Aux États-Unis, des ouvriers privés de pause sont obligés de porter des couches

Aux États-Unis, des ouvriers privés de pause sont obligés de porter des couches

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Après trois ans d’enquête aux États-Unis dans les plus grosses firmes de production de volaille, l’ONG Oxfam America tire la sonnette d’alarme. Des centaines de milliers d’employés à la chaîne y travaillent dans des conditions d’hygiène et de dignité pitoyables. 
Non, ce n’est pas une blague et d’ailleurs ce n’est pas franchement drôle. Et si l’on avait voulu imaginer un monde dans lequel l’hyerproductivité est poussée à son paroxysme, nous n’aurions peut-être pas eu autant d’imagination ! Bienvenue dans un mauvais roman d’Orwell dans lequel des supérieurs hiérarchiques sous la pression d’une productivité sans limites empêchent leurs subordonnés d’aller pisser.
Travailler plus et plus vite, tel est le leitmotiv des quatre plus grandes firmes américaines qui se partagent 60 % du marché du poulet “bas de gamme”, en plein boum aux États-Unis. La conséquence se répercute directement sur les employés à la chaîne, privés de pause, même pour des besoins les plus élémentaires. Des dizaines d’employés et ex-employés affirment avoir dû porter des couches, las de s’uriner et de se déféquer dessus et n’osant pas insister pour se rendre aux toilettes, de peur d’être lourdement sanctionnés.

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Un climat de peur

Depuis plusieurs année, Oxfam enquête sur la condition des travailleurs des usines de poulet aux États-Unis. Un précédent rapport datant de 2015 et intitulé “Lives on the Line: The Human Cost of Cheap Chicken” (Des vies à la chaîne : le coût humain du poulet bas de gamme) dénonçait déjà le sort des 250 000 travailleurs précaires de cette industrie : bas salaires, taux élevé de maladies et d’accidents du travail, et le règne de la peur.
L’exemple le plus emblématique, car sans doute le plus choquant vis-à-vis de la dignité humaine, concerne l’interdiction de pause pendant les heures de travail sous prétexte d’être toujours plus productif. Une humiliation qui n’est pas non plus sans conséquence sur la santé comme l’explique le rapport :

“Les travailleurs de l’industrie de la volaille sont privés de pause toilettes quotidiennement. Leurs supérieurs se moquent de leurs besoins et ignorent leurs demandes ; ils les menacent de sanctions ou de licenciement […]. Les employés s’urinent ou se défèquent dessus alors même qu’ils travaillent sur la chaîne ; ils portent des couchent pour travailler ; se retiennent d’aller aux toilettes à un degré dangereux ; ils endurent la souffrance et l’inconfort alors même qu’ils s’inquiètent pour leur santé et leur emploi […]. Ils s’exposent ainsi à de sérieux problèmes de santé.”

Une situation délirante, face à laquelle les femmes sont encore plus vulnérables notamment en périodes de règles et de grossesse, ce qui les expose à des infections à répétition. Les travailleurs immigrés illégaux sont également des proies de choix. Une ancienne employée décrit un quotidien “marche ou crève” : “J’étais toujours effrayée de quitter la chaîne parce que j’avais peur qu’ils me licencient ; comme ma situation était irrégulière, j’essayais de prendre sur moi.

Quand une dérive devient la norme

Loin d’être des cas isolés, les nombreux témoignages de salariés recueillis par Oxfam et croisés avec ceux d’avocats et d’expert médicaux, font écho à ce qui serait devenu la norme aux États-Unis. Une précédente étude menée auprès de 266 travailleurs en Alabama montrait que 80 % d’entre eux n’étaient pas autorisés à aller aux toilettes quand ils le souhaitaient. Une autre étude menée dans le Minnesota révèle quant à elle que 86 % des travailleurs interrogés n’ont le droit qu’à deux “pauses pipi” par semaine !
Les témoignages sont sidérants et accablant, notamment pour la société Tyson Foods, leader du marché de la viande. L’un d’entre eux décrit ainsi son quotidien : “Notre supérieur se moque toujours de nous. Il dit que l’on mange trop et que c’est pour ça que l’on va trop aux toilettes.” Malgré un travail très physique, les employés affirment en arriver à diminuer leurs repas : “[Les chefs] nous disent : ‘Ne bois pas et ne mange pas beaucoup – sinon, tu vas devoir aller aux toilettes cinq fois par jour.’”  Sans oublier les remarques déplacées envers les travailleurs immigrés et les femmes. Une employée dans le Mississippi affirme même que ses supérieurs lui demandent un bakchich en échange d’un bref accès aux toilettes.
Ce rapport montre comment – en surfant sur l’omerta de la honte, de la pauvreté et de l’immigration illégale – des dérives se sont installées dans le quotidien de centaines de milliers de travailleurs, en violant quotidiennement le code du travail américain. Seules deux multinationales sur les quatre incriminées ont répondu à Oxfam, expliquant ne pas être au courant des faits mais affirmant prendre ces allégations très au sérieux. En attendant, Oxfam lance une campagne de sensibilisation sur Twitter avec le hashtag #GiveThemABreak.

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