Amine Bendriouich, le créateur “berberlinois” à la pointe de l’avant-garde marocaine

Amine Bendriouich, le créateur “berberlinois” à la pointe de l’avant-garde marocaine

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Par Manon Baeza

Publié le

Rencontre avec Amine Bendriouich, le créateur marocain qui ne fait rien comme les autres.

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Amine Bendriouich a lancé son label éponyme en 2012 alors que l’industrie de la mode était encore peu développée au Maroc, et depuis, son ascension au sein de la fashion sphère ne cesse de s’accroître. Dès ses débuts, le créateur a souhaité se démarquer de ses confrères maghrébins en revisitant la notion d’héritage à travers une mode contemporaine.

Effectivement, pas de caftans, peu de couleurs vives et peu de motifs orientaux. Non, Amine Bendriouich opte pour une mode moins “folklorique”, et joue depuis toujours avec les volumes. Portrait et rencontre avec Amine Bendriouich, figure de proue de la scène culturelle marocaine.

“ADNA”, ou l’apogée d’un travail mêlant éthique et esthétique

Amine Bendriouich a toujours travaillé avec l’artisanat local, “la question ne s’est jamais vraiment posée, c’était une évidence pour moi, ça a toujours fait partie de mon ADN”, nous confie-t-il. En septembre dernier, loin de toute la frénésie des Fashion Weeks, le designer marocain présentait sa nouvelle collection baptisée “ADNA”, à Marrakech. Une nouvelle collection qui lui tient tout particulièrement à cœur car “elle représente qui je suis et les valeurs que je prône“, nous explique-t-il.

“Cette collection, c’est le reflet de tout ce que j’ai pu apprendre en mode depuis mes débuts, elle mêle toutes mes connaissances en termes de matières et motifs.”

En effet, “ADNA” c’est une collection qui s’avère être une réelle expérience immersive, une collection qui “vous emmène dans le monde de [s]a création“, précise-t-il. Au-delà d’être une lettre ouverte, pour le designer “ADNA”, c’est également une collection qui prouve avec brio que l’industrie de la mode et l’artisanat peuvent très largement (et devraient) cohabiter.

Une mode symbolique et politique

Si la mode d’Amine Bendriouich était principalement monochrome à ses prémices, “j’avais peur de la couleur“, nous dit-il, aujourd’hui le créateur ose plus aisément jouer avec les couleurs et les motifs. Et sa création tend à s’orienter vers plus d’inspirations culturelles locales, mais contemporaines, précise-t-il.

En effet, ce qui inspire sa mode, ce sont avant tout les situations sociales actuelles, et cela inclut aussi bien la musique que la politique. De ce fait, afin d’être le plus en accord avec ce à quoi il aspire, le designer marocain s’est dirigé vers :

“Une intégration de l’artisanat marocain de plus en plus présent, en trouvant un bon équilibre afin de ne pas tomber dans le spectre folklorique de la mode marocaine.”

Dans ses collections, tout a un sens et une symbolique, aussi bien les couleurs, que les coupes et les motifs. Et ce très savoureux mélange – qui mêle à la fois héritage, nostalgie et esthétique futuriste – dévoile une mode afro-futuriste à la pointe de l’avant-garde nord-africaine.

Si l’Occident a toujours puisé son inspiration dans cet héritage culturel, comme en témoigne le travail d’Yves Saint Laurent dans les années 1970, Amine Bendriouich vient prouver que la scène créative marocaine est en pleine effervescence et ne cesse de se réinventer.

Amine Bendriouich, ou l’âme d’un “berberliner”

Si on ressent une inspiration aussi multiculturelle dans le travail d’Amine Bendriouich, c’est incontestablement dû à son parcours de globe-trotteur. Effectivement, au-delà de sa curiosité débordante et de ses nombreux voyages, Amine a passé deux ans à Berlin.

C’est au sein de cette ville cosmopolite que ledit créateur a eu comme une révélation, un déclic dans son travail. Cette ville, d’une richesse culturelle bouillonnante, qui prône une liberté déconcertante, des soirées à outrance et une mode excentrique assumée avec un “je-m’en-foutisme” constant, lui a aussi permis d’aborder sa mode avec une nouvelle approche.

En effet, cette ambiance atypique a fait de son expérience berlinoise une sorte de cataclysme dans sa vie. Très vite, Amine s’est presque noyé dans la masse : “je me suis vite senti comme un Berlinois“, nous confie-t-il. En expliquant que, selon lui, être un Berlinois, c’est être quelqu’un qui respecte et contribue à la scène berlinoise.

Là-bas, les femmes portaient des immenses écharpes noires agrémentées de broderies colorées, plus folles les unes que les autres, nous narre-t-il. Chaque symbole brodé avait une signification qui lui était propre, telles que des relations sexuelles épanouies, ou encore, la fertilité.

La religion et l’extravagance pouvaient donc ne faire qu’un, et le tout dévoilait une création esthétique qui se différenciait de la masse. Berlin, c’est une vision de la vie atypique, qui a conduit Amine à s’autodéfinir comme un “berberliner”.

“Car je ne suis pas arabe, mais un berbère fier de ses origines, et qui participe à la scène berlinoise”, nous explique-t-il.

Le Maroc : une scène culturelle pluridisciplinaire et dynamique

S’il est encore difficile pour les artistes marocains, voire maghrébins, de se faire connaître à l’international, ils n’en restent pas moins talentueux que leurs compères européens et américains. Bien au contraire.

Effectivement, toute cette effervescence de la scène artistique maghrébine incite le monde de la mode et de l’art à puiser son inspiration dans cet héritage culturel oriental, et cela n’est pas anodin. Loin de là. Depuis quelques années déjà, on remarque que la scène artistique africaine, et tout particulièrement maghrébine, se fait de plus en plus voir et entendre.

Hassan Hajjaj, photographe reconnu et adulé par le monde de l’art, vient prouver que son esthétique pop-punk n’a rien à envier à d’autres artistes. Celui-ci s’expose d’ailleurs en ce moment même à la Somerset House, à Londres, jusqu’au 7 janvier 2018.

De plus, Amine Bendriouich nous explique que de nombreux peintres ont leurs ateliers aux alentours de Marrakech, et tous connaissent un franc succès, nous confie-t-il. Le rap marocain est lui aussi en plein boom, tout comme les festivals de musique qui ont fait leurs preuves. Enfin, le Festival du film de Marrakech vient s’affirmer comme étant un rendez-vous immanquable pour tous les cinéphiles.

La mode, un pan à part entière de la culture marocaine

Si auparavant les Marocains étaient principalement vêtus de noir, aujourd’hui, notamment grâce aux instagrammeurs et blogueurs, on décèle une multitude de profils, remarque le créateur. Ce développement de la mode auprès des jeunes est dû à plusieurs facteurs, mais Amine vient souligner que les nombreux jeux concours organisés pendant les festivals y sont pour beaucoup, car ils ont incité la jeunesse à s’exprimer, par leur style.

Enfin, si le Maghreb est une source d’inspiration régulière pour la scène culturelle internationale, le Maroc détient lui aussi ses propres influenceurs. Un blog tel que Fashion MinTea, détient une véritable influence sur la jeunesse marocaine, nous livre le créateur. Il vient ajouter :

“Il y a une scène mode, peut-être pas comme en Europe de l’Est, mais il y en a une, c’est certain. D’autant plus que la mode a toujours fait partie de la culture marocaine, elle a toujours été omniprésente dans notre vie. Quand tu viens au Maroc, tu es submergé par toute cette explosion de couleurs et de motifs. Pour les Marocains, c’est quelque chose que l’on a en soi, donc forcément cela influence notre création.”

Aujourd’hui, la scène marocaine a pris une nouvelle tournure, dans le sens où les artistes peuvent s’exprimer avec plus de liberté, de la façon qu’ils le souhaitent.

Enfin, des créateurs tels que Hassan Hajjaj et Amine Bendriouich permettent de prouver que le Maroc n’a rien à envier à ses voisins, et qu’aujourd’hui, tous ces nombreux artistes émergents signent l’arrivée d’un nouveau courant tel que l’afro-futurisme, à la pointe de l’avant-gardisme artistique.

Amine Bendriouich, une mode inspirante en pleine émergence

La marque de fabrique d’Amine Bendriouich, c’est le fait de faire passer le vêtement avant tout, et le désir de ne pas s’imposer le rythme insoutenable de la sphère mode. En effet, le créateur vient préciser que ses collections ne dépendaient non pas du calendrier (totalement absurde) de la mode, mais des moyens et des matières qu’il avait à portée de main.

Et sa décision a fait ses preuves, car aujourd’hui, Amine possède déjà une clientèle prestigieuse, comptant notamment Usher ou Alicia Keys.

Il vient préciser :

“Disons que ma collection ‘ADNA’, que j’ai présentée à la presse en septembre, s’avère être la première fois où j’essaie vraiment de me caler sur le calendrier officiel. Et ce, dans une perspective de développement. J’essaie de trouver un équilibre qui marche.”

Pas de compétition directe, pas de dîners gargantuesques et pas de soirées huppées parisiennes. Non, Amine a souhaité rester fidèle à ce à quoi il aspire depuis ses débuts, en faisant passer la qualité du vêtement au-delà des strass et des paillettes, et donc, présenter sa collection en petit comité. Et rien qu’en prenant cette décision, Amine vient prouver son avant-garde évidente.

Lorsqu’on demande à Amine comment il voit la mode dans dix ans, ce dernier nous répond :

“Je vois plus de couleurs. Cette tendance des costumes noirs va créer une inflexion inverse, c’est toujours comme ça. Je pense que les gens iront aussi vers plus de diversité. Je vois également un retour inévitable vers un équilibre entre l’artisanat et l’industrie, ça ne peut pas continuer de la sorte. Je pense que la mode va beaucoup plus se démocratiser en devenant moins élitiste. Du moins, je l’espère”, conclut-il.

Amine Bendriouich, c’est une mode qui mêle avec brio nostalgie berbère et coupes afro-futuristes, le tout, agrémenté d’un savoureux “je-m’en-foutisme”, façon berlinoise. Un mélange exquis et atypique, qui vient prouver que le Maroc détient lui aussi une place plus que légitime au sein de la mode.

Amine Bendriouich, collection “ADNA”.