À l’ONU, la galère des stagiaires non rémunérés

À l’ONU, la galère des stagiaires non rémunérés

photo de profil

Par Anaïs Chatellier

Publié le

Un stage à l’ONU, la ligne qui claque sur le CV

L’ONU… Acronyme qui symbolise l’union des nations dans le monde et qui “aide à construire le monde meilleur auquel ses fondateurs ont aspiré il y a 70 ans“. Acronyme derrière lequel se cache une grande variété de métiers passionnants dans des secteurs aussi divers que la “paix et la sécurité”, “le développement durable”, “les droits de l’homme”, “le désarmement”, “l’égalité entre hommes et femmes” et bien d’autres encore. Acronyme qui fait surtout rêver de nombreux jeunes diplômés.
Car avoir la mention “Stage à l’ONU” sur son CV c’est un peu comme la cerise sur le gâteau. Pour valider son Master 2 en relations internationales à Lyon, Raskolnikov* – l’interviewé à tenu à témoigner sous ce pseudonyme, référence au personnage principal de Crime et Châtiment de Dostoïevski – décide de postuler aussi bien à l’ONU que dans des ONG.
Alors qu’il commence à préparer son voyage pour partir en Inde travailler pour une petite ONG qui s’occupe des orphelins, le jeune homme de 24 ans a l’opportunité de réaliser un stage de cinq mois à l’Union Internationale des Télécommunications, une agence de l’ONU.
Sa première option correspond davantage à ses aspirations professionnelles, mais il finit par accepter la deuxième, conscient qu’il ne peut pas passer à côté de cette expérience reconnue.

À voir aussi sur Konbini

Je me suis mis à réfléchir en terme d’opportunité et d’allure de mon CV. Pour effectivement pouvoir faire ce qui me plait par la suite, autant opter pour le nom de l’ONU sur la ligne “stage” de mon CV. C’était un simple investissement.

Il y a toujours ce rêve de rentrer à l’ONU quand on souhaite travailler dans la politique internationale de coopération.

Un rêve qu’elle a également vécu comme un “sacrifice” pour son avenir professionnel. Car en plus de ne pas être rémunérés, les stagiaires n’ont droit à aucune aide pour l’hébergement, les transports, l’alimentation ni pour l’assistance médicale dans une ville aussi chère que Genève.
Si Justine, qui a réalisé un stage de six mois au PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), avait déjà connaissance de ces conditions, elle avoue : “C’est surtout quand j’ai vu les prix des logements de Genève que j’ai commencé à avoir très peur… !“.

Le coût excessif de la vie à Genève

Une fois la satisfaction de se retrouver parmi les heureux élus qui vont travailler pour l’ONU, la première galère commence, celle de trouver un appart, “chose presque impossible à moins de 800 ChFr (environ 740 euros) pour une simple chambre en colocation“, selon Raskolnikov. En Suisse, le prix du logement est 60% plus élevé que dans la moyenne des 27 pays de l’Union européenne. Si Anne* et Céline n’ont pas eu à chercher de logement puisque leurs parents habitent relativement près de Genève, le trajet n’était pas des moins fatigants.
Les parents de Céline habitant en France près de la frontière, elle enchaînait la voiture puis le bus, pour environ 40 minutes de trajet deux fois par jour pour se rendre à l’UNEP (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) où elle occupait le poste d’assistante en communication. Encore moins chanceuse, Anne* s’est tapé pendant ses six mois de stage à l’UNEP également, trois à quatre heures de trajet par jour pour se rendre sur son lieu de travail puisqu’elle était hébergée chez sa famille à Lausanne.
Pour les autres, les recherches ont été particulièrement compliquées, mais ils ont fini par trouver une solution plus ou moins durable et économique. “Quelques jours avant de commencer mon stage j’ai enfin trouvé le précieux sésame, le beau-père d’un ami pouvait me sous-louer un petit studio à Genève pour 500 euros par mois“, nous raconte Raskolnikov. Avec un appart en sous-location à Lyon, il ne peut se permettre plus. Lorsqu’au bout de trois mois, sa sous-locataire en France décide de partir du jour au lendemain, il ne peut plus gérer financièrement, et à l’image du personnage de Dostoïevski dont il s’est accaparé le pseudonyme, il met un terme à son stage deux mois avant la fin.
Après des mois de recherches, Justine finit par trouver une chambre abordable pour 500 francs (460 euros) par mois.

Mais avec un budget de 800 francs (740 euros) par mois c’est vrai qu’on réfléchit à deux fois avant d’aller à une séance de cinéma à 15 francs (14 euros), de prendre un café à 4 francs (3,70 euros) ou une pinte de bière à 8 francs (7,40 euros) et d’acheter une baguette de pain à 4 – 5 francs (3,70 – 4,60 euros).

Comme tous les stagiaires à Genève, on fait attention, et on apprend les astuces pour économiser comme aller aux réceptions organisées par l’ONU pour picorer gratuitement les petits fours que les ambassadeurs, lassés, touchent à peine.

Tous les stratagèmes sont bons pour manger de manière économique et pallier au fait qu’en moyenne, le prix des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées est 32% plus cher en Suisse que dans la moyenne des 27 pays de l’Union Européenne. Raskolnikov, lui, avant de mettre un terme à son stage, a commencé à se nourrir essentiellement de sandwichs et salades lorsqu’il a compris qu’il ne pourrait pas manger au self de l’organisation où un plat chaud coûte déjà 13 francs (12 euros). “Mes repas de midi se résumèrent bien trop souvent à la fameuse, mais pas moins honnête « bulgursalat » de Denner, le supermarché discount du quartier des nations unies, mon sauveur”.
Il tient quand même à ajouter :

Au sein du personnel de l’organisation, beaucoup sont sensibles à ce problème, ils sont passés par la case stage aussi, du coup, ils n’hésitent pas à t’inviter le midi ou à te payer un café quand l’occasion se présente. En revanche, d’autres, souvent les plus hauts placés, n’en ont rien à cirer.

De son côté, Delphine*, n’a “pratiquement pas mangé durant [ses] 3 mois sur Genève” et ce malgré les 3 000 euros qu’ont emprunté ses parents pour la loger et la nourrir. “Même avec cela, ça a été beaucoup plus dur que ce que je pensais“, avoue-t-elle. En à peine trois mois, elle a dû déménager six fois.

Il faut savoir que les logements sont tellement chers à Genève que même les Genevois ne peuvent parfois pas payer leur loyer et se voient obligés de convertir leur salon en chambre supplémentaire. De ce fait, les stagiaires se retrouvent en fausse colocation à vivre dans le salon de quelqu’un considérant l’appartement à lui, alors même qu’ils payent la moitié du loyer voire plus. Je connais quelqu’un qui se fait un supplément de salaire sur le dos de deux “colocataires”.

Parmi ses six expériences de colocations, une a particulièrement été dérangeante pour Delphine. Alors qu’elle paye la caution et le premier mois de loyer pour une chambre dans un appartement où la propriétaire lui propose de dormir dans le salon pour lui laisser la chambre, elle reçoit deux semaines plus tard un message lui disant de ne pas rentrer chez elle après le travail et d’aller à une autre adresse.
Une fois arrivée, la propriétaire lui annonce qu’elle a trouvé quelqu’un qui prenait la chambre pour plus cher.

Pendant que je travaillais, elle a déplacé toutes mes affaires dans un autre appartement alors même que nous avions signé un bail. Étant juriste, je ne voulais pas me laisser faire. J’ai contacté une association de défense des locataires, c’est là que j’ai appris que ma situation n’était pas du tout exceptionnelle et qu’il y avait même des personnes dont les affaires étaient laissées dans la rue.

Ne pas payer ses stagiaires : une “honte”

S’ils ont tous accepté de faire un stage à l’ONU malgré l’absence totale d’aides, cela ne les empêche pas d’être révoltés par ce système qu’ils considèrent comme “une honte” pour une organisation qui défend de nombreuses valeurs humaines.

Je trouve lamentable, honteux et surtout très hypocrite que des personnes n’ayant pas les moyens de se payer un logement sur Genève se retrouvent à dormir dans la rue alors que des organisations comme le BIT (Bureau International du Travail) défendent le droit à un salaire digne et que l’ONU défend les droits de l’homme au niveau mondial, exprime Céline en écho à l’actualité du jeune néo-zélandais.

Cela met aussi en avant que ce genre d’emplois peut être réservé à une certaine élite sociale où les parents ont les moyens de subvenir à leur enfant et où les autres étudiants sont évincés.

Genève, Ville de la diversité ?“, s’auto-questionne Raskolnikov. “Diversité d’apparence, diversité horizontale peut-être (des mecs riches venant de partout dans le monde), mais pas la diversité verticale, sociale, incroyablement pauvre, dérangeante”, s’indigne-t-il.
Le problème, c’est qu’il y aura toujours des stagiaires pour alimenter le système, regrette Justine. “Le GIA (Geneva Interns Association) se bat activement pour revendiquer un salaire pour les stagiaires de l’ONU et il faut que nous continuions dans cette voie. Malheureusement il y a bien trop de stagiaires qui acceptent ces conditions… et l’ONU le sait et en profite. C’est là que c’est grave…“.
Avec un turn over aussi important de stagiaires chaque année, le plus difficile est de créer un véritable mouvement de révolte durable, selon Julie, diplômée d’un master spécialisation relations internationales et affaires européennes à Sciences Po Lyon et qui a enchaîné quatre stages à Genève de 2012 à 2014.
Elle ne mâche pas ses mots, “c’est clairement de l’esclavage moderne“, avant de développer sa pensée :

Loin d’être un “stage photocopie”, vous avez des responsabilités et on compte sur vous pour bien faire et travailler tard quand il le faut. On effectue un travail sans rémunération et on est pieds et poings liés car on sait qu’on ne peut dire grand-chose. mauvais cercle vicieux assez pourri en profondeur : si on refuse le stage, quelqu’un se bouscule au portillon pour l’avoir. La machine ne fonctionne pas sans les stagiaires.

L’ONU et après ?

Mais alors le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Les avis sont mitigés. Sachant qu’il faut attendre six mois pour postuler à un poste aux Nations Unies après avoir effectué un stage, trouver directement un contrat s’annonce compliqué. Heureusement pour Justine, son stage lui a permis quelques mois plus tard d’avoir sa première possibilité de trois mois en tant que consultante au sein du même programme pour lequel elle avait été stagiaire. Quant à Anne, la politique de l’attente des six mois l’a poussée à chercher ailleurs. “Même si mes collègues voulaient que je reste dans l’équipe, je ne pouvais pas être embauchée par eux juste après…“, regrette-t-elle.
De son côté, Céline a enchaîné les stages non-rémunérés pendant deux ans avant de toucher enfin sa première rémunération. “Malgré les contacts développés, cela ne m’a pas permis d’avoir un accès favorisé pour d’autres postes au sein des Nations Unies ou pour d’autres ONG ou organisations internationales, à l’étranger et sur Genève“, déplore-t-elle.
Julie avoue de pas avoir réalisé “par plaisir” ces quatre stages à Genève, même si l’expérience qu’elle y a acquise a été “extrêmement précieuse“. Aujourd’hui, elle a réussi à trouver un travail après un service civique payé 600 euros par mois à Paris. Pour conclure, elle tient à souligner que malheureusement, le problème des stagiaires non payés à l’ONU n’est pas un cas à part :

La délégation de l’UE à Genève ne paye pas non plus ses stagiaires, le problème s’applique à beaucoup d’autres institutions internationales.

C’est aussi le triste constat de l’état du marché du travail en Europe “qui souffre d’un cruel manque de débouchés pour les jeunes cadres qui sont en trop grande compétition entre eux et à qui on ne donne pas de chance pour un premier emploi à cause d’un soi-disant manque d’expérience“, selon Céline. Jeunes, surqualifiés et destinés à des postes à responsabilité dans des organisations prestigieuses, ils font malheureusement partie, comme beaucoup d’autres, de la génération stagiaire/précaire.
*Les prénoms ont été changés à la demande des interviewés.