Quand le Premier ministre pakistanais est mis en difficulté par… une police de caractères

Quand le Premier ministre pakistanais est mis en difficulté par… une police de caractères

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LAHORE, PUNJAB, PAKISTAN – 2015/01/31: Prime Minister of Pakistan Mian Muhammad Nawaz Sharif giving speech during the passing out parade first batch of 421 Corporals, including 16 women, have successfully completed their training Counter Terrorism Force(CTF) at Elite Police Training School in Lahore. The new force -the first of its kind- has been given special training on how to counter terrorism by Pakistans Army. The first batch of the Punjab Elite Police Force (PEPF) completed their nine month long training course in the fields of investigation, intelligence and special operations. (Photo by Rana Sajid Hussain/Pacific Press/LightRocket via Getty Images)

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Par Thibault Prévost

Publié le

Visés par une enquête pour corruption, Nawaz Sharif et sa famille pourraient bien être confondus par une erreur de police de caractères.

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C’est probablement l’un des scandales d’État les plus étranges de ces derniers mois : au Pakistan, le Premier ministre Nawaz Sharif, sa famille et à travers eux tout le gouvernement pourrait bien vaciller à cause d’une simple erreur de police Microsoft. Au centre de l’affaire, déjà baptisée “Fontgate”, la fille du Premier ministre, Maryam Nawaz Sharif, visée par une enquête de la Cour suprême pour corruption ouverte en 2016 après la fuite des Panama Papers.

Lors de la parution des documents, le nom du premier surgit au fil des documents du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. L’ouverture d’une enquête révèle ensuite un lien entre l’une des sociétés-écrans de Nawaz Sharif et l’achat de plusieurs propriétés londoniennes par sa fille Maryam. L’un des immeubles en question appartiendrait à Nescoll, une société basée aux îles vierges britanniques et dont l’unique actionnaire se trouve être… Maryam Nawaz Sharif.

Embarrassé par cette révélation, le clan Sharif décide alors en novembre 2016 de rendre public des documents, datés de 2006, qui décrivent en toute transparence le rôle de Maryam dans l’entreprise, alors que celle-ci se défend d’être la propriétaire de Nescoll. Pièce maîtresse de l’investigation, ces documents sont examinés par les enquêteurs pour attester de leur authenticité. Pas de chance, le clan Sharif a oublié un léger détail : la police Windows utilisée dans le document.

Sabotage de Wikipédia

Voilà le cœur du “Fontgate” : la police utilisée dans ces documents soi-disant authentiques produits par la famille Sharif est le Calibri, une police développée par Microsoft en 2004 et ajoutée à Windows en 2007. Problème : les documents sont datés de… février 2006. Un scandale confirmé par l’inspection du document réalisée par un laboratoire indépendant, qui confirme que “Calibri ne fut pas commercialement disponible avant le 31 janvier 2007. Aucune des déclarations certifiées n’est correctement datée […]. Elles ont été créées plus tard.” Affaire réglée ? Loin de là. Car si le hashtag #fontgate se multipliait sur Twitter, le clan Sharif préparait déjà sa défense, jouant sur l’opacité qui entoure la date de création de la police Calibri. Et voilà comment une police Windows devient soudainement la clé de voûte d’une enquête de corruption d’État.

Pour tenter de résoudre l’épineuse question, les deux camps ont opté pour différentes stratégies : Maryam Nawaz Sharif est allée voir du côté du site de questions/réponses Quora pour prouver, capture d’écran à l’appui, que Calibri existait bien avant 2007. Interrogés par le quotidien pakistanais Dawn, les concepteurs de la police, de la société LucasFonts, reconnaissent que leur création était disponible en version beta dès 2006, avant son déploiement mondial sur Windows Vista et Office 2007, mais précisent qu’il leur semble “peu probable” que quelqu’un ait utilisé une police Windows encore en beta pour écrire des documents administratifs. Oui, c’est un euphémisme.

Mieux, alors que l’enquête finit par se tourner vers Wikipédia – LA source fiable d’Internet, c’est bien connu -, de petits malins modifient la page du Calibri pour faire remonter sa date de naissance à 2004. Face à la guerre de l’édition qui s’ensuit, les administrateurs décident de désactiver toute modification de la page jusqu’au 18 juillet prochain, date de fin de l’enquête. Une décision saluée par une partie de l’opinion publique pakistanaise, qui voit dans ce sabotage du site une tentative de “sauver un parti corrompu”. Aujourd’hui, le Premier ministre Nawaz Sharif apparaît plus que jamais menacé, une partie de la classe politique locale appelant déjà à sa démission. Moralité : toujours privilégier un bon vieux Times New Roman, indémodable.