Une fausse appli de ramassage de crottes ridiculise l’ubérisation de la société

Une fausse appli de ramassage de crottes ridiculise l’ubérisation de la société

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Pooper est une application lancée par une start-up branchée de la Silicon Valley. Elle vous propose de ramasser les crottes de chien des autres, contre de l’argent. Sauf qu’en fait il s’agit d’un canular savoureux auquel beaucoup se sont laissés prendre.  

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“Laissez la crotte de votre chien entre les mains des autres.” Sous couvert d’un service innovant destiné à simplifier la vie des gens, la fausse appli Pooper (“poop” voulant dire “caca” en anglais), se présente comme un service bien réel, reprenant les codes marketing d’Uber ou d’Airbnb. Une satire violente de notre société de plus en plus ubérisée, qui invente chaque jour des solutions compliquées à des problèmes simples.

Ici, il s’agirait donc de laisser la crotte de son chien derrière soi, après l’avoir photographiée et géolocalisée, pour que quelqu’un d’autre puisse venir la ramasser, contre de l’argent. Un système ubuesque où des travailleurs en free lance se précipiteraient pour ramasser un maximum de crottes afin d’arrondir leur fin de mois. Hilarant et pathétique à la fois puisque, comme le note le blog Big Browser du Monde qui rapporte l’information, de nombreux médias sérieux ont relayé (bien qu’avec des réserves) la nouvelle de cette “innovation”.

L’ubérisation de la société poussée à son paroxysme

La fausse appli Pooper se présente comme “non seulement un complément de revenus, mais aussi [comme] un très bon moyen de se rendre utile à sa communauté et à son quartier”. Et comme tout service ubérisé, il promet indépendance et flexibilité au travailleur : “Ramassez ce que vous voulez, gagnez ce que vous voulez” et “Posez vos propres conditions“, peut-on lire sur le site.

Pour Ben Becker et Eliot Glass, les créateurs de Pooper, il s’agissait de questionner notre rapport à l’économie collaborative. “Nous voulions lancer un projet qui refléterait l’état de la technologie actuelle, en particulier dans le domaine des applications”, explique Ben Becker au journal Newsweek.  Et de s’interroger :

“On n’est plus obligé de rien faire soi-même. On peut ne plus conduire, ne plus faire ses courses… Les gens veulent-ils vraiment vivre dans une société où il y a un tel degré de stratification et de division des tâches ?”

Les deux créateurs de l’application affirment avoir reçu des centaines de demandes d’inscriptions de part et d’autre, aussi bien de propriétaires de chiens intéressés que de potentiels futurs ramasseurs. Et de s’en donner à cœur joie dans les médias relayant leur innovation, à l’instar du Washington Post dans les colonnes duquel Ben Becker déclare : “Pooper est ce dont l’Amérique a besoin en ce moment, car il y a trop de crottes de chiens sur les trottoirs.” Plus c’est gros, plus ça passe.

Questionner les limites de l’économie collaborative

Dans la course aux innovations censées rendre notre quotidien toujours plus facile, à coups de services de livraison, de géolocalisation et d’applications multiples bonnes à tout faire, où se situe la limite?

Sous couvert de donner du travail en échange de services, l’économie collaborative ne prendrait-elle pas les couleurs d’une forme d’esclavage moderne où les plus riches deviendraient de plus en plus paresseux et les plus pauvres obligés de courir après n’importe quel type de tâches toujours plus indignes, comme ramasser la merde des autres ?

La chroniqueuse américaine Eugenia Williamson ironise dans le magazine américain The Baffler :

“Ah, si seulement Pooper existait vraiment ! Imaginez ces publicitaires formés à Harvard, adossés à un balcon de verre quelque part à Palo Alto, avec devant eux un tableau blanc et un rêve. Imaginez la gymnastique mentale que ce groupe de surdiplômés devra déployer pour polir l’idée de faire ramasser les crottes de chiens par des gens suffisamment désespérés pour accepter.”

Un tableau qui donne plus envie de pleurer que de rire mais qui a l’utilité de prêter à réflexion.