Grâce à la médecine, les yakuzas retrouvent leurs doigts (et une seconde vie)

Grâce à la médecine, les yakuzas retrouvent leurs doigts (et une seconde vie)

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Par Naomi Clément

Publié le

Un signe stigmatisant

Cette pratique, que l’on nomme le yubitsume au Japon, serait la forme la plus commune d’expiation chez les yakuzas. Comme le souligne Le Monde, près de la moitié d’entre eux étaient amputés en 1992, selon la police.
Inutile donc de préciser qu’au pays du Soleil-Levant, errer avec une main entamée est on ne peut plus stigmatisant – au même titre que le port des tatouages qui, malgré leur prolifération chez la nouvelle génération, restent bien souvent regardés de travers. Le blâme social est tel que les yakuzas désireux de s’extirper de la mafia pour retrouver une vie “normale” se tournent aujourd’hui vers la médecine.

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Des doigts plus vrais que nature

À Osaka, Yukako Fukushima crée des prothèses de doigts sur mesure, notamment pour les yakuzas. Reconnue pour son travail minutieux, cette Japonaise, qui a obtenu deux prix gouvernementaux pour sa contribution à réhabiliter et à réintégrer les ex-yakuzas dans la société, précisait au Guardian :

“Si vous avez perdu votre doigt dans un accident, les gens comprennent. Mais ce n’est pas le cas pour les yakuzas. La plupart des Japonais n’arrivent pas à passer outre leurs tatouages ou leurs doigts coupés. […]
J’ai besoin d’avoir la preuve qu’ils ont vraiment quitté leur gang, je n’accepte jamais les pots de vin proposés ceux qui veulent passer devant tout le monde…”

Yukako Fukushima n’est pas un cas isolé. À quelques kilomètres de là, dans un quartier résidentiel de Tokyo, la société Aiwa Gishi contribue elle aussi à la réhabilitation des yakuzas. Ces derniers représenteraient d’ailleurs 5 % de ses clients.
Avec une technique impressionnante, les prothésistes de cette entreprise, tout comme Yukako Fukushima, confectionnent des doigts plus vrais que nature, en respectant les teintes de pigmentation et la pilosité de chacun de leurs clients. Chez eux, une prothèse coûte jusqu’à 2 700 euros, et dure entre cinq et dix ans.

 
Pour Shintaro Hayashi, prothésiste chez Aiwa Gishi, ce travail est aussi nécessaire que gratifiant : “Je me sens comme Geppetto, qui construit des marionnettes qui deviennent humaines, confiait-il à l’AFP [dans la vidéo ci-dessus]. Je vois souvent mes clients pour l’entretien de leur prothèse, et je réalise chaque fois avec émerveillement qu’elle fait partie de leur corps. Ce que j’ai fabriqué a pris vie.
Un constat partagé par Yukako Fukushima, qui affirme au Guardian :

“J’ai entendu parler d’hommes qui ont retrouvé du travail, se sont mariés, ont eu des enfants. D’autres m’ont dit qu’ils se sont remis sur le droit chemin, ont revu leur famille et se repentent des années de souffrance et de misère qu’ils lui ont fait endurer. Quelques-uns me disent qu’ils sont simplement heureux d’être en vie, même s’ils ont souhaité mille fois être morts…
Quand j’entends ces histoires, cela me donne le courage de continuer. Je ne le fais pas pour les yakuzas, je le fais pour ces hommes qui veulent une seconde chance en devenant un modèle pour leurs enfants.”

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