“Je n’ai plus un seul cheveu, poil, sourcil ou cil” : récit d’une jeune femme atteinte d’une maladie méconnue

“Je n’ai plus un seul cheveu, poil, sourcil ou cil” : récit d’une jeune femme atteinte d’une maladie méconnue

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Par Konbini

Publié le

Sarah est une jeune femme de 28 ans atteinte de pelade, une maladie inflammatoire auto-immune des follicules pileux. Konbini a voulu partager son touchant témoignage.

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J’ai 12 ans. Plutôt timide, hypersensible, un appareil dentaire récent posé dans ma bouche, je viens de rentrer en classe de 6e. La puberté arrive, et comme si ce n’était pas déjà assez, s’y ajoute une maladie. Une maladie méconnue et floue.

Je ne comprends pas ce qui m’arrive, je perds mes cheveux en masse, sur la brosse, sur mon oreiller, partout et même dans l’aquarium des poissons. Six mois après je n’avais plus rien, plus un seul cheveu.

Il y a différents stades d’alopécie ou de pelade. Je passe du stade 1, où l’absence de cheveux se résume à quelques plaques, au stade 4. La totale, plus de poils, plus de cheveux, plus de sourcils, ni de cils: plus rien. Nada. Mon corps ne fait rien à moitié : je n’ai plus aucune pilosité.

C’est en décembre 2003 que j’ai su ce qui se passait. Je suis assise en face d’un dermatologue qui explique à ma mère, suite à la parution de deux plaques sans cheveux dans ma tignasse châtain, que j’ai ce qu’on appelle une pelade. La pelade est une maladie inflammatoire auto-immune des follicules pileux, elle entraîne une perte des cheveux et des poils. Ça ne prévient pas, ça peut arriver à n’importe quel moment de la vie.

La quête de la repousse

Les quatre prochaines années de ma vie seront centrées sur la quête de la repousse. Je vais passer cette longue période à faire des batteries de tests, des traitements à tout va, qui vont plus me flinguer le moral et la santé.

Ma pelade se déclenche suite à un choc émotionnel, alors on va me balader de psychologue en psychologue pour trouver la source du problème. Je n’ai pourtant pas eu plus de problème que la plupart des gamins de mon âge. Une famille, des amis, j’habite au bord de mer et tout va bien. Pour que je me confie, tu peux toujours courir…

Mes parents vont beaucoup culpabiliser en se demandant ce qu’il a bien pu se passer. Les voir culpabiliser va du coup me faire culpabiliser. Le regard des autres va être atroce à vivre : les enfants , les parents, les inconnus et les camarades de classe.

Je vais refuser de porter une perruque et je vais porter un foulard au quotidien car je continue de croire à la guérison à coups de séances de puvathérapie et autres médicaments.

Comme j’habite en Bretagne, mes grands-mères vont souvent me prendre des rendez-vous avec des magnétiseurs. Je vais me retrouver chez une dame dans une maison en pleine forêt qui va me prescrire un régime alimentaire pour stimuler la repousse des cheveux à base de petits déjeuners sandwich jambon en partant d’une photographie de l’iris de mon œil…

Psychologiquement, je me sens carrément handicapée. Je ne fais plus de shopping car mon corps, je le déteste. Je vais retourner tous les miroirs de la maison. Pourquoi moi ? Qu’est-ce qui cloche ?

Physiquement, je ne me sens pas malade mais mon image me rappelle tous les matins que quelque chose ne va pas en moi. Je commence même à croire que je ne suis pas une femme, ni une humaine d’ailleurs. Je me demande si je suis folle. Le rapport à mon corps est désastreux.

Le deuil de ma pilosité

Je contacte un énième spécialiste à Paris. Au téléphone, je lui demande si ça vaut le coup de faire tout ce chemin pour le voir. Il me répond : “Honnêtement mademoiselle, à partir de cinq ans sans progrès, ça ne repoussera plus.” Cette phrase sera une claque, mais la meilleure des claques, car c’est seulement à ce moment-là que ma phase de deuil va pouvoir commencer.

J’arrête tous les traitements et je prends rendez-vous avec une entreprise spécialiste des perruques et dont tous les clients sont comme moi, sans cheveux. Retirer son foulard devant eux ne sera pas un problème et essayer des perruques sera drôle et bizarre. Je vais en ressortir avec un nouveau visage.

Le regard des autres ne pèse plus sur mes épaules. Psychologiquement, c’est une libération. Bien sûr, des accidents vont arriver, comme ma perruque qui va rester coincée dans le casque du scooter. Et il est m’arrivé deux fois de perdre mes cheveux après avoir fait une roulade ou une cascade en soirée.

Il y a des moments gênants et des compliments. On me demande : “Tu vas chez quel coiffeur ? Parce que ta couleur et ta mèche sont assez dingues.” On me dit : “Meuf, tu as grave des fourches ! Faudrait penser à faire quelques chose.” Internet va être salvateur pour parler avec d’autres personnes comme moi, trouver des sites qui proposent des perruques et autres tutoriels pour faire ses sourcils.

Une maladie mystérieuse qui décime l’estime de soi

Ça fait maintenant treize ans que j’ai cette pelade. Cette maladie reste mystérieuse et pourtant plus de 80 000 personnes sont touchées. La Sécurité sociale ne rembourse que 125 euros alors qu’une perruque synthétique coûte en moyenne 600 euros, un tarif qui peut aller jusqu’à 3 000 euros pour celles en cheveux naturels.

La pelade n’est pas “grave” mais, psychologiquement parlant, elle fait des ravages. Elle décime la confiance, l’estime de soi et la féminité en même temps que les cheveux. Les personnes atteintes s’en cachent et en ont honte, comme j’en ai eu honte. À l’époque, j’aurai aimé rencontrer des gens qui sachent ce que c’est. J’aurais voulu pouvoir sortir de mon isolement et trouver plus vite des alternatives pour en faire une force plutôt que de me prendre des réflexions du genre “oh regarde, elle a le cancer”. Ou comme cette phrase de mon ancienne patronne qui a un jour dit à ses employés : “Regarde Sarah, elle est malade et elle bosse mieux que toi.”

Depuis, j’ai fait du chemin. J’économise tous les ans pour me payer une perruque. Je trace mes sourcils et, quand je suis mal réveillée, je peux les dessiner de façon trop expressive (paye ton visage en smiley trop étonné !). J’ai gagné en confiance en moi, je me suis forgé un caractère. J’ai trouvé un avantage formidable à ne pas avoir besoin de m’épiler et à faire sécher ma perruque sur la corde à linge. C’est sûr que me coiffer, m’attacher les cheveux, me manque mais désormais je vois cette maladie comme faisant partie intégrante de qui je suis. Je me considère comme une version alternative de la femme. Je suis comme les poupées dont on peut aussi facilement changer les cheveux que les chaussures.

Les perruques sont devenues très à la mode et le panel est beaucoup plus original et fourni qu’avant. L’industrie du make-up peut te permettre de faire des miracles, même si je ne suis pas encore au point pour faire les sourcils parfaits.

Flirt et malaise

Le plus difficile pour moi a sans doute été les relations amoureuses. Je ne me sentais plus “femme”, je ne me sentais pas capable d’être séduisante. Quand un garçon me caressait le cou, je lui disais “partout sauf la tête”. Une fois, je n’ai rien dit, et je l’ai mis devant le fait accompli, c’était étrange. Pendant des années, j’ai voulu éviter ce malaise alors je préférais ne pas aller plus loin…

Je me contentais seulement de flirter, peut être un bisou, mais rien de plus. C’est un bloquage qui a duré cinq ans. Puis je suis passé à un nouveau cap dans mon acceptation. Du coup, quand un mec me draguait après le deuxième rendez-vous, je lui disait cash : “Écoute mec, faut que je te dise un truc. Je n’ai pas de cheveux, pas de poils, ni de sourcils, rien. C’est à prendre ou à laisser.” Et ça c’est plutôt bien goupillé comme ça.

À présent, j’ai un copain. Il accepte mon foulard, je me baigne avec lui avec le foulard, il s’en fiche, il me kiffe comme ça.  Mais je n’ai pas encore passé le cap de me balader le crâne à l’air devant lui. Ça fait 9 mois qu’on est ensemble et ça me donne confiance. Ça m’aide a avoir un rapport plus serein avec mon corps.

Il faut en parler

Je parle de mon vécu. D’autres personnes persistent dans les traitements. On le vit tous différemment. J’espère à travers ce témoignage que des gens se retrouvent, ou y voient des amis ou un membre de leur famille.

Il faut pouvoir parler des maladies orphelines comme celle-ci pour faire avancer les mentalités et notre regard sur les personnes malades.