Instagram, pépinière pour fleuristes 2.0

Instagram, pépinière pour fleuristes 2.0

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Par Théa De Gubernatis

Publié le

Ils sont de plus en plus nombreux à s’approprier la plateforme sociale comme lieu d’exposition pour leurs plus belles compositions florales.

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Dans l’industrie florale actuelle, le symbolisme d’une fleur, de sa fragrance à son caractère éphémère, disparaît au profit d’une standardisation fade pour un prix minimal, le tout arrosé de pesticides et d’une belle empreinte carbone. En France, en 2015, 85 % de nos fleurs étaient importées tout droit du Kenya, du Pays-Bas ou encore de la Colombie, où le coup de la main-d’œuvre est très avantageux.

Loin des compositions aseptisées de supermarchés et des roses coupées à la chaîne, des fleuristes – le plus souvent, de jeunes femmes – utilisent Instagram comme véritable vitrine virtuelle d’un art qu’elles se plaisent à revisiter. On y retrouve une multiplicité d’idées, inspirées par les peintures hollandaises de natures mortes, de fleurs teintées, d’envies décomplexées, et de profils atypiques.

Anna Potter, la classique

Une des figures de proue d’un classicisme revisité, Anna Potter, a installé sa boutique Swallows and Damsons à Sheffield, en Angleterre, mais touche une clientèle mondiale grâce à son déploiement sur Instagram. Après avoir étudié l’art et la photographie, elle se retrouve à travailler chez un fleuriste. C’est une révélation, alors qu’elle n’avait jamais envisagé le métier auparavant. Ces compositions sont empreintes d’un romantisme sauvage, de branchages bruts et de désordre champêtre. Elle utilise l’irrégularité des plantes comme un challenge à surpasser, faisant partie intégrante de la beauté d’une fleur, loin d’une formalité où tout ce qui dépasserait serait coupé, arraché. Elle a appris à apprécier, au fil des saisons, la sélection naturelle qui influencera sa composition, et utilise son œil photographique pour des natures mortes tout droit sorties de tableaux flamands.

“Je ne suis pas inspirée par les arrangements floraux identiques que nous avons tous vus auparavant. Nous refusons de produire des compositions fades de mass-market. Nous préférons plutôt discuter avec le client et créer quelque chose spécialement pour eux. Chaque bouquet est unique et pensé jusque dans les moindres détails.

Putnam & Putnam : style pictural

Le couple de fleuristes Michael and Darroch Putnam travaille également un style très pictural. Michael, designer d’intérieur, commence à développer une obsession pour les plantes, qu’il ne peut s’empêcher de toucher, sentir. Elles sont pour lui une source intarissable de découvertes et de connaissances. Son compagnon, Darroch, est photographe dans le e-commerce. Très vite, l’un passionnant l’autre, ils se prennent au jeu et postent des photos des créations florales de Michael. Leurs installations maximalistes pour Vogue ou encore Dior font désormais la réputation du duo à la main verte.

Ikebana et fleurs sous LSD

Plus surréaliste, Brittany Asch a ouvert en 2013 son magasin Brrch à New York. Ses camaïeux pastel d’orchidées, de myosotis et de branchages sortent tout droit d’une planète extraterrestre. Ses nombreuses collaborations avec le monde de l’art ou de la mode lui ont permis d’expérimenter les textures, les couleurs jusqu’à s’aventurer sur des sentiers interdits, parfois mal vus par la profession, comme la teinture de fleurs dans des couleurs introuvables naturellement.

“Nous sommes habitués à voir des champs de verdure”, raconte-t-elle au NY Times. ”Suis-je habituée à voir un champ rose et bleu ? Non. Donc, si j’utilise ces couleurs, ça rendra un effet surréaliste… J’aime à penser que mes compositions florales ont été créées d’un coup de baguette magique.”

Marisa Competello, de MetaFlora, fait pousser de duveteuses plumes d’autruche dans de touffus roseaux. Nature animale et végétale s’entremêlent dans une harmonie qui évolue, au fil de son inspiration. Tantôt électrique, flamboyante, puis minimaliste, à la manière de l’ikebana. Cette technique ancestrale japonaise, loin de la théâtralité des bouquets européens, pousse parfois la simplicité et la minutie à son paroxysme : une simple fougère devient bouquet. Les samouraïs pratiquaient même l’exercice avant le combat, symbolisant pour eux l’éphémère, mais aussi l’élévation spirituelle de l’âme et la concentration, nécessaire avant toute bataille. Ancienne et pourtant contemporaine dans sa forme, elle est désormais une véritable base de réflexion pour la prochaine génération de fleuristes.

Du design au service des plantes

 

Par son métier de designer, Carolina Spencer pense l’Ikebana du vase jusqu’aux feuilles. Ses totems colorés viennent animer de larges feuilles d’alocasia zébrée, de physalis et de fleurs tropicales.

Ses vases en céramique aux formes géométriques sont une composante fondamentale à l’équilibre de ses compositions florales. Dans les photographies qu’elle expose sur son compte Instagram, c’est une réelle mise en scène qui est en place : une unité de murs blancs et de lumière douce met en valeur son travail.

“Cette nouvelle sensibilité aux fleurs – que certains ne croyaient pas avoir – se nourrit d’une tendance sociale renforcée par les réseaux sociaux comme Instagram.” analyse-t-elle pour le magazine espagnol Vein. “Internet révèle le pouvoir de la beauté aux yeux de tous, et l’installe dans votre cerveau. Cette image est partagée dans le monde entier, et c’est ainsi que les tendances se forment.”

Hattie Molloy, Simone Gooch, Madison Hartley, Mary Lennox… Pour elles, la fleur est un medium de création aux possibilités infinies. Elles fusionnent et réinventent leur métier, en utilisant la plateforme sociale comme étendard d’un mouvement qui n’a pas fini de s’épanouir.