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Non, la vie de free-lance ne ressemble pas à ça

Non, la vie de free-lance ne ressemble pas à ça

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Si vous aussi vous bossez “en free” et que votre entourage pense que votre vie ressemble à ça (sea, sex and sun). Faites-leur lire ce qui suit, ça vous évitera de longs discours. 

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“Mais tu fais quoi exactement dans la vie, genre tu fais quoi de tes journées ?”, “Du coup, t’as fait quoi aujourd’hui ?”, “J’ai un jour off demain, tu fais quoi ?”… Autant de questions pas bien méchantes, un peu naïves mais franchement soûlantes que tu entends à longueur de journées quand tu bosses en “free-lance” (cet anglicisme clairement snob qui veut juste dire que tu n’es pas salarié). Autant de questions pour une même réponse (que tu t’imprimerais bien sur le front pour éviter d’avoir à utiliser ta salive pour y répondre) : “De mes journées ? Bah je travaille”, “Aujourd’hui ? Bah, j’ai travaillé”, “Non bah demain c’est comme tous les jours je travaille aussi.”

En fait, être free-lance ne veut pas dire squatter quand bon te semble une terrasse de bistrot en face de Notre-Dame et faire de la figuration pour une carte postale, un café serré dans une main, une clope dans l’autre, un ordi dernier cri posé sur la table en tapant joyeusement la discut’ au serveur qui est devenu ton meilleur ami. Une sorte de fantasme à la Amélie Poulain pas vraiment réaliste – d’ailleurs Jean-Pierre Jeunet nous a bien mis dans la merde en faisant d’une serveuse sans amis un modèle de romantisme (je dis ça pour moi : c’est mon film préféré).

Parce que dans la vraie vie, quand il a fini son café, le free-lance est comme tout le monde : on lui fait comprendre gentiment que s’il ne consomme pas, il doit débarrasser le plancher.

Pour en finir avec le mythe du travail en terrasse

Le free-lance est cool et romantique : il travaille dans des coffee shop trendy du 9e arrondissement de Paris, et se commande un cappuccino au lait d’amande ou un smoothie à 10 balles, qu’il sirote tranquillou en attendant que l’inspiration lui vienne. Il est donc payé à boire des coups en terrasse pour avoir des idées. La belle vie ! En gros, c’est un peu l’image sexy (ou du glandeur au choix) que vous renvoyez lorsque vous êtes free-lance. “Ah mais c’est GéniaAAAl, tu peux travailler de partout !” Et nous, – comme avec l’épilation au laser ou le blanchiment des dents –, on n’a pas envie de casser le mythe, alors on acquiesce (oui, on est un peu responsables de notre sort en fait).

Soyons réaliste : ça, c’est l’image. La réalité, c’est qu’un free-lance a besoin d’une prise pour son ordi et d’une bonne connexion wifi (pas le truc pourri qui plante toutes les deux secondes). Cela enlève donc la terrasse où il n’y a pas de prise et les café sans wifi (la majorité). Par ailleurs, si vous avez déjà essayé, vous saurez qu’il est quasi impossible de bosser en terrasse car le soleil obstrue la luminosité de l’écran (quand il fait beau), et un ordinateur n’est pas étanche (quand il pleut), et vous n’êtes pas équipé d’un chauffage intégré (en hiver).

Donc vous vous rabattez la plupart du temps à l’intérieur de l’établissement. Mais à certaines conditions ! Que le café-restaurant ne soit pas en heure de pointe (heure du déj par exemple), où vous serez tout simplement vu comme un boulet qui occupe une table. À condition que vous soyez suffisamment riche pour lâcher l’équivalent de votre revenu quotidien dans un petit-déj, un déj et un snack pour ne pas vous faire virer et pouvoir ainsi squatter aisément les lieux toute la journée. Parce qu’un cappuccino (à 5 euros) ou un smoothie (à 10 euros) vous laisseront un répit d’une heure maximum. Et rappelons-le : nous sommes comme de vrais salariés, on bosse plus d’une heure par jour.

Poser son cul devient ainsi une véritable mission chronophage et trouver le lieux parfait qui n’engloutira pas tout votre argent – et ne vous considérera pas comme un squatteur – est aussi difficile à trouver qu’une aiguille dans une meule de foin.

Ce n’est pas parce que l’on est invisible que l’on fait la sieste (ou la fête)

L’avantage du travail au bureau, c’est que vous êtes visibles. Vous pouvez bien être un planqué qui arrive juste avant les autres pour déposer votre veste sur un dossier de chaise pour faire acte de présence avant de disparaître : au moins vous existez. Le free-lance, lui, n’est pas physiquement visible, et comme ce vieux réflexe humain fait que l’on ne croit qu’en ce que l’on voit…

Ainsi, vous recevez des mails innocents en plein milieu de la journée : “Eh Jacky, tu peux faire ceci stp ?”, “Eh Michel, tu peux te charger de cela stp”… Comme si tu étais la personne disponible (ce préfixe “free”, c’est vraiment la plaie) à toute heure pour te charger de tâches relous (bah oui, ça l’occupera !). On a oublié de vous dire : on est déjà occupé en fait ! De même que tes amis (que tu adores quand même) qui t’appellent n’importe quand pour “aller boire un café” (quand ce n’est pas pour un déménagement). On le redit : on a des deadlines comme tout le monde, on n’a pas le temps de faire la tournée des bars pour vous tenir compagnie, même si c’est un jour férié (nous, on n’a pas de jours fériés d’abord).

Pour peu que vous viviez en collocation, vos partenaires de logement vous verront assis à la table du salon en partant au travail le matin et vous verront assis toujours à la même place à leur retour le soir. Avec cette question récurrente et tout à fait horripilante : “T’as fait quoi de ta journée ?”, “J’ai passé huit heures le cul sur une chaise à traîner sur Facebook, connard !”, “Pourquoi t’es pas sorti bosser à la terrasse d’un café, il fait super beau !” Et là tu inspires profondément.

Le télétravail les doigts de pieds en éventail sur la plage, ça n’existe pas

“Ah mais c’est génial, tu peux travailler de partout dans le monde !” Oui c’est génial en effet, il faut bien que l’on ait quelques avantages à défaut de la sécurité de l’emploi. Sauf que bosser à l’autre bout du monde, ça a un prix (à commencer par celui du billet d’avion). Pour peu que vous ayez fait le choix de vous expatrier plus à l’ouest, vous devrez vous réveiller (très) tôt pour être sur le même fuseau horaire que vos collègues et être opérationnel. Si vous avez choisi d’aller plus à l’est, vous avez choisi de dire adieu à l’apéro (qui concorde désormais avec l’heure des mails matinaux).

“Du coup tu dois grave voyager !” C’est mignon, c’est naïf, c’est idéaliste. Une réponse simple : comment arrivez-vous à voyager tout en bossant huit heures par jour ? Le télétravail, ce n’est pas la même chose que la téléportation. Sans parler du fait qu’avec cette histoire de wifi et de prise, vous avez plutôt intérêt à éviter l’île déserte. Si, tu sais : cette carte postale avec le mec qui sirote un mojito dans un hamac devant une plage à l’eau translucide en scrollant mollement ses mails du bout de l’index. Non ça, ça s’appelle un retraité d’une multinationale cotée au CAC 40.

“Ouais mais du coup, tu peux voyager le week-end !” T’as déjà fait le tour d’un pays en un week-end toi ? Donc oui, on est parfois loin, mais on n’est pas constamment en mouvement, muni d’un sac à dos, en train de faire une randonnée sur un volcan en éruption avec notre antenne satellitaire à portée de main pour pouvoir capter du réseau et bosser une fois arrivés en haut.

Une photo publiée par #vanlifers (@vanlifers) le

La réalité : plus Bridget Jones qu’Indiana Jones

En définitive, vous vous retrouvez le plus souvent à bosser à votre domicile. Avec une tentation énorme : remettre votre douche à plus tard, on est si bien en jogging ou en pyjama. Et puis, à quoi bon s’habiller quand il est 17 heures passées ? Votre repas ne ressemble finalement pas tant à une salade d’Instagram dans un resto de hipster du quartier qu’à un machin cuisiné à la va-vite. On oscille entre la livraison, les restes de la livraison d’hier ou le toast vite fait (merde j’ai oublié de racheter du pain. Normal, je ne suis pas sortie depuis trois jours).

Les gens que vous rencontrez sur votre passage vous admirent d’avoir une vie si géniale et dénuée de toute contrainte sans réaliser que tout cela représente en fait des contraintes supplémentaires. Jusqu’à parfois admirer le fait que vous soyez payé par votre boîte ou vos clients tout en étant à l’autre bout du monde, à la plage, au soleil alors qu’eux se gèlent le cul en France. Depuis quand le climat devrait influencer votre salaire ? Paye-t-on moins les gens en France en été parce qu’il fait beau et qu’il peuvent lézarder dans des parcs à leur pause déj ?

En fait, être free-lance, c’est passer votre vie à justifier que vous travaillez comme tout le monde en dépit des apparences. Même de chez vous, même d’un café, même de l’autre bout du monde. Mais c’est aussi se donner les moyens de vivre différemment quelque temps pour expérimenter autre chose que le salariat classique. Et on vous fait une confidence : on y trouve notre compte et on est bien contents. Mais juste, lâchez-nous un peu les baskets avec vos clichés. Et si vous aussi vous avez envie d’avoir une vie géniale, d’être payés à ne rien faire depuis la terrasse d’un café avec vue sur une plage déserte, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Gagnez au loto !