Lutte contre le paludisme : en labo, on peut désormais éradiquer une espèce de moustiques

Lutte contre le paludisme : en labo, on peut désormais éradiquer une espèce de moustiques

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Anopheles Stephensi, une espèce de moustique porteuse de paludisme. Crédit: Wikipedia.

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Par Thibault Prévost

Publié le

Un cheval de Troie qui rend stérile

Plus concrètement, les chercheurs ont altéré certains gènes de spécimens d’Anopheles gambiae, un type de moustique vecteur de paludisme, grâce à la méthode d’édition génomique Crispr. Plus spécifiquement, Austin Burt et Andrea Crisanti ont créé des moustiques génétiquement modifiés, non seulement stériles mais capables de contaminer les autres moustiques pour les rendre stériles à leur tour. Des chevaux de Troie, en somme. Comme l’écrit Wired, les chercheurs ont tout simplement “hacké le gène de l’hérédité”. Une fois les moustiques modifiés lâchés dans des cages remplies de moustiques normaux, ces derniers ont répandu leur maladie à leurs congénères avec une terrifiante efficacité : sept générations plus tard, toute la population était annihilée.
S’il s’agit de la première fois dans l’histoire de la biologie qu’une modification génétique parvient à ce résultat, l’idée est pourtant loin d’être nouvelle : en 2003, rappelle Wired, Burt et Crisanti avaient déjà proposé cette approche pour lutter contre le paludisme. À l’époque, cependant, Crispr n’avait pas encore été découvert, et l’opinion scientifique consensuelle était que l’organisme finirait par évoluer pour résister à la mutation létale. Selon les résultats de Burt et Crisanti, les moustiques infectés n’ont pas réussi à muter. Une décennie et 100 millions de dollars plus tard, nous avons désormais les moyens technologiques d’éradiquer une espèce entière en la rendant stérile. Nous pouvons interférer sur l’évolution. Nous possédons la bombe H biologique. Question subsidiaire : devons-nous l’utiliser?

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Promesses immenses, risques terrifiants

Interrogé par la BBC, le professeur Crisanti s’est empressé d’expliquer que la technologie n’était pas encore prête à être utilisée en conditions réelles. “Il faudra encore 5 à 10 ans avant que nous envisagions de tester des moustiques équipés de forçage génétique (la technique utilisée pour éditer les gènes) dans la nature”, a-t-il précisé. D’un point de vue technique, explique Wired, la procédure doit d’abord être testée en conditions atmosphériques et circadiennes réelles, dans lesquelles les moustiques se déplacent pour se reproduire. Le test a peut-être fonctionné dans des cages stériles et dans un environnement contrôlé en laboratoire, mais cela n’offre aucune garantie quant à son succès dans la savane africaine, où l’organisme des moustiques pourrait peut-être mieux résister à la mutation génétique. Et d’autre part, il y a le problème moral que la technique suppose, qui devra être résolu avant tout test grandeur nature.
La question est élémentaire, et se pose de plus en plus ces dernières années : devons-nous éradiquer les moustiques pour éradiquer le paludisme ? Par corollaire : devons-nous lâcher dans la nature le forçage génétique, une mutation plus efficace et imprévisible que tout ce que nous connaissons, sans pouvoir en anticiper les conséquences sur le vivant ? Et quel pays, quel organisme doit être doté de cette responsabilité? Maintenant que la technologie fonctionne, Target Malaria va devoir répondre à ces questions. Et vite. Car pour le moment, rappelle The Atlantic, le consensus scientifique se résume à peu de chose près à “on ne sait pas trop ce qui se passera, mais ça devrait aller”.
C’est encore oublier le risque que la mutation se transmette à d’autres espèces, qui risqueraient à leur tour l’extinction. C’est oublier enfin la possibilité de créer des armes biologiques sur mesure, transmises par des insectes OGM, aux résultats apocalyptiques. Et tous les problèmes éthiques, politiques et moraux qui ne manqueront pas d’émerger lorsque la technologie sera prête. En octobre, rappelle The Atlantic, Target Malaria lancera une étude de quatre ans pour comprendre les conséquences de la disparition du moustique Anopheles gambiae sur l’écosystème. Maintenant que nous avons maîtrisé l’extinction en laboratoire, il est temps d’en comprendre les conséquences sur le vivant.