Vidéo : “Non, je n’irai pas à la Coupe du monde au Brésil”

Vidéo : “Non, je n’irai pas à la Coupe du monde au Brésil”

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Par Louis Lepron

Publié le

En l’espace de quelques jours, la vidéo d’une Brésilienne a été vue près de quatre millions de fois sur la Toile. Elle s’appelle Carla et critique l’organisation de la Coupe du monde dans son pays. On a décidé de décortiquer son discours.
22 juin : le compte YouTube “Loïc Citation” télécharge une vidéo. Elle dure exactement six minutes et s’intitule “Non, je n’irai pas à la Coupe du Monde au Brésil #ChangeBrazil”. À l’écran, une certaine Carla qui se présente comme citoyenne brésilienne. Le film, sous-titré en français, dresse un constat déplorable de l’organisation de la Coupe du Monde de 2014.
Au programme de son monologue, des chiffres qui hésitent entre coût des infrastructures, position du pays d’Amérique latine dans les classements mondiaux de développement humain ou encore assertions anti-FIFA. Il faut remonter au 17 juin pour retrouver la vidéo originale, publiée sur la chaîne YouTube de Carla Dauden, visionnée plus de quatre millions de fois.

Du coup, on a décidé de vérifier chacun de ses dires et de faire du fact-checking autour des arguments présentés. Prêts ? Partez.

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“La Coupe du monde va coûter 30 milliards de dollars” 

Malheureusement, on est loin du compte. Selon les dernières estimations, évoquées par le quotidien Libération, le Mondial a coûté 25,8 milliards de réals, la monnaie brésilienne, soit 11,4 milliards de dollars ou 8,5 milliards d’euros. Et encore. Pour ce qui est de la construction et la modernisation des stades, ce sont seulement 3,5 milliards de dollars qui ont été dépensés.
Le reste ? “Ce sont surtout les ouvrages de transport, dont beaucoup ne sont pas liés à la compétition qui gonflent l’ardoise”.

“C’est plus que la somme des trois dernières Coupes du Monde ensemble”

Si l’on ne prend en considération que les coûts de construction des stades, voilà ce que l’on peut constater. En 2010, la Coupe du Monde d’Afrique du Sud a payé 1 milliard de dollars afin de construire cinq stades (trois lieux de matchs, deux lieux d’entraînement) et en rénover six autres. En 2006, l’Allemagne anime la Coupe du Monde. Au programme, dix stades sont construits ou reconstruits. L’ardoise s’élève à 1,413 milliard d’euros, soit 1,9 milliard de dollars.
Enfin, en 2002, ça se passe en Corée du Sud et au Japon. Dans le premier, 1,7 milliards d’euros (soit 2,3 milliards de dollars) a été déboursé pour dix stades mis en service en 2001. Dans le deuxième cas, ce sont huit stades qui ont coûté 1,8 milliards d’euros, soit 2,4 milliards de dollars. Au total, l’ardoise s’élève à 4,7 milliards de dollars, soit plus que le coût des stades au Brésil.
L’assertion “c’est plus que la somme des trois dernières Coupes ensemble”, lorsqu’on ne prend en compte que les coûts liés au stade, est donc loin d’être vraie. Les trois dernières Coupe du monde ont coûté 7,6 milliards de dollars.

“L’analphabétisme peut atteindre 21% et une moyenne de 10%”

Au Brésil, 13,2 millions de personnes étaient frappées d’analphabétisme en 2012 sur un total de 200 millions d’habitants, soit 8,7% de la population du pays, selon une information de l’AFP reprise par La Presse.
Et la région qui est la plus touchée (région nord-est) et qui concentre près de 54% des analphabètes a un taux d’analphabétisme qui touche 17,4% du total de sa population. L’assertion de Carla Dauden est donc un poil exagérée, quoique proche des faits.

“85ème place du développement humain”

Avec un taux d’Indice de développment humain de 0.730, le Brésil est bien à la 85ème place, derrière des pays comme le Kazakhstan (69ème) ou encore la Roumanie (56ème) et la Biélorussie (50ème). À noter que l’évolution est positive depuis 30 ans avec une croissance de plus de 30% de l’IDH, passant de 0.50 en 1980 au taux de 0.730 en 2012.

“13 millions de personnes souffrent de malnutrition”

Bien que la malnutrition a reculé en l’espace de six ans de 73%, accompagnant une baisse de la mortalité infantile de 45%  selon les données 2009 de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture – (FAO) grâce au programme “Faim Zéro” mis en place par Lula da Silva lors de sa présidence, le Brésil est toujours mal placé : on considère que près de dix millions de Brésiliens souffrent toujours, en 2014, de malnutrition.

“La majeure partie de l’argent généré par les matches et les stades est directement pour la FIFA”

En organisant pour la deuxième fois un Mondial, le Brésil attend évidemment des retombées économiques grâce au tourisme. Mais concrètement, les recettes attendues ne dépasseront pas les quatre milliards de dollars, soit à peine de quoi rembourser les dépenses pour les stades. Et encore : la majorité de cet argent sera à destination de la FIFA, comme le précise Le Monde dans un article daté de juin 2013.
À noter aussi que les perspectives sont souvent embellies. Toujours dans l’article du Monde :

L’Afrique du Sud a accueilli 309 000 touristes, venus pour la Coupe du monde ; ces derniers ayant dépensé environ 400 millions de dollars d’après les études du département du tourisme. Or, les estimations étaient de 480 000 et des dépenses par séjour trois fois plus importantes qu’en réalité.

Et sur le long terme, les principaux bénéfices étant en accord avec des activités temporaires (produits dérivés, matchs de football, etc.) seront limités. On comprend donc que certains des Brésiliens ne voient pas forcément d’un bon œil d’entreprendre des dépenses faramineuses pour un évènement qui ne leur rapportera que très peu dans les prochaines années.
Le seul avantage au final ? La publicité pour le Brésil grâce aux retransmissions télévisées, un critère difficilement comptabilisable de manière financière.

“La police de pacification pour éradiquer les gangs n’est qu’une solution provisoire”

D’après Carla, la mise en place des Unités de police pacificatrice (ou UPP) par l’État de Rio en 2008 pour mettre un terme à la violence dans les 1071 favelas de la ville ne sert qu’à “cacher la poussière sous le tapis”.
D’après les derniers chiffres du gouverneur de l’État, la criminalité aurait diminuée de 65% à l’aide des 38 UPP accompagnées de près de 10 000 policiers qui patrouillent à pieds dans les favelas. Le problème, c’est que les quartiers touristiques et en zones aisées semblent en pâtir : depuis le début de 2014, “les vols à l’arrachée et les agressions physiques dans certains quartiers périphériques ont augmenté de 250%” d’après un article de La Presse, permettant aux taux de criminalité de reprendre leurs niveaux des années 2000.
L’autre problème, beaucoup plus préocupant, est l’avenir de ces unités. Seront-elles encore présentes après la Coupe du Monde ? Selon une habitante de la favela de Pavao-Pavaozinho, interrogée par la chaîne de télévision Globo et dont les citations ont été traduites par RFI :

Les autorités nous avaient promis de nombreux projets qui accompagneraient le déploiement des UPP. Mais on n’a toujours rien […]. Alors, pensez-vous que c’est une solution ça? Mettre plein de policiers dans les favelas sans vrai projet de développement ?

Là est le véritable enjeu. Ce Mondial 2014 semble n’être qu’un pretexte pour évoquer des problèmes de fond occupant l’esprit des Brésiliens. Même si le pays est aujourd’hui la première économie d’Amérique latine et la septième mondiale, les inégalités socio-économiques sont prégnantes. La Coupe du Monde met le Brésil sous les projecteurs, pour le meilleur comme pour le pire.