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Pourquoi le “tampon connecté” est une fausse bonne idée

Pourquoi le “tampon connecté” est une fausse bonne idée

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Le dispositif my.Flow vise, selon ses inventeurs, à éviter les éventuels embarras que peuvent provoquer les règles. Véritable confort ou gadget inutile ? 

Relier un tampon connecté à une application et un bipeur pour rester informée en temps réel du flux de ses menstruations : tel est le concept, pour ne pas dire la mission, développé par la start-up my.Flow. Pour Amanda Brief et Jacob McEntire, les concepteurs du projet, l’idée est bien de changer de paradigme afin que les femmes reprennent le contrôle de leurs règles et que cette période ne soit plus synonyme de handicap. Une bonne intention qui soulève des questions.
Les chiffres sont éloquents: 17 % des femmes et jeunes femmes à travers le monde ne se rendent pas au travail ni à l’école – ou évitent même de sortir – pendant leurs règles de peur que cela se voie. Appréhension d’une stigmatisation ou manque d’accès à des protections menstruelles, les raisons sont diverses. Les pays les plus défavorisés ne sont pas systématiquement les plus concernés : une étude menée au mois de mars 2016 montrait notamment que le Brésil et l’Australie étaient les deux États dans lesquels les femmes étaient les plus susceptibles de renoncer à un événement, une sortie ou un rendez-vous pendant leurs règles de peur “que quelqu’un ne s’en aperçoive”.
Bref, les règles sont l’apanage de 50 % de la population mondiale, cinq jours par mois en moyenne et personne ne doute que cela ne soit pas une sinécure, voire un tabou (bouh, le sang c’est sale!). Mais fallait-il vraiment, pour nous sauver, aller jusqu’à créer un objet électronique accompagné d’une énième application sophistiquée?  Pas sûr …

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  • En finir avec l'”empowerment” à toutes les sauces

Grand mot à la mode, l‘”empowerment” (émancipation) des femmes est LA thématique récurrente pour faire de la femme l’égal de l’homme. Empowerment par l’éducation, accès à des postes à responsabilité ou l’égalité salariale … L’empowerment des femmes est partout (et tant mieux) !
Mais peut-on vraiment qualifier un dispositif de surveillance du flux des règles de moyen d’empowerment pour les femmes comme le font ses inventeurs ? Certes, cela permet de lutter contre le syndrome du choc toxique, maladie rare et infectieuse causée par une bactérie susceptible de se développer dans un tampon porté plus de huit heures d’affilée.
Mais est-ce vraiment s’émanciper que de devoir compter sur un objet ultramoderne plutôt que d’utiliser tout bonnement son cerveau ? OK, cela arrive de ne plus se souvenir exactement de l’heure à laquelle on a mis son tampon, mais globalement notre mémoire fait le job. Ce my.Flow apparaît dès lors comme un gadget faisant appel à un empowerment de circonstance, comme un mot que l’on place ici ou là pour “faire bien” et donner de la consistance à un objet pas aussi pertinent qu’il veut paraître.

  • Un objet qui contrôle (encore) le corps de la femme 

Si l’initiative de my.Flow est louable – apporter une solution à un véritable tabou social qui touche des femmes du monde entier –, pas sûr qu’elle aille nécessairement dans le bon sens. La stigmatisation qui touche les femmes pendant leurs règles est un problème existant et réel. Mais la solution ne se situerait-elle pas plutôt dans un travail de dédiabolisation des règles plutôt que dans un énième moyen pour les contrôler?
Résumons : pour aider les femmes à mieux vivre leur règles, la solution serait donc de les avertir en temps réel de leur flux par un décompte angoissant : “Attention, votre tampon est plein à 75 %, ne tardez pas à trouver des toilettes !” Puis le baromètre affichera rouge : “Tampon plein à 90 %, S.O.S.” Et nous voici, en plein rendez-vous, l’index vissé à notre petit boîtier, la goutte de sueur perlant sur la tempe.
Finalement, cette “invention” apparaît davantage comme un instrument de contrôle ultrasophistiqué des règles plutôt que comme un objet d’émancipation réel des femmes qui influerait sur le problème majeur : le regard de la société sur les règles. Il serait également bon de noter que la majorité des femmes dans le monde n’utilise pas de tampon, nombre d’entre elles préférant les serviettes hygiéniques. Le dispositif my.Flow ne séduira donc pas tout le monde.
Par ailleurs, beaucoup de femmes n’ont, aujourd’hui encore, pas les moyens d’investir dans des protections périodiques – une étude fixait récemment le coût des règles dans le vie d’une femme à 23 500 euros. Toutes ne pourront donc pas débourser 50 dollars (environ 44 euros) pour ce dispositif, qui laissera donc à la marge beaucoup de femmes, et en particulier les plus défavorisées.

  • L’hyperconnexion n’est pas une solution à tous les maux  

Nec plus ultra du XXIe siècle, le coaching virtuel prétend nous rendre la vie plus douce à coups de bracelet Fitbit pour garder la forme ou de montre iWatch pour ne plus jamais rater un email. Mieux dormir, être en meilleure forme, bouger plus, manger mieux … Les objets fleurissent  sur le marché pour nous faciliter la vie, prétendant que la technologie est la solution à tous nos maux.
Le my.Flow apparaît dès lors comme la dernière-née de ces inventions de l’hypercontrôle de son corps, prétendument salvatrices alors qu’elles ne font que nous enfoncer dans une dépendance technologique en dehors de laquelle nous vivions très bien jusqu’à présent. Combien d’objets faudra-t-il nous coller à la peau (et pourquoi pas bientôt sous la peau), pour maximiser notre “expérience de vie” ? Pendant des siècles, nous avons su dormir et manger correctement sans qu’un écran vissé ici ou là ne vienne nous dire le contraire. Il semblerait donc aberrant qu’un objet connecté enfoncé dans son vagin soit l’avenir de l’épanouissement et de l’émancipation de la femme.