycéens avaient bien acceptées de recevoir lors de leur inscription ? Difficile à prouver. On ne voit pas quelle information la région (ou son président) communique aux lycéens en leur souhaitant une bonne journée.
Autre point de friction : le manque de transparence. Si les CGU du site avaient clairement averti les lycéens qu’ils pouvaient recevoir des textos de Laurent Wauquiez au petit matin, le nombre de numéros de téléphone récoltés aurait probablement diminué. On ne le saura jamais, puisque ce n’est écrit nulle part.

Un petit coucou qui fleure bon la propagande politique

Autre question ouverte à l’interprétation : la teneur du message en lui-même. S’agit-il d’un message à visée politique ? Difficile de trancher. Si le message était signé par “le président de région” ou “la région”, il n’y aurait aucun débat, mais l’aspect nominatif de la signature peut laisser à penser que le message est une manière de se rendre présent auprès de ses futurs électeurs, en utilisant des ressorts que d’autres élus ne possèdent pas, ce qui représenterait un usage illicite de bases de données personnelles.
Soit, en vertu de l’article 226-21 du Code pénal, un délit puni de cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Et Laurent Wauquiez n’en est pas à sa première polémique : lors de sa campagne régionale de 2015, rappelle Le Monde, le candidat avait déjà utilisé des bases de données de numéros téléphoniques pour appeler les habitants de la région via un message vocal automatique, qui lui avait valu un rappel à la loi de la part du gendarme du numérique.
Pour Nicolas Chagny, président de l’Internet Society France contacté par Konbini, la décision doit également prendre en compte le Règlement européen de la protection des données (RGPD), censé protéger les utilisateurs de services en ligne contre ce genre de dérive: “le ciment des nouvelles règles sur les données […] est la confiance et la précision quant à l’usage et la finalité des traitements de données. Cela signifie qu’on ne peut utiliser une donnée que pour ce pour quoi on l’a recueillie précisément”, à savoir pour envoyer aux lycéens des “bons plans” sur la région. Ici, pour Nicolas Chagny, “le message en question ressemble plus à un message politique qu’à un bon plan.” Dans le cas de Laurent Wauquiez, président des Républicains et probable futur candidat à la présidence du pays, le doute est largement permis.