Fake news : Facebook propose désormais de devenir “journaliste certifié”

Fake news : Facebook propose désormais de devenir “journaliste certifié”

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Par Thibault Prévost

Publié le

Via une série de “cours” techniques sur l’utilisation de ses outils, Facebook propose désormais une “certification” de journaliste en PDF. Du vent.

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La crise de l’après continue de faire rage chez Facebook. Le réseau social a beau marteler qu’il n’est et ne sera jamais une entreprise médiatique (une distinction bien confortable qui lui permet d’échapper aux poursuites, notamment en Allemagne), il doit quand même bien répondre à la pression populaire en prétendant agir contre la diffusion de fake news. Engager des journalistes pour faire le boulot étant hors de question, Facebook s’échine donc à esquiver le problème en dévoilant des “mesures” qui, en filigrane, montrent clairement son intention de laisser les autres (vous, moi, les entreprises de presse et les consortium de journalistes) s’occuper du sale boulot.

Après avoir signé des chèques à des initiatives comme la News Integrity Initiative, avoir publié un manuel d’identification des fake news pour ses utilisateurs le 6 avril et même enrôlé des journalistes de huit rédactions hexagonales pour vérifier la qualité des infos à sa place – coup de maître –, le réseau social a encore trouvé un autre moyen de déléguer ses responsabilités : la mise en place d’une certification pour journalistes, hébergée dans le cadre de son Journalism Project lancé en janvier, précédée d’une “formation” en ligne composée de quatre modules distincts, à faire en quinze minutes chacun – en théorie. Pas rassasié par la carte de plastique légitimant ma qualité de journaliste agrémenté et le diplôme d’enseignement supérieur accroché au-dessus de mon lit pour le rappeler tous les soirs avant de dormir, je me suis donc mis en tête de décrocher le diplôme Facebook. Et sans réviser, même.

Un diplôme dans une pochette-surprise

Coréalisée avec l’institut Poynter et offerte par une application tierce de Facebook, Exceed LMS, la formation déroule donc quatre modules dans l’interface Facebook Blueprint, qui propose des certifications payantes pour publicitaires créateurs de contenu monétisable. En fait de “formation”, on trouvera quatre cours à lire, deux-trois questions de vérifications de connaissance et… c’est tout. Outre-Atlantique, le journaliste Natt Garun de The Verge se targue de s’être planté à l’examen final de la certification, examen dont on ne trouve aucune trace sur l’interface française (eh oui, on a aussi essayé avec un VPN). N’importe qui peut débuter la formation, qui dure en théorie une heure, et aucune preuve d’appartenance à une rédaction ou entreprise de presse n’est exigée. Objectif de la formation : connaître sur le bout des ongles l’arsenal d’outils de publication proposé par le réseau social.

Au fil des quatre modules, Facebook nous offre donc une sorte de cours magistral qui détaille le fonctionnement des différents outils de Facebook et d’Instagram, entre vidéos à 360 degrés, réalité virtuelle, Instant Articles et interface de programmation. Tout ce qu’il y a à faire, c’est de scroller comme un maniaque au fil de la présentation avant d’aller récupérer son joli petit diplôme en PDF. Les certifications, précise Facebook, sont valables pour une période de douze mois, après quoi il faudra repasser un “examen” pour gagner douze mois supplémentaires.

Hiérarchisation, vérification, éthique ? Connais pas.

On est donc ravi, à la fin de la séance, d’avoir mis à l’épreuve nos connaissances techniques sur Facebook , d’être capable de nommer par cœur les différents modules et d’avoir engrangé de précieuses connaissances sur la meilleure manière d’optimiser son contenu pour qu’il touche la plus large audience possible et deviennent donc intéressantes pour les annonceurs. Cependant, difficile de ne pas s’étonner de l’absence totale de leçons sur la hiérarchisation de l’information, la vérification et le croisement des sources, le respect de la pluralité des points de vue ou l’éthique journalistique, qui aux dernière nouvelles constituaient encore les fondements de la profession.

La formation dispensée par Facebook ne nous apprend pas à être un journaliste, elle nous apprend à utiliser Facebook, et c’est un tout autre métier. Peut-être que certains journalistes seront ravis d’afficher sur leurs profils LinkedIn leur certification arrachée à la sueur de leur front, mais difficile d’y voir autre chose qu’un énième artifice de l’entreprise de Mark Zuckerberg pour tenter de convaincre le monde qu’elle lutte efficacement contre les fausses informations. Au fond, que signifie d’être “journaliste certifié” par une entreprise qui refuse expressément qu’on la considère comme un média, le tout en se contentant de lire benoîtement un cours sur les techniques de production de contenu? Pas grand-chose, et Facebook devra trouver mieux que ça pour nous convaincre de sa bonne volonté.