Aux États-Unis, la “guerre contre la drogue” était un outil anti-hippies et anti-Noirs

Aux États-Unis, la “guerre contre la drogue” était un outil anti-hippies et anti-Noirs

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Par Thibault Prévost

Publié le

Un ancien conseiller de Richard Nixon a révélé que la politique de lutte antidrogue américaine des années 1970 a servi à démanteler les groupes contestataires.

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Le 17 juillet 1971, Richard Nixon, dans un long et convaincant discours au Congrès, lance officiellement la “guerre” contre la drogue aux États-Unis. En 2016, cela fera quarante-cinq ans que la “War on Drugs” est en cours, et presque un demi-siècle qu’elle engloutit inlassablement les milliards de dollars qui lui sont alloués sans parvenir à des résultats significatifs. Les État-Unis consacrent entre 20 et 25 milliards de dollars à cette lutte chaque année, et la barre des 30 milliards sera pour la première fois dépassée en 2016, tandis que le nombre de consommateurs américains a diminué d’à peine 10 %.

Parallèlement, la drogue dure est devenue de plus en plus accessible : le prix du gramme de coke a diminué de 74 % sur le territoire américain en trente ans, et celui de l’héroïne s’est effondré de 93 %. En 2016, aux États-Unis, la drogue est plus simple à trouver, coûte moins cher et est bien moins pure qu’en 1971. En 2012, CNN parlait d’un “échec à mille milliards de dollars”, et il semble difficile de le qualifier autrement alors que l’herbe, cible prioritaire de l’administration Nixon en 1971, est aujourd’hui légale sous différentes formes dans 23 États américains. Pire : selon l’ancien conseiller politique de Nixon, la “guerre contre la drogue” aurait uniquement servi à criminaliser les hippies et les Noirs.

La révélation provient de John Ehrlichman, l’ancien conseiller en politique intérieure de Nixon envoyé en prison après le scandale du Watergate et mort en 1999. Elle est relayée par Dan Baum, journaliste du Harper’s Magazine, dans un article sur la dépénalisation à paraître en avril et d’ores et déjà consultable, et date de 1994. Voici le verbatim des confidences d’Ehrlichmann, retranscrit par le journaliste:

“La campagne de Nixon en 1968, et l’administration Nixon par la suite, avaient deux ennemis : la gauche pacifiste et les Noirs. Vous voyez ce que je veux dire ? Nous savions que nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d’être pacifiste ou noir, mais en incitant le grand public à associer les hippies à la marijuana et les Noirs à l’héroïne, puis en criminalisant lourdement les deux produits, nous pourrions démanteler ces communautés. On pourrait arrêter leurs leaders, investir leurs maisons, briser leurs rassemblements et les diaboliser nuit après nuit au journal du soir. Est-ce qu’on savait qu’on mentait à propos des drogues ? Bien évidemment.”

Comme le rappelle Vox, la “révélation” de John Ehrlichman est néanmoins à prendre avec des pincettes. On parle ici d’un homme qui aura passé dix-huit mois en cabane pour avoir fait ce que son supérieur hiérarchique lui demandait, sans compter la double peine de la disgrâce publique ; il pouvait donc être un peu amer envers son ex-employeur – d’autant plus que le racisme de Richard Nixon est notoire, révélé dans les 265 heures de conversations, aujourd’hui facilement consultables, qu’il aura enregistrées durant son mandat.

Aujourd’hui encore, les Afro-Américains en subissent les conséquences

Selon les données du média en ligne compilées en une série d’infographies, les Afro-Américains semblent particulièrement visés par la lutte antidrogue : ils sont plus souvent arrêtés (en 2013, presque trois fois plus de Noirs que de Blancs ont été arrêtés pour possession illicite) et plus lourdement condamnés (entre 2007 et 2009, les peines de prison étaient 13 % plus longues pour les coupables noirs que pour les Blancs, selon les chiffres de la justice américaine).

Ce que change la déclaration de John Ehrlichman, c’est que ces chiffres ne peuvent désormais plus être considérés comme une regrettable conséquence de la “guerre contre la drogue” mais comme une preuve du succès de sa supposée mission originelle : un racisme institutionnalisé, sous couvert de préoccupations de santé publique. Contacté par le Huff Post pour savoir pourquoi John Ehrlichman avait soudainement été frappé par la foudre de l’honnêteté en 1994, Dan Baum y a vu l’envie d’alléger sa conscience une fois son combat terminé : “Les gens sont souvent  disposés à s’alléger de leur fardeau, une fois qu’ils n’ont plus d’ennemis à combattre”, a déclaré le journaliste.