La justice américaine vient de considérer un gif comme “une arme mortelle”

La justice américaine vient de considérer un gif comme “une arme mortelle”

photo de profil

Par Thibault Prévost

Publié le

Après avoir causé une crise d’épilepsie à un journaliste en lui envoyant une image animée sur Twitter, un internaute a été jugé coupable d’agression.

À voir aussi sur Konbini

Le troll, sur Twitter, avec un gif : ce n’est pas (encore) une nouvelle catégorie de réponse sortie d’un Cluedo du XXIIe siècle, mais bien le résumé d’une affaire étrange, comme seule notre époque numérisée peut en produire, sur laquelle a planché un grand jury texan ces derniers jours. Avec, au cœur du procès, une question en apparence anodine mais bien essentielle au verdict : un gif peut-il (et doit-il) être considéré comme une arme ? Dans ce cas au contexte unique, la justice a tranché, et un homme a été reconnu pour la première fois coupable d’agression avec “une arme mortelle” pour avoir envoyé un gif.

Rembobinons un peu : aux États-Unis, Kurt Eichenwald est journaliste pour Vanity Fair et Newsweek et ne cache à personne, notamment en ligne, qu’il souffre d’épilepsie. Particulièrement remonté contre Donald Trump et ses soutiens, il ne se contente pas de les pourfendre dans ses articles mais mène également sa croisade sur Twitter, avec beaucoup plus de véhémence que sous sa plume journalistique. Le 15 décembre dernier, Kurt Eichenwald ouvre ses notifications Twitter et tombe sur un message d’un certain “Ari Goldstein”, qui officie sous le pseudonyme à connotation antisémite @jew_goldstein. Le message est un gif stroboscopique, accompagné de la mention “Tu mérites une crise pour tes publications”. Selon Kurt Eichenwald, la technique fonctionne et provoque une crise de huit minutes. Il est finalement sauvé par sa femme (qui n’oublie pas de photographier le tweet incriminant), mais le journaliste garde des séquelles physiques pendant plusieurs semaines, selon son avocat.

Jurisprudence… mais pourquoi, au juste?

Après la plainte déposée par Kurt Eichenwald, qui jure – sur Twitter, ironiquement – que l’homme serait retrouvé et jugé, le FBI entame trois mois d’enquête durant lesquels il lance plusieurs mandats de perquisition et sollicite l’aide du réseau social, de la compagnie de télécoms AT&T et d’Apple pour identifier l’homme, raconte Ars Technica. Malgré d’évidentes précautions (l’utilisation d’un burner phone jetable et d’une carte prépayée), l’agresseur, John Rayne Rivello, est finalement trahi par l’iCloud utilisé pour créer son compte Twitter.

En plus de découvrir son identité, les enquêteurs trouvent des éléments aggravants en remontant la piste de l’agresseur, comme des messages envoyés via le même compte Twitter au sujet de son gif – “J’espère que ça lui provoquera une crise” ou encore “Voyons s’il meurt”, précise NBC. Selon l’acte d’accusation, Rivello serait explicitement antisémite et son acte en revêtirait donc le même caractère.

À l’issue du procès, la cour a donc tranché : dans le cas de cette attaque antisémite contre une personne souffrant d’épilepsie, le gif est une arme, et Rivello s’est donc rendu coupable d’agression “à l’arme mortelle”. Une décision sans équivalent dans le monde, qui pourrait faire jurisprudence… si les experts juridiques arrivent à se mettre d’accord sur sa portée. Car s’il y a décision de justice exceptionnelle, c’est avant tout parce que le déroulé du crime est inédit, et il y a très peu de chances pour qu’une autre victime subisse une telle attaque – cela dit, selon les dires de Kurt Eichenwald, il en était déjà à sa seconde agression par gif.

Le gif restera donc une “arme mortelle” dans des circonstances particulièrement précises. Et c’est sans compter sur le premier amendement de la Constitution américaine – qui couvre les gifs de la chape de la liberté d’expression au même titre que les images, œuvres d’art et autres contenus de création numérique – et que Rivello et son avocat auraient pu tenter d’invoquer. Pas sûr, cependant, que l’argument ait tenu au vu de son utilisation criminelle. L’information à retenir, la voilà : en plus d’être une idée pourrie, tenter de blesser quelqu’un grâce à une image animée sur Twitter pourra bientôt vous envoyer au trou. On vit quand même une époque formidable.