On était à l’inauguration de Station F, le “plus grand incubateur de start-up du monde”

On était à l’inauguration de Station F, le “plus grand incubateur de start-up du monde”

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Par Thibault Prévost

Publié le

Macron en rock star

 

La visite est millimétrée et se termine entre les deux gares de fret avec des étudiants de l’école 42 (créée par Xavier Niel), qui se livrent à une sorte de partie de Battle Royale pour obtenir un selfie avec le “new boy”. De l’autre côté des vitres, la foule a compris l’imminence de l’arrivée présidentielle et offre une ovation d’encouragement à son champion. À Station F, Emmanuel Macron est une rock star, ni plus ni moins.
Ce statut se confirme dans les minutes qui suivent son arrivée, où les images de foule extatiques rappelleraient presque les plus belles séquences de la beatlemania. Avant le grand discours, c’est Roxanne Varza, directrice du “projet” Station F, qui se fend d’une présentation format keynote entièrement en anglais – l’accent est certes impeccable et l’enjouement stéroïdé typique de la Silicon Valley parfaitement reproduit, mais reste que le public est presque entièrement francophone. Anne Hidalgo prend ensuite le mic pour chanter les louanges de Xavier Niel et place quelques mots d’espagnol, parce qu’après tout pourquoi pas. Vient enfin le tour d’Emmanuel Macron, qui se lance face à une nuée d’yeux brillants – à moins que ce ne soient les flashs des téléphones.

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“Entrepreneur is the new France !”

Probablement prévenu qu’il allait visiter une gare, le président est venu avec tous ses mots-valises, enjoignant les futurs porteurs de projets numériques à “transformer [leur] pays” et “le faire changer pour longtemps”, à “faire vibrer les murs de Station F”, un lieu qui peut “donner un destin à des gens qui n’en avaient pas”, un “lieu où l’on passe, où l’on partage”, avant de conclure d’un magistral : “N’oubliez jamais que le mot entrepreneur vient d’un français. Avec la station F, le monde entier doit savoir qu’entrepreneur is the new France !” Le genre d’aphorisme qu’on imagine bien encadré façon motivational poster derrière le bureau de nos jeunes CEO en herbe. Bref, Emmanuel Macron était à l’aise et son public envoûté, tout roule dans le petit monde de la french tech.
Quelques heures de cocktail plus tard, une fois la nuit et les réserves de prosecco tombées plus ou moins simultanément, on embrassera du regard l’éventail des invités en tentant de chercher parmi ces visages radieux où se cache le Mark Zuckerberg français. Peine perdue : malgré la beauté indéniable du cadre, la grande famille de la french tech ressemble quand même vachement à une promo d’école de commerce cossue.
À défaut d’avoir inventé une nouvelle Silicon Valley (après tout, laissons le temps au temps), Xavier Niel a quand même créé un monde parallèle, qui devrait bientôt voir pousser 600 nouveaux logements : celui de la start-up nation, un pays qui n’est plus tout à fait la France, où l’on s’autocongratule joyeusement en globish et novlangue entrepreneuriale en s’échangeant des cartes colorées, où de jeunes codeurs ont pour idoles les patrons de Free et de Vente-privée.com et où l’on vit avec l’ambition de faire exploser le vieux monde, relégué loin derrière les vitres du vivarium géant. Une isolation phonique efficace, par ailleurs : personne parmi les invités n’aura vent de la cinquantaine de manifestants CGT postés dehors pour manifester contre la venue du président. Les soubresauts du vieux monde, probablement.