Facebook utiliserait une IA pour prédire votre comportement et en informer les annonceurs

Facebook utiliserait une IA pour prédire votre comportement et en informer les annonceurs

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Par Thibault Prévost

Publié le

The Intercept a révélé l’existence, au sein de Facebook, d’un outil de prédiction comportementale, FBLearner Flow, mis au service des publicitaires.

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Soumis à la question pendant près de dix heures cumulées devant le Congrès américain, les 10 et 11 avril derniers, Mark Zuckerberg a entendu à peu près toutes les critiques possibles sur le fonctionnement de son réseau social, accusé tour à tour d’être un instrument de propagande pro-russe (ou pro-démocrate, selon les points de vue), un outil panoptique au service des grandes corporations, une sorte de Rungis de la donnée personnelle, un danger mortel pour la démocratie mondiale ou, tant qu’on y est, un mécanisme de censure.

Cependant, en examinant les suites de l’affaire Cambridge Analytica, qui a valu in fine au grand patron de Facebook de passer du statut d’intouchable à celui de victime expiatoire face au Congrès américain, il convient de se rappeler d’une chose : Facebook, comme la firme incriminée, n’est qu’un terrifiant système d’analyse de grands volumes de données mis à profit par différents acteurs politiques, parfois malveillants, pour les aider à mettre en place leur agenda. C’est la raison pour laquelle Mark Zuckerberg, bien conscient de la symétrie entre les deux entreprises, a concentré toutes ses critiques sur le mode opératoire utilisé par Cambridge Analytica pour siphonner les données de 80 millions d’utilisateurs Facebook – tout en se gardant bien de juger la manière dont la firme a ensuite exploité les données (à savoir, en mettant en place des stratégies de ciblage “psychographique” au bénéfice des campagnes de Donald Trump et des pro-Brexit).

Et pour cause : Facebook fait exactement la même chose, en fournissant quotidiennement à ses algorithmes d’immenses volumes de données à analyser afin d’augmenter la précision du service de ciblage publicitaire fourni à ses annonceurs contre rémunération. À en croire une enquête de The Intercept, parue le 13 avril dernier, le réseau social aurait même développé une sorte de sixième sens algorithmique, tout droit sorti d’un rêve de publicitaire : la capacité de prédire le comportement d’achat de ses utilisateurs. Vous ne rêvez pas, le réseau social posséderait bien un tel outil depuis 2016, et n’hésiterait pas à en vanter les mérites auprès de ses annonceurs potentiels. Prédire l’action du consommateur pour mieux modifier sa trajectoire et l’amener vers tel produit plutôt qu’un autre ? Bienvenue dans l’ère de la publicité proactive – ou, en langage Facebook, de la “prédiction de la loyauté”.

“L’expertise en machine learning” de Facebook

Voilà le topo : en 2016, se remémore The Intercept, Facebook dévoile “FBLearner Now”, un moteur de prédiction alimenté par une IA de machine learning, utilisé pour simuler des modèles “d’expérience utilisateur” – l’idée étant que la machine s’occupe de recréer la réaction des gens a des changements dans la plateforme, afin que les ingénieurs soient débarrassés du “travail manuel” que requièrent les expériences. Depuis son lancement, écrit Facebook, le moteur a entraîné plus d’un million de modèles, est utilisé par 25 % du staff de Facebook et effectue désormais “6 millions de prédictions par seconde”. Des prédictions qui, du moins en partie, vous concernent directement.

Sur le document “confidentiel” obtenu par The Intercept, Facebook explique comment ce moteur lui permet d’anticiper les comportements de ses utilisateurs, permettant aux entreprises de les cibler avant même qu’ils aient consciemment pris leur décision. Selon Facebook, la plateforme serait même capable, en se baladant dans la base de données de ses 2 milliards d’utilisateurs, d’identifier les groupes susceptibles de “changer de bord” (passer d’une marque à une autre), afin que ceux-ci soient ensuite ciblés agressivement par la marque en question pour modifier leur “trajectoire” de consommation – en novlangue Facebook, on appelle ça “augmenter l’efficacité marketing”.

Le Facebook qui vous envoyait des pubs pour la PS4 après que vous aviez partagé des articles sur les jeux vidéo est déjà obsolète : place au Facebook qui prédit ce dont vous allez avoir besoin à partir des différents éléments de votre vie à sa disposition.

Quand c’est gratuit, c’est vous… la matière première

Bien que le document ne mentionne pas explicitement quelles données sont fournies à l’algorithme de prédiction, il fait néanmoins état de la géolocalisation, des informations de l’appareil utilisé pour naviguer, des détails du réseau wifi, des “affinités” et des liens d’amitié, ce qui inclut le taux de similarité entre vous et vos amis (oui, Facebook sait parfaitement à qui vous ressemblez).

Ces données, et toutes les autres qui composent votre profil – rappelons qu’en 2016, ProPublica recensait plus de 29 000 critères assignés par Facebook à chaque individu —, sont ensuite digérées par FBLearner Now, qui va simuler votre futur numérique, en tirer des conclusions sur vos prochaines envies puis rendre les résultats à Facebook. Le tout en étant chaque jour plus précis dans son profilage.

Soyons parfaitement honnêtes et évitons les crises de paranoïa inutiles : le document précise que les données sont entièrement “rassemblées et anonymisées pour protéger la vie privée des utilisateurs”, ce qui signifie que votre nom n’apparaîtra théoriquement jamais nulle part. De même, il convient de rappeler que Facebook ne vend pas ces données aux annonceurs, mais se contente d’en louer l’accès ou de les utiliser pour fournir aux annonceurs des conseils en ciblage publicitaire. En d’autres termes, et contrairement à l’adage, vous n’êtes pas réellement le produit, mais plutôt la matière première.

Évidemment, une telle pratique soulève d’immenses questions d’ordre éthique, notamment sur la liberté de Facebook à fournir à des tiers des outils pour manipuler votre comportement d’achat et, par corollaire, sa capacité à transformer ses prédictions en prophéties auto-réalisatrices (en gros, si Facebook prédit à telle marque une certaine tendance, il a tout intérêt à la voir se réaliser, quitte à tricher un peu avec sa plateforme). Mais au fond, est-ce vraiment surprenant, venant d’une entreprise qui, en 2014, faisait déjà des “expériences sociales” en manipulant le fil d’actualités de 689 000 utilisateurs à leur insu ? Est-ce vraiment étonnant venant d’une entreprise dont le modèle économique entier repose sur l’extraction, la collecte et l’exploitation d’informations personnelles à des fins publicitaires ?

Est-ce vraiment étonnant, à la lueur de ces révélations, d’entendre Mark Zuckerberg affirmer plusieurs fois, face au Congrès américain, que le futur de son entreprise passerait forcément par les algorithmes ? En combinant l’IA et la mine de big data sur laquelle il est assis, Zuckerberg a peut-être trouvé une recette miracle pour fabriquer du profit. Il semble en revanche difficile de concilier le déploiement d’un système algorithmique de prédiction comportementale et le renforcement, comme promis aux élus américains, de la protection des données des utilisateurs. Peut-être parce qu’au fond, ça n’a jamais réellement été la priorité.