État d’urgence : les mesures du gouvernement qui menacent Internet

État d’urgence : les mesures du gouvernement qui menacent Internet

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Par Inès Bouchareb

Publié le

Dans le sillage de l’État d’urgence, pléthore de mesures envisagées par les services du ministère de l’Intérieur promettent toujours plus de sécurité… et encore moins de liberté. Parmi celles-ci : la coupure obligatoire de tout réseau Wi-Fi ouvert, le blocage des réseaux d’anonymisation et la fourniture des clés de chiffrement des messageries.

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Sacrifier certaines libertés au profit de plus de sécurité, c’est le pari que semble vouloir faire le gouvernement français avec encore plus de mesures liberticides. Dans le collimateur du ministère de l’Intérieur, le grand méchant Internet, source de tous les maux de notre société moderne.

Alors que le gouvernement planche déjà sur de nouvelles lois sécuritaires qui permettraient, entre autres, de contraindre à l’installation d’émetteurs GPS sur les voitures louées ou encore de faciliter le recours aux IMSI-catchers (des valises qui espionnent les téléphones portables), Le Monde a révélé, le 5 décembre, de nouvelles mesures recensées par le ministère de l’Intérieur.

Le 1er décembre 2015, le quotidien a pu avoir accès à des documents de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), qui dépend du ministère de l’Intérieur. C’est cette direction qui est en charge de préparer les projets de lois et décrets relatifs aux libertés publiques et à la police administrative.

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Dans le contexte actuel, la DLPAJ a rédigé deux nouveaux textes législatifs (l’un portant sur l’état d’urgence, l’autre sur l’anti-terrorisme) où figurent les mesures requises par les services de police ou gendarmerie. Ces textes sont attendus pour janvier 2016.

Parmi ces mesures, dont la forme n’est pas encore définitive, on trouve encore de nouvelles restriction aux libertés sur Internet. Sont visés les cybercafés, les connexions Wi-Fi publiques, les réseaux Tor ou encore les applications de téléphonie par Internet.

“Un livre de visites” pour les cybercafés

Depuis quelques années maintenant, les cybercafés sont dans la ligne de mire des politiques qui réclament un enregistrement de l’identité des clients, ce que les cybercafés ne sont pas tenus de faire à ce jour.

En réalité, les services de police disposent déjà de moyens pour surveiller l’activité de ces commerces. Ainsi, les cybercafés ont l’obligation de conserver durant un an les données de trafic (ou métadonnées) de leurs clients. Ils ne récupèrent pas le contenu des emails envoyés ou l’historique de navigation, mais les données techniques de connexion, explique Le Monde.

La liste des mesures envisagées par l’État pour renforcer la sécurité au détriment de la liberté et de la vie privée s’allonge, rapporte Numerama.

Interdiction des connexions Wi-Fi publiques ou partagées

“Interdire les connexions Wi-Fi libres et partagées” durant l’état d’urgence et supprimer les “connexions wi-fi publiques”, “sous peine de sanctions pénales”, envisage une autre mesure de la  DLPAJ.

En temps normal, la loi impose, par principe, de sécuriser les connexions pour éviter leur utilisation à des fins illicites, explique Numerama. Et d’ajouter :

Le seul risque que prennent les abonnés généreux et récalcitrants qui laissent leur Wi-Fi ouvert est de recevoir un avertissement Hadopi si quelqu’un l’utilise pour pirater des films ou de la musique. En obligeant à fermer toute connexion, la police s’assurerait d’avoir un identifiant précis pour chaque adresse IP, ou au moins de réduire la liste des suspects possibles dans un même foyer.

Pour Olivier Tesquet, spécialiste des questions numériques chez Télérama, cette mesure est “inapplicable”. Il explique :

Idéologiquement, empêcher le partage ou les Wi-Fi publics nous ferait reculer de dix ans. Comment contraindre des hôtels ou des aéroports à mettre de telles mesures en place ? C’est comme si on pénalisait les constructeurs automobiles pour les excès de vitesse de leurs clients.

L’interdiction et le blocage des communications des réseaux Tor

“The Onion Router” (TOR) est un réseau qui fait transiter le trafic Internet par plusieurs couches – comme à travers les couches d’un oignon – de telle façon qu’on ne puisse plus, à la sortie, en déterminer l’origine. En d’autres termes, TOR vous promet une anonymisation : votre adresse IP ne peut plus être identifiée. Bloquer TOR s’avère alors certes compliqué, mais possible. Ainsi, Le Monde explique :

Les nœuds de sortie utilisés par le réseau sont publics : il est donc possible de contraindre les fournisseurs d’accès à les bloquer. En revanche, le réseau s’appuie aussi sur d’autres nœuds, les “bridges”, qui ne sont eux pas publics et sont plus difficiles à détecter. Plusieurs pays, dont la Chine, tentent de bloquer TOR, mais les administrateurs de ce projet ont développé, au fil du temps, des contre-mesures pour riposter aux outils de blocages mis en place. L’accès à TOR reste malgré tout compliqué en Chine continentale.

Aujourd’hui, Tor est utilisé par de nombreux activistes et ONG ou même par des dissidents de pays autoritaires. D’un point de vue international, donc, cette mesure paraît extrêmement liberticide : l’un des premiers pays à avoir bloqué ce réseau n’était autre que l’Iran. “Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les lois antiterroristes récentes ne sont pas allées jusque-là — des documents révélés par Edward Snowden montrent en revanche que la NSA américaine a investi beaucoup de temps et d’argent à la recherche d’un moyen de “casser” la protection offerte par TOR, sans y parvenir à l’époque”, rapporte Le Monde.

L’identification des applications de VoIP

Ces dernières années, les applications de VoIP (technique qui permet de communiquer par la voix (ou via des flux audio ou vidéo) sur des réseaux compatibles IP) telles que FaceTime (Apple) ou Skype ont renforcé la protection des communications de leurs services. Aujourd’hui, il est peu aisé pour les services de renseignement d’espionner ces communications, rapporte Le Monde. C’est pourquoi les États veulent aujourd’hui que les éditeurs de ces applications leur livrent les clés de chiffrement (des algorithmes pour déchiffrer ces messages).

Cependant, aucun de ces éditeurs de VoIP ne souhaite communiquer ces informations. Ils n’ont aucune certitude quant à l’utilisation que feront les services de renseignement de ces informations. De plus, “toute vulnérabilité introduite dans un protocole de chiffrement affaiblit l’ensemble du système, et peut être découverte par un autre Etat ou un groupe de pirates”, explique Le Monde.

Mercredi 9 décembre, Manuel Valls est revenu sur la note du ministère de l’Intérieur envisageant l’interdiction des WiFi ouverts et publics. “Non, l’interdiction du Wifi n’est pas une piste envisagée aujourd’hui, je vous le confirme”, a déclaré le premier ministre sur BFM TV. “Internet est une liberté, est un moyen extraordinaire de communiquer entre les gens, c’est un plus pour l’économie”, a-t-il poursuivi. Il n’a cependant pas manqué de souligner que le web était “aussi un moyen pour les terroristes de communiquer et de diffuser leur idéologie totalitaire”.