Liban : le selfie, instrument du souvenir et de la contestation

Liban : le selfie, instrument du souvenir et de la contestation

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Par Tomas Statius

Publié le

Le 27 décembre dernier alors qu’il se rendait à une réunion de la coalition parlementaire libanaise, l’ancien ministre des Finances, proche de Saad Hariri, Mohammed Chattah, connu pour sa modération et son opposition au Hezbollah, périssait suite à l’explosion de sa voiture déclenchée à distance. Un drame symptomatique du “noeud” dans lequel se trouve le pays : entre un pouvoir central et l’influence de “l’oeuvre de Dieu” et de la Syrie, entre plusieurs confessions et les divisions de sa société civile.

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Micro-histoire

Mais outre cette grande histoire, un élément a bien souvent été occulté : bien que mention est faite dans la grande majorité des articles de presse de six innocents ayant péri dans l’explosion – seulement coupable de se trouver au mauvais moment au mauvais endroit- la grande histoire, ici l’assassinat d’un dignitaire de l’état libanais, surpasse souvent la petite. Du moins de prime abord.
L’un de ces six anonymes, Mohammad Shaar, avait 16 ans et se trouvait dans le quartier avec ses amis. Avant l’explosion il avait même publié un selfie sur les réseaux sociaux pour immortaliser le moment avant que l’explosion ne retentisse. Ce “selfie le plus tragique de 2013” comme on l’appelle déjà aux quatre coins de la toile a suffi pour mettre du baume au coeur du nombreux internautes. Et faire de ce nouveau type photographique, dans ce cas très précis, l’instrument du souvenir mais également de la contestation.

Un avant/après tragique

Mon selfie est une arme

Comme le rapporte la BBC, peu après l’attentat les pages “I Am Not A Martyr” (elle rassemble à présent près de 6000 personnes sur Facebook) et “Not A Martyr” (un peu moins de 300 suiveurs sur Twitter), ainsi que le mot dièse #notamartyr sont là pour rappeler l’horreur de l’attentat mais également l’injustice profonde qu’elle met en exergue : face aux médias, dans la narration mais également dans la nature même des mots utilisés.

Comme le rappelle Dyala Badran, un blogueur de 25 ans interrogé pour l’occasion :

Je continuais à me dire qu’il ne s’agit pas d’un “martyr” mais bien d’un meurtre.

L’appel aux selfies se place dans la droite lignée de cette “réhumanisation” du jeune homme. Ces photos sont autant des tentatives de critiquer la politique gouvernementale, d’en appeler à la paix, que des hommages pour rendre à la micro-histoire ce qui lui revient. Pour que Mohammed Shaar ne tombe pas dans l’oubli. Pour que les innocents ne soient plus jamais rattachés à des intrigues politiques dont ils ne sont pas partie prenantes.
Pour une vue plus exhaustive sur les photos publiées lors de cet élan collectif et numérique, il y a toujours BuzzFeed