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Le message fort d’une victime à son violeur lors de son procès

Le message fort d’une victime à son violeur lors de son procès

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Par Juliette Geenens

Publié le

Jeudi 2 juin, au tribunal, une jeune femme a fait face à son agresseur, un étudiant de Stanford, en Californie. Celui-ci, reconnu coupable de trois chefs d’inculpation, a écopé de six mois de prison.

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Dans ce genre de situation, il faut briser le silence. Une jeune femme de 23 ans, abusée sexuellement, a tenu un discours poignant, au moment du verdict, lors du procès de son violeur, jeudi 2 juin. Une façon de chasser de tenaces démons et d’encourager les victimes à prendre la parole pour dénoncer ces crimes.

L’histoire remonte à janvier 2015. Dans la soirée, sur le campus de Stanford, deux diplômés de la prestigieuse université tombent sur un élève de première année, au-dessus d’une fille inconsciente et à moitié nue, derrière une benne à ordures. Ce jeune homme de 20 ans s’appelle Brock Allen Turner. À l’issue du procès, celui-ci a été reconnu coupable de trois agressions sexuelles et condamné à six mois de prison et trois ans de liberté conditionnelle par le tribunal de Californie, précise The Guardian.

Un verdict, tombé jeudi dernier, qui semble clément, quant on sait que le jeune homme encourait une peine maximale de quatorze ans d’emprisonnement. Le juge a justifié cette sentence estimant qu’une durée plus longue aurait eu un “sévère impact négatif” sur le jeune homme, qui s’avère être un champion de natation de Stanford, un point évoqué de nombreuses fois au cours de ce procès.

Dans l’assemblée, la victime ne s’est pas laissé faire. Face à son agresseur, elle a lu, à voix haute et devant le public, une lettre dans laquelle elle explique comment ce viol l’a psychologiquement détruite. Buzzfeed a relayé le texte dans son intégralité afin de lui offrir la résonance et la visibilité qu’il mérite.

La nuit où tout a basculé…

“Tu ne me connais pas, mais tu es rentré en moi, et c’est pour cette raison qu’on est ici aujourd’hui.”

C’est avec ses mots que la victime, qui a décidé de garder son anonymat, commence son discours, en interpellant directement le violeur. Elle fait d’abord le récit de sa soirée, des plus ordinaires. Elle accompagnait sa petite sœur à une fête, à dix minutes de chez elle, où elle affirme avoir bu de l’alcool un peu trop vite.

Elle ne se souvient de rien par la suite, mis à part s’être retrouvée dans un brancard dans le hall d’un hôpital. La jeune fille s’est réellement rendu compte que quelque chose de grave était en train de se passer quand elle a signé des papiers sur lesquels il était écrit “victime de viol”, et lorsque des infirmières ont pris des photos d’elle, nue, pour la police.

Elle décrit cette nuit comme un véritable cauchemar. Le lendemain, elle découvre dans le journal, en même temps que le reste du monde, qu’elle s’est fait violer par un étudiant. Dans l’article,  elle apprend le déroulé de sa soirée dont elle n’a aucun souvenir, et lit avec horreur, que son violeur, interviewé, assure qu’elle avait “aimé ça.”

Elle raconte :

“J’ai lu quelque chose que je ne pourrai jamais oublier. J’ai lu que, selon lui, j’ai aimé ça. J’ai aimé ça. Encore une fois, je n’ai aucun mot pour décrire ce que je ressens.”

S’ensuivent de terribles révélations sur la façon dont Brock Allen Turner a tenté de se défendre, changeant plusieurs fois sa version des faits à partir du moment où il a compris que sa victime ne se souvenait de rien. La jeune fille explique à quel point ses propos, à lui, ne sont pas cohérents, et que rien ne peut justifier ce qu’il a fait, quelle que soit la situation. Elle a dû surmonter une grande difficulté pour témoigner à son tour, et obtenir justice : “Je ne me rappelle de rien, alors comment puis-je prouver que je n’ai pas aimé ça ?”, demande-t-elle.

Le jeune homme a raconté qu’elle lui aurait caressé le dos. Elle précise à ce propos :

“Le fait qu’il a voulu atténuer ce viol en avançant une ‘promiscuité’ entre nous est profondément insultant. Le viol n’est pas une question de promiscuité, il s’agit de l’absence de consentement et cela me perturbe beaucoup qu’il ne puisse pas faire cette distinction.”

Et de souligner :

“L’alcool n’est pas une excuse. Est-ce un facteur ? Oui. Mais ce n’est pas l’alcool qui m’a déshabillée, doigtée, a traîné ma tête contre le sol, m’a presque entièrement déshabillée […]. Une vie, la tienne,la mienne ; laisse-moi reformuler : je veux montrer qu’une nuit d’alcoolisation peut ruiner deux vies. La tienne et la mienne. Tu es la cause, je suis l’effet. Tu m’as entraînée dans cet enfer avec toi, tu m’as ramenée encore et encore à cette nuit.”

“Je ne peux plus dormir la nuit sans laisser la lumière allumée”

La victime explique qu’elle vit depuis un an, dans la paranoïa et la honte qu’on découvre que c’est elle, elle qui a été violée.

“J’ai tenté de le faire sortir de mon esprit, mais c’était tellement lourd que je ne parlais pas, je ne mangeais pas, je ne dormais pas, je n’interagissais avec plus personne. Après le travail, je conduisais vers un lieu isolé pour crier […].

J’ai été harcelée de questions biaisées qui disséquaient ma vie personnelle, amoureuse, familiale, des questions vides de sens, une accumulation de détails triviaux  visant à trouver une excuse à ce mec qui m’a prise à moitié nue sans même prendre la peine de demander mon nom.”

Elle raconte comment ses relations avec ses amis, son copain et sa famille se  sont détériorées parce qu’elle était incapable d’en parler. Si quelqu’un avait le malheur d’aborder le sujet, elle se mettait à hurler.

“Mon indépendance, ma joie de vivre, ma douceur et la vie stable que j’avais auparavant sont complètement déformées, au-delà de l’entendement. Je suis devenue introvertie, colérique, sans estime de moi-même, épuisée, irritable, vide. Cet isolement était parfois insupportable. Tu ne peux pas me rendre la vie que j’avais avant cette nuit”.

La vie de cette jeune fille de 23 ans a basculé en une soirée. Elle aurait voulu que son agresseur reconnaisse ses actes, plutôt que de nier en bloc, s’en sortant avec six mois de prison. Un viol est un crime, et l’agresseur est toujours à 100 % responsable, même si la victime a trop bu, même si elle portait une jupe courte, etc.

La jeune fille espère que le procès, que son histoire et son discours permettront à d’autres victimes, comme elle, de briser le silence.

“À toutes les filles, partout dans le monde, je suis avec vous. Ces nuits où vous vous sentez seules, je suis avec vous. Si des gens cherchent à vous discréditer ou doutent de vous, je suis avec vous. Je me suis battue pour vous alors ne cessez jamais de lutter. Je vous crois.”