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Louis de Gouyon Matignon : “La culture des gens du voyage va disparaître”

Louis de Gouyon Matignon : “La culture des gens du voyage va disparaître”

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Par Théo Chapuis

Publié le

Du sang bleu au jazz manouche

Affable, il n’a aucun problème à se prêter au jeu médiatique lorsqu’on l’interroge sur ses origines. Louis a grandi dans le XVIè, un “arrondissement privilégié” qu’il adore parce qu’il est “très calme”. Aujourd’hui, même s’il rêve d’habiter “dans le XIè ou dans le XVIIIè”, il y vit encore, de retour chez ses parents après de longues années en pensionnat, en France puis à Bristol, en Angleterre. Dès l’âge de 10 ans, c’est d’ailleurs lui qui a pris l’initiative de quitter le domicile familial. Pourquoi ?

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Je considère que c’est bien, dans la vie d’un homme, de passer par des choses un peu difficiles. Il y a un certain manque de discipline en France aujourd’hui. Toute société a besoin d’obligations, de rituels.  Alors aller en pension m’a permis de grandir, de vivre avec les autres. Je découvrais un truc.

Mais la vie avec “les autres” n’a pas toujours été une partie de plaisir. Victime de sa différence pendant deux années de suite, de nombreux camarades lui ont mené la vie dure, très dure. Droit dans les yeux, il confie : “C’est un peu dur pour moi de le dire mais je me faisais taper, pisser dessus”. Quand, après un silence poli, on ose bêtement lui demander pourquoi, il esquive rapidement : “Je ne sais pas”, avant de terminer par un sourire sombre et assurer qu’il “encaisse” :

Si tu me demandais si je suis prêt à le refaire, je te répondrais que je le ferais sans hésiter. Ça m’a permis de devenir qui je suis maintenant. Voilà : “Deviens qui tu es”, Goethe !

Au-delà de l’armure de la citation (qui est d’ailleurs plutôt de Nietzsche), ce qu’a vraiment appris Louis sous les coups, c’est l’injustice. “J’accepte pas que les faibles, ceux qui souffrent, soient pointés du doigt. Depuis, je veux être le porte-parole de ces gens-là”, explique-t-il.
Sous ses dehors de politicien en campagne, le jeune président du Parti européen nous fait presque oublier qu’il est si jeune. C’est pourquoi on est pris à contrepied lorsqu’on lui demande comment lui, un Gouyon Matignon (“noblesse d’épée française dont on date les origines à peu près vers 1213”, précise-t-il), gadjo parmi les gadjé, s’est retrouvé à porter l’étendard de la culture des gens du voyage. Comme la naissance de nombreuses idylles, la raison est plus terre-à-terre :

J’ai découvert la guitare en Angleterre. Loin de mes parents, j’avais besoin de trouver quelque chose que je puisse apprendre et leur montrer en rentrant. Je voulais les flatter, un peu comme n’importe quel enfant. Alors j’ai choisi la guitare et j’ai essayé plusieurs styles, du rock avec Hendrix, un peu de metal avec Metallica ou Trivium, ensuite un peu de funk… puis un jour j’ai découvert le jazz manouche grâce à une vidéo sur YouTube et j’ai su que c’était ça que je voulais faire.

“À ma place”

Ce déclic le mène à vite brûler les étapes : le jeune Louis, pas encore 16 ans, veut rencontrer le peuple auquel appartient cette musique. Petit à petit, il se rend de festival en festival et fréquente les manouches sur les aires d’accueil. Jusqu’à devenir l’un d’entre eux :

En 2008, à 16 ans, je me suis rendu au festival Django Reinhardt de Samois-sur-Seine et je suis allé voir des manouches sur un stade de foot. Je faisais de la guitare avec un jeune et il m’a tout de suite proposé de dormir chez lui. Le matin, quand je me suis levé sur l’aire d’accueil, j’ai senti que j’étais à ma place. Plus que bien. Libre.

Si c’est la musique qui attire le jeune Louis vers la culture des gens du voyage, il se rend très vite compte qu’il a bien plus à partager avec eux que quelques accords de guitare. Au point d’identifier davantage son sang bleu au sang or des gitans. Lui qui désespère du manque de repères traditionnels dans la société urbaine de France, retrouve des critères qu’il fantasme parmi les caravanes :

J’ai un peu les mêmes valeurs que les gens du voyage. Après tout, il y a une certaine façon d’organiser la famille. Je me sentais proche de tout ça. Les gens amalgament beaucoup l’aristocratie et la bourgeoisie mais attention ! Ce sont deux choses extrêmement différentes : l’aristocratie a des valeurs de la démocratie chrétienne, les aristocrates sont souvent de centre-droit, de centre-gauche, traditionnels. En fait ils sont beaucoup plus proches des pauvres. J’ai plein de copains chrétiens catholiques qui, le week-end, au lieu de passer du temps en boîte ou au bar, organisent des maraudes, distribuent du pain, des cafés à des gens qui souffrent.

Les caravanes sur le Jardin du Luxembourg

Mais ce n’est pas tout. Il n’y a pas que les valeurs de respect et d’amour qui lui parlent dans la culture tsigane. “Ce qui m’a aussi beaucoup séduit, c’est l’esprit de contradiction, cette façon de pouvoir dire “fuck” aux institutions”, claque-t-il du poing sur la table du café. S’il les connaît personnellement grâce à l’approche musicale, il a eu l’occasion de mieux comprendre les problématiques pratiques en travaillant en tant qu’attaché parlementaire auprès du sénateur UMP de Haute-Savoie Pierre Hérisson.
“Je ne suis pas encarté UMP, je ne l’ai jamais été. J’ai travaillé pour lui parce qu’il était président de la commission consultative des gens du voyage”, précise-t-il. Sa mission, il l’a prise à cœur :

J’ai fait rentrer des manouches au Sénat, plusieurs fois, sans demander l’avis de Pierre Hérisson. Je ne les faisais pas passer par l’entrée officielle de la rue de Vaugirard, mais du coup je faisais pénétrer dix, quinze manouches par une autre entrée. Je les faisais rentrer parce que ce sont toujours les mêmes qui ont le droit de se pavaner sous les ors de la République et ça m’emmerdait un petit peu.

Il tient à raconter une anecdote qu’il a vécue avec ses amis quasi-clandestins :

À un moment, on est passé dans la bibliothèque du Sénat qui se trouve juste derrière l’hémicycle et un copain à moi regardait le jardin du Luxembourg à travers les fenêtres. Il s’est exclamé : [il prend un accent] “Manman, imagine des campings sur le jardin du Luxembourg !”

À part ça, il en garde un souvenir majoritairement négatif : “Cette expérience m’a permis de comprendre que le Sénat ne sert à rien, les sénateurs volent l’État. J’ai été témoin de ça.”  Mais il confie “bien aimer” Hérisson, qui n’est pas “un vrai tricheur pas comme Gérard Larcher, Jean-François Copé, etc”. Un mec “profondément gentil” qui “ne se prend pas au sérieux”, dépeignant l’élu en notable local sympathique de bande dessinée, le qualifiant d’homme politique “type Troisième République”.

Mélenchon et Le Pen comme mentors

Son insolence face aux institutions de la République, Louis la cultive pour polir son image politique. Tout au cours de notre conversation, ramener vers le sujet des tsiganes ce jeune étudiant en droit qui a réussi à grapiller une poignée de votes aux élections européennes est un combat de chaque instant. Il a très peu de choses à dire sur le film qui lui tire le portrait. L’interview dérive et là, dans le domaine politique, Louis est comme un poisson dans l’eau. Il les aligne tous : à gauche comme à droite, chacun en prend pour son grade.
Jeune président du Parti européen en quête de visibilité, Louis de Gouyon Matignon veut montrer qu’il n’a pas froid aux yeux. Alors il se donne une posture et détruit l’UMP, “qui se suicide elle-même”, le PS “qui est comme l’UMP mais en pire, parce qu’en plus il a la prétention de dire qu’il s’intéresse aux pauvres”… et cite en exemple des personnages à la marge, comme “Danny” Cohn-Bendit, Jean-Marie Le Pen, Georges Marchais, Nigel Farage… et Jean-Luc Mélenchon surtout (“un vrai tribun”), dont il est un très grand admirateur et nous montre les discours, qu’il compile en guise de fichiers musique dans son smartphone.
Louis y tient : même s’il ne partage pas les idées de ces gens-là, “surtout pas l’extrême droite”, il ne peut pas s’empêcher de les prendre en exemple.

Les militants dont je me sens le plus proches sont ceux d’extrême droite et d’extrême gauche. Parce qu’ils croient et j’aime les gens qui croient. Je ne partage pas les idées de l’extrême droite mais au moins ils croient, et ils sont prêts à “mourir” pour leurs idées. C’est la vraie politique. Ils sont engagés.

D’accord, le combat des manouches, c’est le même combat que celui d’un Breton ou d’un Alsacien. C’est l’identité, le socle de la civilisation. Mais à la différence des Corses, des Bretons, des Savoyards… les manouches souffraient et faisaient de la guitare dans le style de Django Reinhardt. Et il y avait une facette du combat qui est celle de la souffrance et qui m’a touché chez eux, qu’on voit dans la musique, dans les cœurs, dans les regards. Les Bretons, eux, ils ne souffrent pas.

“N’est pas appelé qui veut”

En fait, le film Gadjo, un prince chez les gitans sort presque trop tard. Aujourd’hui, Louis de Gouyon Matignon veut s’éloigner de cette image de défenseur de la culture tsigane, il veut se battre sur des terrains électoralement plus porteurs, faire résonner sa lutte dans le cœur de ses contemporains, qu’ils soient gens du voyage, indépendantistes basques, ou tout simplement Français. Alors il n’hésite pas des saillies surprenantes où pointe une grande désillusion sur le sort de la culture manouche en France.

Le problème qu’ont les gens du voyage et qu’ont les Roms, c’est qu’aujourd’hui peu de gens s’engagent pour porter leurs valeurs, et c’est un peu aussi à cause du fait qu’il y a peu de haute instruction dans ces cultures. La culture des gens du voyage, son nomadisme, sa langue et son organisation familiale vont disparaître. Ca s’est vu chez les gitans.

Louis de Gouyon cite Le Pen, Rabhi, Péguy, Marx, Laguiller tout en nous entretenant d’Europe, de ses ambitions pour la société civile et de sa vision globale. Si on baissait la garde, on oublierait presque que l’homme politique qui nous fait face a 23 ans. Sauf quand il tombe le masque, à de rares occasions, sans même s’en rendre compte :

Lorsque je suis sorti des études, au début je voulais être musicien, je voulais vivre avec les gens du voyage et devenir comme eux. Je voulais me marier avec une fille issue de la communauté des gens du voyage, je voulais devenir un manouche.
Puis j’ai compris avec le temps que je pouvais aider davantage cette population en faisant des études et en portant leur bannière plutôt qu’en étant un musicien qui allait vivre à la tsigane. On s’en fout, quoi. Je voulais vraiment aider ce peuple alors j’allais plus apporter en restant différent, et en faisant ces études.

Tout cet engagement qu’il a à revendre, hélas, fait de Louis une personnalité certes fascinante, mais difficile à suivre. Il se dit très seul : “J’ai jamais eu de copine de ma vie, c’est un peu dur”. Naïvement, on lui demande : “Comment ça se fait ?” Pour la première fois, Louis semble un peu désarçonné et tâtonne pour répondre : “Parce que… je suis pas homosexuel… enfin je ne pense pas…” avant de trouver dans les mots d’autres que lui une élégante porte de sortie :

“N’est pas appelé qui veut”, dirait Malraux. Quand tu as une mission, tu donnes tout pour elle. Je suis prêt à mourir pour ce dont je te parle.

On quitte Louis en pleine forme après une heure et demie d’interview. Il l’avoue lui-même, il est “un peu orgueilleux”. Et à plusieurs reprises, l’interview l’a galvanisé, un peu à la manière de ces tribuns qu’il aime tant et qui constituent ses seules écoutes maintenant qu’il a plus ou moins abandonné la guitare… Son intérêt pour la culture tsigane s’estompe peu à peu pour une ambition politique plus classique. Alors que nous nous sommes quittés depuis une demi-heure, je reçois un texto. C’est Louis :

J’ai oublié de te dire que je vais essayer de choper les 500 signatures pour 2017 !

Le documentaire Gadjo, un prince chez les manouches sera diffusé vendredi 24 octobre à 23h20 sur Arte ; le film sera hébergé une semaine sur la plateforme Arte+7.