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Koko, le réseau social anti-Facebook qui prend soin de vous

Koko, le réseau social anti-Facebook qui prend soin de vous

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Par Cyril De Graeve

Publié le

Problème de stress, déprime, crise d’ego ? Robert R. Morris, psychologue diplômé du Massachusetts Institute of Technology (MIT), lance le premier réseau social qui se préoccupe de votre santé mentale.

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Angoisse, stress, tristesse… Dans la réalité terrassante du XXIe siècle, notre santé mentale est mise à rude épreuve. Et ce ne sont pas les réseaux sociaux, comme Facebook, qui arrangent notre fragile état émotionnel, en nous mettant insidieusement en compétition les uns avec les autres.

On ne va pas se mentir : à trop s’attarder sur la newsfeed compulsive de la machine à obséder de Mark Zuckerberg, on a vite fait de penser que seule la vie des autres vaut la peine d’être vécue. Une récente étude parue dans le Journal of Social and Clinical Psychology, réalisée sur un échantillon de 300 étudiants, est formelle : plus l’on végète sur Facebook, plus le risque de dépression nous guette.

C’est là qu’intervient Robert R. Morris, fondateur de Koko, (“OK OK”, à l’envers, tout simplement), le premier réseau social axé sur la santé mentale. À la base, Morris est psychologue, et le seul système d’exploitation qu’il connaît c’est le cerveau humain. Intéressé par les technologies, il rejoint le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour profiter des compétences des as du code, que lui ne maîtrise pas du tout.

Là, il découvre la puissance collaborative et d’entraide de l’univers du peer-to-peer :

“Internet est une bénédiction en termes de services à la personne et d’intelligence collective. Voyez la redoutable efficacité d’outils tels que Wikipedia et Quora en matière de connaissance. Je suis convaincu que nous pouvons appliquer ça au bien-être émotionnel.”

Diplôme en poche, Robert R. Morris était conscient de ses lacunes en matière de programmation mais aussi du potentiel de la technologie :

“C’est vraiment à ce moment-là que j’ai souhaité tirer parti de la technologie et de la puissance des réseaux sociaux pour concevoir, avec l’aide de quelques spécialistes de l’Internet collaboratif et communautaire, un outil qui relève des mêmes principes qui conduisent nos yeux à rester rivés en permanence sur Facebook ou Instagram, mais au service de notre santé mentale.”

Entre Tinder, Reddit et Whisper

Morris, un élément peu banal au sein du MIT, entend fixer les bugs de la pensée. Oubliez les raz-de-marrée de likes, les statuts good life et l’avalanche de cœurs : sur Koko, la question n’est pas “qu’est-ce que vous avez à l’esprit ?”, mais “qu’est-ce qui ne va pas ?”.

Fin 2014, une première mouture du projet, dans une version Web nommée Panoply, fait l’objet d’une évaluation dans le cadre d’un usage clinique. Les conclusions, publiées dans des revues professionnelles de médecine, sont pour le moins satisfaisantes quant aux bénéfices psychologiques observés sur les malades.

Disponible depuis la fin 2015 sur iPhone (une version Android est en cours de développement), l’appli se présente comme un réseau social traditionnel, savant mix de Tinder pour le swipe vers la droite ou la gauche, de Reddit pour l’upvoting (note positive qui augmentent la visibilité des interventions jugées les plus adéquates) et de Whisper pour l’anonymat.

“Nous ne recueillons aucune information personnelle pour que nos membres se sentent libres de partager leur intimité et leurs vulnérabilités.”

Le nouveau membre est invité à choisir une thématique (école, travail, famille, santé, argent, amour…) et à verbaliser un ressenti ou une émotion qui le tracasse. Par effet d’identification et par compassion, les autres membres de la communauté proposent une reformulation de cette pensée inconfortable pour relativiser son interprétation négative, la rendre plus réaliste ou la retourner en constat optimiste.

“Les personnes qui aident le plus les autres sont celles qui tirent le plus de bénéfices de ces partages”

Imaginons. Un type, à Jersey City, se sent comme un imposteur au bureau, entouré de personnes qu’il juge toutes plus intelligentes que lui. Dans la souffrance, il s’oblige à faire bonne figure pour ne pas perdre la face… Après les explications, Koko lui demande de résumer ce drame existentiel en une phrase : “Je me sens comme la personne dont tout le monde pense qu’elle est la plus bête dans cette pièce.”

Pas moins de sept bonnes âmes lui proposent dans la foulée de reconsidérer cette vision des choses sous un autre angle : “Et donc, on vous emploie pour faire de la figuration ? Non, bien sûr que non !” Ou encore : “Je me demande combien de personnes dans votre bureau ressentent la même chose que vous… Vous n’êtes pas le seul !” Plus pragmatique, enfin : “Vous êtes au bon endroit pour vous améliorer, comme au ping-pong, lorsque vous jouez contre des adversaires meilleurs que vous. Profitez-en !”

Comparaison, jugement, ressentiment, sous-estime, apathie… Les pensées négatives passent au filtre Koko, dont le fondement repose sur un croisement de techniques de thérapies cognitives comportementales, pour mieux sortir des affres de l’apitoiement et viser, sinon le bonheur, en tout cas une certaine stabilité émotionnelle.

Chaque contribution est modérée, Koko préconisant la bienveillance, l’entraide et l’ouverture d’esprit. Sur le modèle des programmes de groupes de paroles du type Alcooliques ou Narcotiques Anonymes ?

“Oui, et nous constatons d’ailleurs que les personnes qui aident le plus les autres sont celles qui tirent le plus de bénéfices de ces partages, de ces échanges, pour leur santé mentale. Plus on donne, plus on reçoit !”, assure Robert R. Morris.

Certains membres devenus accros y voient carrément un outil de développement personnel, l’un d’eux évoquant auprès de nous “un apprentissage de nouvelles compétences de vie pour devenir une meilleure personne”. Tout ce que l’école ne nous enseigne pas, en somme, résume le fondateur de Koko :

“Nous devrions tous savoir gérer dès notre plus jeune âge notre état émotionnel aussi simplement que l’on pratique des exercices physiques ou un régime alimentaire !”

Le modèle économique n’a pas encore été envisagé : Robert R. Morris et son équipe se sont “concentrés sur le fait de bâtir une application que les gens apprécient utiliser, en restant à l’écoute des feedbacks”. Selon les résultats obtenus dans les pays anglophones, Koko pourrait s’ouvrir à d’autres zones, comme la France.

Vu les prévisions en ce qui concerne le marché du bien-être et de la santé mentale en ligne, on ne se fait pas trop de mouron pour Koko et ses futurs concurrents : 121 millions de personnes souffrent de dépression dans le monde, et l’OMS (Organisation mondiale de la santé) est catégorique : cette maladie sera la première cause d’invalidité, devant les maladies cardiovasculaires, tous âges et sexes confondus, en 2020.