“J’avais honte” : après avoir avorté en France, elles dénoncent des conditions indignes

“J’avais honte” : après avoir avorté en France, elles dénoncent des conditions indignes

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Par Mélissa Perraudeau

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Ce jeudi 28 septembre, c’est la journée mondiale du droit à l’avortement. Un droit légal en France, mais qui est parfois entravé. Des lectrices qui ont avorté dénoncent la désinformation, la culpabilisation, voire les violences obstétricales dont elles ont été victimes.

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L’interruption volontaire de grossesse est légale en France depuis la loi Veil du 17 janvier 1975, modifiée par celle du 4 juillet 2001. Les Françaises peuvent ainsi interrompre leur grossesse jusqu’à la douzième semaine de grossesse, ou quatorze semaines d’aménorrhée (à compter de la date des dernières règles). En 2016, ce sont 211 900 IVG qui ont été réalisées en France, comme France Info le rapporte. Et selon l’Institut national d’études démographiques (INED), un tiers des Françaises ont recours au moins une fois dans leur vie à l’IVG.

Le droit à l’avortement est pourtant un droit pour lequel il semble toujours falloir lutter. Des attaques plus ou moins insidieuses, mais toujours bien présentes, montrent que le droit des femmes à disposer de leur corps est encore loin d’être inscrit dans toutes les mentalités. Il y a moins d’un an, quatre femmes signaient par exemple une lettre ouverte sur Konbini pour dénoncer les récentes attaques contre le droit à l’avortement. Ou encore, il y a deux mois, un collectif anti-IVG se servait du nom de Simone Veil pour sa propagande.

Et s’il est légal d’avorter en France, accéder à ce droit fondamental n’est pas toujours évident : cet été, des femmes ont ainsi dénoncé la difficulté d’avorter pendant les vacances. Malheureusement, cette période ne semble pas faire exception : à l’occasion du 28 septembre, journée mondiale du droit à l’avortement, des lectrices ont souhaité témoigner sur leur avortement en France, en grande partie pour dénoncer la façon dont elles ont été traitées par les médecins et les accompagnants, et le fait qu’elles ont souvent été culpabilisées.

Une décision souvent évidente

En couple ou non, occupant un “emploi stable” ou pas, ces dernières ont en commun d’être tombées enceintes par accident, sans le vouloir, et d’avoir rapidement choisi d’arrêter la grossesse − un choix plus ou moins compliqué. Adeline a dû prendre cette décision deux fois : d’abord à 20 ans, à cause d’un “dysfonctionnement de pilule”, puis à 22 ans, à la suite d’un oubli de pilule. La première fois, elle était en couple avec un homme violent qui avait des problèmes d’alcool ; autant dire qu’elle était loin de vouloir avoir un enfant avec lui. “Je comptais plus le quitter que fonder une famille”, explique-t-elle. Pour la deuxième, elle était au début d’une nouvelle relation, et avoir un enfant ne faisait pas partie des plans immédiats du jeune couple.

L’oubli de pilule a souvent été à l’origine des grossesses non désirées des lectrices ayant témoigné, comme pour Élise :

“Je venais tout juste d’avoir 20 ans quand j’ai appris que j’étais enceinte de 10 semaines. Je voyais à l’époque un garçon, et la nature de notre relation était peu définie, sans que ce ne soit dérangeant à l’époque. Nous nous voyions et faisions l’amour depuis plusieurs mois.

Et puis, il y a eu un soir un peu trop alcoolisé, qui m’a valu un lendemain difficile à assumer, où tout ce que j’avais en tête, c’était de dormir pour me débarrasser des symptômes de la gueule de bois. Du coup, je n’ai pas pris ma pilule.”

Doriane évoque elle aussi une histoire “assez banale” en 2013, alors qu’elle avait 21 ans : “Un oubli de pilule, un accident, et quelques semaines plus tard, je me demande pourquoi je ne suis pas loin de m’étouffer dans mes seins et pour quelle raison je suis au bord de la crise de larmes quand on me marche sur le pied dans le bus.”

Après la découverte de la grossesse vient le moment de décider de la poursuivre ou non. Érika raconte :

“Il ne restait plus beaucoup de temps avant la limite légale de l’IVG en France quand on a découvert ma grossesse. Mon médecin m’a suggéré de prendre une décision rapidement. Il savait que cette grossesse était non désirée. Mais en fait, ma décision était déjà prise : j’allais avorter.

J’avais 19 ans, une situation amoureuse instable, j’étais étudiante. J’avais même pris cette décision tellement rapidement et avec tellement de certitude que je me souviens y avoir réfléchi à nouveau, juste par peur que ce soit trop rapide. De toute façon, la loi m’imposait à l’époque une semaine avant le rendez-vous pour l’opération.

Je me savais enceinte, mais dans ma tête, tout était bien clair : je n’avais pas de bébé dans le ventre, c’était un fœtus, et je n’allais pas être mère. Du moins, pas maintenant.”

Érika a ensuite été très bien accompagnée médicalement, de façon déculpabilisante, efficace et professionnelle. Malheureusement, elle fait figure d’exception parmi les lectrices ayant témoigné. Pour beaucoup d’entre elles, les difficultés ont commencé dès la décision d’avorter et les recherches sur la façon de procéder.

De la difficulté de trouver les informations nécessaires sur l’IVG

Premier réflexe pour beaucoup : Internet. Marie se souvient :

“J’ai commencé à me renseigner sur Internet, où j’ai trouvé beaucoup plus de désinformation qu’autre chose. Il y avait peu d’articles récents, aucune information fiable ou précise, et des discussions angoissantes sur des forums.”

Elle a ainsi lu des témoignages de femmes ayant avorté par aspiration, des récits qui se sont révélés “tous plus effrayants les uns que les autres”, et se souvient avoir eu peur que son utérus soit abîmé par l’IVG – une idée fausse souvent véhiculée par les anti-choix. Pour beaucoup, il a été difficile de démêler le vrai du faux, de savoir où aller et de comprendre leurs droits. Doriane se rappelle avoir été complètement perdue, ce qui s’est ajouté à la panique de la découverte :

“Après trois tests de grossesse positifs, je me rends à l’évidence. Un peu paniquée, je fais dans le classique, je fouine sur Internet pour savoir ce qu’on fait dans ces cas-là… C’est pas vraiment clair, je comprends pas super bien, mais un numéro revient souvent : celui d’un gynécologue, que j’appelle plusieurs fois jusqu’à ce que je tombe sur la standardiste. Je bafouille, j’explique, je suis déjà blême, mais je fais de mon mieux.

Elle me répond sèchement un truc du genre : ‘On fait pas ça chez nous, appelez le Planning !’ Je veux bien, mais impossible de trouver le numéro ! Le planning familial de la ville où je vivais à l’époque était accolé à la maternité, et dans la présentation du site, j’avais un peu de mal à distinguer un ‘service après-vente/IVG’. Je me voyais mal appeler la maternité au culot pour leur expliquer que moi, ce que je voulais, c’était ne pas m’y pointer dans sept mois.”

Louise a quant à elle lu sur Internet qu’il fallait qu’elle prenne rendez-vous chez son médecin traitant. C’est ce dernier qui lui a indiqué la marche à suivre : elle devait faire une prise de sang, une échographie de datation, puis contacter le planning familial local. Mais il ne lui a pas expliqué que l’ensemble des frais était remboursé par l’assurance maladie, et elle a déboursé des sommes considérables – sans compter qu’elle a dû se débrouiller seule pour réussir à trouver un médecin proposant des IVG médicamenteuses avant la fin du délai légal. Louise dénonce aujourd’hui “la pratique de ces charlatans”, les “médecins et les labos qui profitent de l’ignorance des gens”.

Des efforts ont pourtant été faits pour optimiser l’accès aux informations concernant l’avortement. Le délit d’entrave à l’IVG a été instauré en 1993 et étendu au numérique en 2016 : le texte, adopté par le Parlement en février 2017, prévoit de pénaliser les sites de désinformation sur l’IVG, comme le rapporte Le Monde. Une campagne d’information “IVG, mon corps, mon choix, mon droit” a par ailleurs été lancée en 2015, parallèlement à l’ouverture d’un numéro national d’information (0800 08 11 11). Anonyme, gratuit et accessible 6 jours sur 7, il a rencontré un succès immédiat, traitant plus de 20 000 appels sa première année d’activité.

Enfin, depuis 2016, le site officiel et fiable du gouvernement, ivg.gouv.fr, est en première position des recherches Google sur le sujet de l’IVG “grâce à une politique active de référencement visant à faire reculer les sites Internet qui véhiculent des informations biaisées sur l’avortement”, rapporte le ministère des Solidarités et de la Santé. Un dossier-guide clair et détaillé est également disponible. Mais il y a encore du travail en ce qui concerne les comportements des spécialistes : les lectrices ayant témoigné ont souvent dénoncé des comportements irrespectueux, voire des abus et des violences obstétricales.

Maltraitante médicale, slut-shaming et culpabilisation

Pour Doriane, le rendez-vous avec un gynécologue (qu’elle a eu du mal à trouver) pour faire l’échographie de datation a viré au cauchemar – et son récit est par conséquent choquant. On lui avait dit de boire plusieurs litres d’eau, et elle a ensuite attendu une heure trente sans aucune information dans une petite salle d’attente “sinistre”, heureusement accompagnée de sa meilleure amie puisque son copain devait travailler. Ne tenant plus, elle a dû se rendre aux toilettes avant le rendez-vous avec un spécialiste austère et froid qui ne s’est même pas fendu d’un “bonjour” en l’accueillant :

“Il a dû échanger avec moi trois mots avant que je me retrouve avec son truc tout froid sur le bide, pendant qu’il appuyait comme un dingue dessus en gueulant qu’il ne voyait rien. Il a fini par me demander de me défroquer un peu sèchement. Ma copine étant dans le cabinet, j’étais un peu blême car je ne m’y attendais pas spécialement, je dois avouer. Je me suis remise en position, et là, sans crier gare, il m’a pénétrée avec son bidule à échographie. J’aurais quand même bien aimé qu’on me prévienne. Pendant que je me répétais en boucle que je ne m’attendais pas à ce que mon amitié soit renforcée à ce point par la vue en gros plan de ma pénétration vaginale, il remuait son truc en se taisant complètement.

Ça s’est enfin terminé, je me suis assise à son bureau : il ne m’a rien dit, il a juste mis mon échographie dans une enveloppe sans me demander si j’avais envie de la voir ou non. Encore une fois, j’aurais probablement dit non, mais j’aurais voulu qu’on me le demande, ça aussi. L’enveloppe remise, il m’a annoncé que l’avortement serait par voie médicamenteuse vu l’avancée et que je devrais remettre le papier au planning familial.

Une fois qu’on est sorties du cabinet, ma copine a fondu en larmes. J’ai essayé de serrer les fesses, mais trois minutes plus tard, c’était mon tour, je n’arrivais plus à m’arrêter de chialer. Je sais bien que c’est un médecin, mais merde, il aurait pu me prévenir. Et puis, je sentais bien qu’il voulait me voir prendre feu.”

Le calvaire de Doriane ne s’est pas arrêté là : les autres accompagnants ont ensuite fait “comme si [elle] n’étai[t] pas vraiment une personne”. Une absence de considération et un slut-shaming clairs pour elle, qui a eu l’impression que le droit à l’IVG empêchait clairement la possibilité au respect élémentaire et à disposer de son corps : “Faudrait pas pousser, j’ai choisi de faire l’amour et ensuite d’avorter, on va pas en plus m’autoriser à avoir un droit de regard sur mes émotions ou, pire encore, sur ma chatte.”

Adeline a elle aussi ressenti une sacrée culpabilisation des soignants lors de ses deux IVG. La première fois, ça a été un “discours moralisateur” de la part du médecin lui donnant la pilule abortive dans une clinique. Elle a très mal vécu cette expulsion de l’embryon, et le traumatisme était encore bien présent lorsqu’elle a à nouveau dû avorter. Mais la personne lui ayant fait l’échographie lui a dit “des choses horribles et très culpabilisante comme ‘il y a l’air d’avoir des anomalies sur cette grossesse, mais de toute façon, ça vous importe peu'”.

Le moment de l’échographie a, pour beaucoup, été particulièrement révélateur de la considération qu’ont de nombreux médecins envers les femmes qui avortent. Plusieurs des lectrices ayant témoigné ont ainsi rapporté qu’on leur avait montré l’échographie de datation, sans leur demander si elles le voulaient ou non. Marie se souvient :

“J’ai dit au médecin que je ne souhaitais pas voir l’échographie, et il m’a alors répondu sur un ton assez froid : ‘Ne regardez pas l’écran, alors.’ Il a pratiqué l’échographie et n’a rien dit. Puis, il m’a dit de me rhabiller et est allé à son bureau. L’écran de l’échographie étant toujours allumé, j’ai vu les clichés que le médecin avait faits de l’embryon. J’ai pris conscience qu’il y avait vraiment quelque chose. Je me suis assise face à lui, et il a examiné les clichés qu’il a mis à hauteur de son visage pour s’aider de la lumière de la fenêtre derrière lui. Ce qui a créé une transparence, et j’ai à nouveau vu ce qu’il y avait dessus…”

Louise se souvient également avoir précisé au moment de faire l’échographie de datation que c’était pour faire ensuite une IVG, mais cela n’a pas empêché la médecin de mettre l’écran face à elle et de lui montrer “l’œuf sous toutes ses formes”. Avant d’essayer de la convaincre de mener la grossesse à terme : “Elle m’a demandé si c’était mon choix ou si j’étais influencée, dit que je devrais prendre le temps de réfléchir, m’a posé des questions sur ma vie et mon âge en me faisant comprendre que c’était le bon moment pour le garder, etc.” Pour les lectrices qui ont témoigné, le droit à avorter semble ainsi parfois incertain jusqu’au bout.

L’IVG : un moment encore trop souvent traumatisant

Marie se souvient de son arrivée à l’hôpital : la secrétaire lui a tout de suite demandé des explications, puisque dans un souci de discrétion, elle avortait dans une autre ville que son lieu de résidence. Des questions difficiles à vivre :

“Je n’avais pas besoin qu’elle remette en doute mes propos, et pendant un temps, j’ai eu peur qu’elle me refuse l’accès aux soins. Droit qu’elle n’avait absolument pas, mais après les premiers échanges téléphoniques qui avaient déjà été pénibles, j’avais le sentiment que je n’avais pas le droit de penser par moi-même. Et que l’on pratiquerait mon IVG quand on aurait de la place, et que si cela m’empêchait d’avoir accès aux soins les moins contraignants, eh bien tant pis.”

Difficile de ne pas se sentir fautive de vouloir interrompre sa grossesse dans ces conditions, d’autant qu’en se rendant à son rendez-vous, Marie s’est retrouvée à l’accueil de la maternité avec “des femmes enceintes et heureuses de l’être, et d’autres avec leur nouveau-né”. Résultat : elle s’est tout de suite sentie coupable. Les conditions de l’avortement en lui-même semblent souvent dénoter un certain manque de moyens, et donc d’intimité. Le jour de son IVG, Marie a ainsi découvert qu’elle devrait faire la procédure aux côtés d’une autre femme dans le même cas qu’elle :

“L’infirmière m’a fait une nouvelle prise de sang et m’a donné le médicament qui allait expulser l’œuf. Elle a pris le temps de m’expliquer comment cela allait se passer et m’a emmenée dans la chambre double où une femme, accompagnée d’une amie, était déjà installée. On m’a donné des protections ainsi qu’un slip d’hôpital et un bassin, alors que je pensais que j’aurais à éjecter l’œuf dans les toilettes. Il m’a fallu jouer un jeu d’équilibriste pour viser dans le bassin car il était important que l’infirmière puisse vérifier le contenu des pertes, mais sa taille ne convenait pas au WC et ne s’emboîtait pas dedans.”

Comme il n’y avait qu’un WC pour deux, et que sa voisine de chambre laissait son bassin découvert par terre sans nettoyer autour des toilettes, Marie a très mal vécu ces conditions. D’autant plus quand l’autre patiente s’est plainte de douleurs extrêmes, ce qui a l’a fait angoisser. Elle n’a cependant ressenti “qu’une douleur de règles, tout au plus”, mais n’a pas su quoi faire quand elle est allée aux toilettes et a vu “une masse blanche”.

“J’ai pleuré, je ne savais pas quoi faire, j’avais honte et je n’osais pas sortir des toilettes. Mais la femme qui partageait ma chambre m’a forcée à sortir car elle avait besoin du bassin qu’elle avait laissé dedans. J’ai donc mis le couvercle sur mon bassin, j’ai nettoyé, et je suis sortie. Je me suis ensuite assise sur mon lit, j’ai appelé l’infirmière qui est venue après cinq minutes, et elle est partie avec le bassin. À son retour, elle m’a dit que c’était bon et que je pouvais sortir.”

Marie s’est un peu sentie poussée dehors par manque de place, alors qu’elle perdait encore beaucoup de sang. Cela a aussi été le sentiment d’Adeline qui, elle, a eu “d’énormes douleurs et des vomissements” après avoir pris la première pilule abortive. La personne qu’elle a vue à sa sortie lui a dit que ses vomissements n’étaient pas normaux (ce qui serait faux, puisqu’il s’agirait d’un trouble fréquent), mais que son hospitalisation étant terminée, elle devait rentrer chez elle. Elle se souvient également d’une promiscuité gênante à son réveil après son deuxième avortement, qui a été fait par aspiration :

“J’étais dans une pièce ou nous étions quatre jeunes femmes à subir la même intervention. Il n’y avait aucune intimité, juste des rideaux qui n’était pas fermés.”

Pour elle, comme pour plusieurs autres lectrices qui ont témoigné, les conditions de l’avortement en elles-mêmes étaient donc le plus gênant dans la procédure. “L’IVG est le parent pauvre de l’hôpital”, expliquait il y a peu Véronique Séhier, coprésidente du Planning familial, au Monde. Elle rapporte ainsi qu’en 2015, 130 centres d’IVG ont fermé, que “les structures de proximité disparaissent à grande vitesse”.
Peut-être est-ce à cause du manque de temps et de formation adaptée, mais les patientes accueillies pour les IVG ne semblent pas toujours au courant du déroulement de la procédure. Adeline se souvient avoir été choquée :

“Pour moi, l’expulsion a été traumatisante parce que j’ai vu l’embryon dans mes toilettes et la quantité de sang que j’avais perdu. On ne m’avait rien dit de la manière dont ça allait se dérouler.”

Cette vision de l’œuf, sans avoir au préalable été prévenues, est ce qui a choqué plusieurs des lectrices, qui ne savaient pas à quoi s’attendre en ce qui concerne l’expulsion. Doriane regrette aussi amèrement de ne pas avoir été correctement informée : on lui a en effet carrément donné la deuxième pilule en lui faisant croire que c’était un antidouleur, parce que cette deuxième pilule allait lui faire extrêmement mal et qu’elle risquait de vomir. Quand elle a commencé à vomir avec l'”antidouleur”, elle s’est dit “Merde, on t’a même pas donné ce qu’il faut, tu dégueules déjà, chochotte” :

“Après une bonne heure, une infirmière est entrée et m’a demandé à combien j’en étais dans ma douleur sur une échelle de 0 à 10. Ma réponse aurait dû être : ‘9, PUTAIN !’, mais croyant ne pas avoir eu la deuxième pilule, j’ai dit 6. Elle m’a répondu que c’était bien, que ça ne devrait plus tarder. J’ai alors enfin compris, entre deux vomis et plus si affinités, que l’on m’avait menti. J’ai eu l’impression d’être un chien auquel on donne ses médicaments dans un bout de fromage pour le berner. Une heure ou deux plus tard, c’était terminé. J’ai appelé l’infirmière, qui m’a dit qu’elle enverrait tout ça au labo, et puis… plus rien. “

De manière quasi unanime, les lectrices ont dénoncé un manque criant d’information sur le déroulement de l’IVG, ayant pour conséquence un sentiment d’infantilisation et d’humiliation anxiogène. D’autant plus que ce défaut d’information est trop souvent accompagné d’une absence d’empathie et/ou de soutien psychologique de la part des accompagnants médicaux − quand ce n’était pas une culpabilisation plus ou moins implicite.

Le désarroi de l’après-IVG

Une fois rentrées chez elles, certaines se sont donc senties bien démunies, ne sachant si leurs saignements étaient normaux (ils durent généralement une quinzaine de jours) et si tout allait bien. Le rendez-vous de contrôle de Marie, qui devait se dérouler une quinzaine de jours après l’expulsion, a en outre été repoussé à deux mois plus tard. Elle se demandait, en attendant, si elle allait “réellement bien” et si tout était “véritablement normal”. D’autant plus que se sentant “honteuse”, elle n’avait pas trop osé en parler à son entourage, restant relativement seule avec son angoisse. Jusqu’à ce qu’elle en parle finalement avec sa gynécologue, qui a pu balayer ses idées fausses et la décharger d’une culpabilité qui n’avait pas lieu d’être :

“Elle était douce, pas dans le jugement et à l’écoute ; je me suis sentie plus apte à en parler et moins honteuse. Elle a pris le temps de répondre à toutes mes questions, sur ce qui s’était passé, si l’avortement aurait un impact sur ma fertilité, etc. Elle m’a aussi dit que j’avais bien fait de rentrer au plus tôt, que c’était mieux pour moi. Et m’a expliqué que je n’avais pas à avoir honte, qu’avoir un enfant ou non était mon choix. Cela m’a fait un bien fou !”

Ce discours médical rassurant est primordial et change tout pour celles qui l’ont entendu. Adeline se souvient ainsi encore de “la seule parole réconfortante” qu’elle a reçue des équipes médicales lors de ses deux IVG. C’était à son réveil de l’aspiration, quand elle s’est “effondrée en larmes”. L’infirmière qui était présente lui avait alors dit de ne pas s’inquiéter, ce qui l’avait aidée. Érika, elle, a eu du mal à se rassurer en ligne :

“Sur Internet, j’ai lu beaucoup de choses culpabilisantes, même venant des supposés pro-IVG. Certains insistent sur le fait que c’est toujours traumatisant pour la femme (ce qui est faux), ou que l’on sacrifie un rôle de mère (que je n’avais pas alors).”

Aucun regret, malgré tout

Est-il nécessaire de le souligner ? Avec le recul, aucune des lectrices ayant témoigné ne regrette d’avoir interrompu sa ou ses grossesses non désirées. Pour certaines, le choix était évident, pour d’autres, il entraînait des questionnements sur leur vie et leurs projets. Mais ce sont bien la culpabilisation et les commentaires contre l’avortement qui en font pour Louise “une ‘liberté’ qui coûte cher”, un “choix douloureux qui reste ancré à vie” en ce qui la concerne. Cette atteinte à la dignité et aux droits élémentaires des femmes indigne Doriane :

“Je sais bien que mon expérience est loin d’être la pire, j’ai eu une prise en charge rapide et efficace. Remboursée, également. D’un point de vue médical et administratif, tout a roulé. Mais si je raconte cette histoire, c’est pour faire entendre le fait que l’acte en lui-même est loin d’être une partie de plaisir. L’IVG fait l’objet d’un immense rejet, il ne fait pas bon être une femme qui avorte. Même si l’on pleure, même si l’on souffre, nous avons fait un choix que beaucoup de spécialistes ne semblent pas véritablement tolérer. Comme s’ils préféraient que l’on se flagelle encore et encore, et que l’on stagne dans notre culpabilité. Au moindre mot plus haut que l’autre, on sent que l’on essuiera un radical ‘Fallait pas te faire sauter’.

L’IVG apparaît comme une raison supplémentaire d’avoir honte de son sexe, d’être une femme. Je n’ai jamais eu envie d’avoir des enfants − aujourd’hui, pas plus qu’à l’époque −, et je défends avec ardeur le droit à l’IVG, mais j’ai dû me confronter à un possible, à des ‘et si’ depuis mes 21 ans. Malgré cela, je me suis confrontée au mutisme, aux jugements à l’emporte-pièce, aux regards désapprobateurs et à la solitude.

Heureusement que certaines peuvent prendre le recul nécessaire face à ce ‘rien’ qu’est, finalement, une grossesse non désirée. C’est d’ailleurs également la raison pour laquelle je témoigne, pour dire qu’il est normal de souffrir pour certaines, tout comme il est normal de s’en foutre complètement pour d’autres. Le problème, dans le premier cas, c’est que l’on se retrouve face à une incompréhension médicale, mais également de la part de l’entourage, qui peut se résumer peu ou prou à ‘Bah vous devriez être contentes, vous pouvez avorter, vous n’allez pas nous chier une pendule en plus alors que c’est vous qui décidez’.”

Ce besoin de soutien est une évidence pour Élise, qui veut également mettre fin au silence auquel elle s’est sentie réduite lors de son avortement. Parler de l’IVG, la normaliser pour la décharger de toute culpabilité et mettre fin à l’impunité des soignants humiliants aiderait à ce que les femmes qui avortent ne se retrouvent plus en position de vulnérabilité. Qu’elles ne soient plus jamais amenées à croire qu’elles sont fautives de quoi que ce soit et qu’elles puissent être entourées de soutien si elles en ont besoin :

“Je pense qu’après ça, je ne pourrai plus jamais juger ou ne pas comprendre une femme qui souhaite interrompre sa grossesse. C’est même devenu quelque chose que j’assume. Au moindre doute de mes amies, je leur rappelle que je suis là pour elles si elles en ont besoin. Que maintenant, je sais ce qu’il faut faire. On a trop besoin de soutien, et cela, peu importe l’âge. Il faut avoir un sacré courage et une véritable force mentale pour passer au travers de tous les jugements et de tous les doutes. Je remercie mon copain et ma sœur d’avoir été là parce que, du point de vue médical, je n’ai eu que le minimum d’aide.”

Les prénoms ont été modifiés dans un souci d’anonymat.

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