Les sites web djihadistes sont-ils vraiment une menace pour nous ?

Les sites web djihadistes sont-ils vraiment une menace pour nous ?

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Par Arnaud Pagès

Publié le

Que sait-on exactement sur les sites internet liés à Daech ? Nous avons tenté de répondre à cette question avec précision grâce à l’aide de Romain Caillet, chercheur sur les questions liées à l’islamisme.

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Si pour le commun des mortels, la consultation de sites appelant à la guerre sainte n’est pas une activité naturelle, il n’en va pas ainsi pour tout le monde. Emboîtant le pas à son grand frère taliban qui, des années avant lui, avait lancé son propre site et inspiré la création de dizaines d’autres, Daech a commencé à mettre en œuvre dès la fin des années 2000 une vaste nébuleuse djihadiste 2.0.

Après la première vague d’attentats qui a frappé la France en janvier 2015, le gouvernement avait tapé du poing sur la table et fait bloquer une première liste de sites djihadistes jugés dangereux, du jamais vu en France. Les sites visés étaient alhayatmedia.wordpress.com, jihadmin.com, mujahida89.wordpress.com, is0lamanation.blogspot.fr, et islamic-news.info.

Les sites supplantés par les réseaux sociaux

Malgré tout, les attentats du 13 novembre dernier n’ont pas permis de démontrer un lien existant entre ces crimes et les sites djihadistes. Peut-être parce qu’en 2015, leur capacité de nuisance s’est considérablement réduite. Romain Caillet, chercheur et spécialiste de l’islam radical, nous explique :

Il y a en réalité assez peu de sites djihadistes. Aujourd’hui, ce sont principalement Facebook et Twitter qui sont utilisés par Daech à des fins de propagande et d’embrigadement. Il n’y a plus que quelques forums djihadistes en langue arabe à destination d’un public “VIP”, sur lesquels il est de toute façon très compliqué de s’inscrire.

Délaissant les sites traditionnels, la plupart des djihadistes ont basculé vers les réseaux sociaux, notamment parce que ceux-ci offrent plus de possibilités pour rentrer facilement en contact avec de futurs candidats au djihad et qu’ils sont très massivement utilisés.

Par ailleurs, les sites sont plus facilement traçable qu’un compte utilisateur, et ils sont devenus au fil des ans le terrain de chasse favori des services de renseignement. Leurs webmasters se doivent de nos jours de prendre des précautions, selon Romain Caillet :

Avant, pour les sites français, il y avait des forums qui étaient administrés par des gens qui vivaient en banlieue, qui vivaient en France voire au maximum qui vivaient en Angleterre. Je n’en ai pas connu dont les auteurs étaient réellement anonymes ou cachés.

Par contre il y a eu un certain nombre de forums djihadistes jusqu’en 2010 sur lesquels les gens prenaient des précautions pour ne pas être tracés et identifiés. Parfois ils commettaient une imprudence, ils étaient identifiés par les services de renseignement et ils étaient arrêtés. Ça pouvait aller très vite.

Propagande et esprit communautaire

Nous, Occidentaux, sommes désormais habitués à la propagande sanglante que Daech diffuse par le biais des médias de masse ou via YouTube. Egorgements, meurtres, torture… On pourrait s’attendre à retrouver peu ou prou le même type de contenu sur ces sites que sur feu Rotten, entre l’onglet bain de sang et l’onglet têtes coupées. Dans leur écrasante majorité, la fonction première de ces sites semble être ailleurs, selon Romain Caillet :

Ces sites publient des ouvrages du courant djihadiste ainsi que des articles idéologiques. Ils possèdent généralement un forum qui permet à des communautés de se structurer. C’est un point important. On retrouve essentiellement de la propagande et un esprit communautaire djihadiste.

Ces plateformes de propagande servent à Daech pour diffuser le cœur du message djihadiste. Celui qui s’appuie sur des textes et sur tout le corpus culturel qui découle de l’islamisme, discours, ouvrages, chants. Ce sont donc surtout des vitrines culturelles, et pas principalement le mètre étalon de leur barbarie.

Une façon “respectable” de mettre en avant leurs idées et de les diffuser à un public ciblé, loin de la viralité des réseaux sociaux ou de l’audience importante qu’une vidéo obtiendra grâce à sa difffusion sur un média occidental. Sans doute conscients de la traçabilité de leurs serveurs, les djihadistes de Daech cherchent surtout à recruter sans choquer :

La majorité des vidéos de propagande produites et diffusées par Daech parlent surtout de la vie courante dans l’Etat Islamique. C’est quasiment des spots de pub. Elles ont pour but d’inciter les gens à les rejoindre. Il n’y que très peu de vidéos d’égorgement. 75% du discours islamiste sur Internet se compose de textes, de chants, d’articles et de livres, d’après Romain Caillet.

Un lectorat très divers

Au vu de tous ces éléments, on pourrait penser que ces sites servent malgré tout à fédérer une communauté djihadiste au niveau national, en quête d’une source d’information interne accessible en un clic. Pourtant, le public qui les consulte n’a rien à voir avec l’image d’Épinal du djihadiste scotché devant son écran, tenant sa kalach dans une main et sa souris dans l’autre. On retrouve des profils extrêmement variés, détaille Romain Caillet.

Il y a des experts, des chercheurs, des universitaires, des journalistes, des curieux. Plus étonnant, il y une proportion importante de lecteurs qui viennent de sites islamophobes en lien direct avec l’extrême droite. Ils cherchent des arguments pour valider leur discours sur l’islam. Ils viennent se frotter à la littérature djihadiste pour trouver du contenu qui va nourrir leur discours sur l’islam et montrer que c’est une religion guerrière. Après il y a aussi bien sûr des djihadistes. C’est d’abord pour eux que ces sites existent.

Des mesures légales préventives

Source d’information directe et facilement accessible, ces sites témoignent d’abord et surtout des évolutions du mouvement djihadiste et sont un outil précieux pour ceux qui cherchent à les étudier ou à les combattre. L’image quasi diabolique que l’opinion publique s’est forgée d’eux est erronée. Ils ne sont plus les principaux nœuds numériques de l’embrigadement et de la radicalisation, ce qu’ils furent pourtant bel et bien à une époque.

Pourtant, malgré leur influence réduite, les sites djihadistes ont tout récemment fait l’objet d’une mesure prise par les députés qui autorise leur “blocage accéléré” sans contrôle d’un juge, grâce à l’état d’urgence toujours en vigueur. On peut donc s’étonner. “Je pense qu’ils sont parfaitement au courant de la situation, nous dit Romain Caillet. C’est comme vouloir pénaliser la consultation de ces sites. Le public qui regarde des vidéos d’égorgement est quand même très limité !”

Au vu de la migration des djihadistes vers les réseaux sociaux et de la faible influence désormais avérée des sites djihadistes dans la commission des attentats, les mesures prises par le gouvernement tiennent plus de la prévention qu’autre chose. Le danger réel que représentent ces plateformes est aujourd’hui presque nul, alors qu’un niveau de surveillance élevé a été maintenu sur la Toile et que l’exécutif s’est doté de moyens exceptionnels pour neutraliser toute menace. Ce qui ne doit pas nous empêcher, citoyens comme autorités, de rester vigilants.