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En Inde, une association se bat pour une agence de mannequins transgenres

En Inde, une association se bat pour une agence de mannequins transgenres

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Par Olivia Cassano

Publié le

Une association tente de lever des fonds pour créer une agence réservée aux mannequins transgenres à Delhi. Sa fondatrice, Rudrani Chettri, entend ainsi ouvrir le milieu de la mode à une communauté encore rejetée par la société.

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L’année 2015 a été plutôt bonne pour la communauté transgenre du monde occidental.

Caitlyn Jenner a été bien accueillie, l’Amérique du Sud a élu sa première députée transgenre, l’armée britannique pourrait autoriser les opérations de combat aux transgenres, les organisateurs des jeux Olympiques souhaitent également ouvrir la compétition aux personnes en cours de changement de sexe, Vogue a consacré quatre pages à une mannequin transsexuelle et les LGBT font entendre leurs droits à l’école.

Malgré ces progrès, le combat pour l’égalité des droits est loin d’être terminé. Et dans certains pays, le chemin est encore très long.

En Inde, par exemple, les personnes intersexuées et transgenres – plus connues sour le nom de hijras en Asie du Sud – sont encore victimes de discrimination. Cependant, depuis 2009, les personnes transgenres en Inde peuvent cocher la case “autre” sur les bulletins de vote pour indiquer leur sexe, et en 2014, la Cour suprême du pays a fait passer une loi pour reconnaître un “troisième genre” afin de protéger les personnes transgenres et de leur donner plus de droits.

Aussi en 2015, pour la première fois dans l’histoire du pays, une personne transgenre a été élue à un poste à responsabilités, quand Madhu Bai Kinnar est devenue maire de Raigargh. D’autres citoyens transgenres ont également accédé à des postes importants au sein des autorités et du système éducatif. Cependant, les hijras sont encore mis de côté par la société, et souvent rejetés par leur propre famille.

Inside India's first transgender modelling agency
(© Mitr Trust)

Une agence de mannequinat pour sensibiliser

Les hijras sont les personnes les plus visées par les agressions, voire les meurtres. Face à un marché du travail discriminatoire, ils sont souvent contraints de se tourner vers la mendicité ou la prostitution. De plus, l’homosexualité est encore considérée comme un crime. C’est ce qu’explique Rudrani Chettri, qui fait partie de la communauté hijra. Elle espère combattre la discrimination et le rejet des siens grâce à son association, Mitr Trust, fondée en 2005.

“J’ai ressenti le besoin de travailler directement avec ma communauté, explique-t-elle à Konbini. De créer un endroit dirigé par des transgenres pour les transgenres où ils se sentent en sécurité et bien accueillis. Depuis, je dirige Mitr Trust comme une association locale qui offre aux gens un espace et les aide à chaque étape, quand c’est possible. La plupart des gens qui ont passé cette porte a trouvé une nouvelle famille ici.”

Désormais, Rudrani Chettri cherche à récolter 6 585 euros pour créer une agence de mannequinat réservée aux transgenres. L’idée est d’aider cinq aspirants mannequins à concevoir leur portfolio en organisant un shooting avec un photographe professionnel spécialisé dans la mode. Les fonds récoltés permettront aussi d’alimenter les caisses de l’association afin qu’elle puisse continuer à accueillir à Delhi des personnes transgenres, confrontées à de nombreux actes de maltraitance physique, sexuelle et émotionnelle.

C’est le genre de projet qui pourrait aider les hijras à se faire mieux accepter par la société.

Inside India's First Trans Modelling Agency
(© Mitr Trust)

“Le taux d’analphabétisme est très élevé chez les hijras, car les écoles ne leur réservent pas un accueil chaleureux, explique Rudrani Chettri. Et les élèves transgenres abandonnent l’école quand ils atteignent la puberté, ce qui veut dire qu’il ne sont pas sensibilisés au sida, aux MST et aux rapports sexuels protégés.”

L’association se concentre en grande partie sur l’éducation et la prévention. Elle met en place chaque semaine une clinique éphémère. Au programme, séances de dépistage du sida pour les 1 500 membres de leur communauté, distribution de préservatifs aux travailleurs du sexe,et discussions pour sensibiliser aux dangers du VIH et des MST.

“En Inde, les hijras ont difficilement accès à l’assistance médicale. On nous regarde de haut et on nous refuse certains traitements, par conséquent, des générations de hijras évitent d’aller chez le médecin”, ajoute Rudrani Chettri.

“Notre association aide les jeunes transgenres à devenir ce qu’ils sont. Ils savent que nous les protégerons ici, même de leur famille. J’ai vu des centaines de jeunes confus, apeurés, terrifiés, entrer ici et sourire pour la première fois depuis des mois. Nous les aidons à réaliser qu’ils ne sont pas seuls, qu’ils sont soutenus.”

Rudrani Chettri a eu l’idée de créer cette agence de mannequinat pour combler le manque de représentation des hijras dans la mode indienne. “Bollywood et la télévision nous caricaturent constamment, déplore-t-elle. Dès notre plus jeune âge, on nous donne l’impression qu’on est moches et on vit avec ce sentiment pendant toute notre vie. C’est pour cette raison que j’essaye de concrétiser mon plus grand rêve, celui de donner aux hijras la chance d’explorer le monde de la mode.”

Elle-même a essayé de devenir mannequin, mais l’industrie de la mode lui a claqué la porte au nez. Désormais, elle fait équipe avec Rishi Raj, un styliste plutôt populaire, qu’elle a rencontré grâce à Ila Mehrotra, une réalisatrice basée à Londres et qui l’a aidée tout au long de ce parcours.

Inside India's first transgender modelling agency
(© Mitr Trust)

Le projet de Rudrani Chettri n’est pas la première initiative de ce genre. Avant cela, l’agence Apple Model Management, qui est née en Thaïlande, a ouvert une branche réservée aux mannequins transgenres ainsi qu’un magasin à Los Angeles.

Cependant, à l’inverse de la majorité des agences, les photos pour faire la promotion de Mitr Trust sont peu conventionnelles, si ce n’est transgressives. Certaines femmes ont des barbes de trois jours, des plaques alopéciques, et du rouge à lèvres qui dépasse. Ces clichés vont à l’encontre du mythe selon lequel les femmes transgenres devraient adhérer aux standards de beauté pour être acceptées.

Jusqu’ici, la réaction des médias a été très positive, ce qui a attiré l’attention sur l’association. Mais Rudrani Chettri a l’impression que trouver des fonds pour mener son projet à bien est compliqué.

Inside India's first transgender-only modelling agency
(© Mitr Trust)

Les obstacles

Même si la justice indienne reconnaît les droits de la communauté transgenre, Rudrani Chettri pense qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire : “Je n’ai pas l’impression que beaucoup de choses ont changé sur le terrain. Je dirai même que c’est devenu pire”, confie-t-elle.

Mitr Trust a pour principal défi de trouver les fonds pour financer l’agence, car l’association traverse sa pire crise économique depuis l’ouverture. L’année dernière, le gouvernement (de droite) du Premier ministre Narendra Modi a réduit le budget accordé au programme anti-VIH de 22 % avant de revenir sur sa décision. Mais ce revers politique a mis à mal les associations.

“Nous n’avons pas reçu de subventions de la part de l’État, sur lesquelles nous comptons beaucoup, depuis environ sept mois, et je n’ai pas pu rémunérer les employés, lâche Rudrani Chettri. Beaucoup d’employés doivent se prostituer pour survivre, et l’association n’a pas reçu de préservatifs depuis des mois, donc ils ne peuvent pas en fournir aux travailleurs du sexe les plus vulnérables – ceux qui ont en moyenne 10 partenaires sexuels différents par nuit. Nous avons toutes les raisons de penser que le VIH progresse à nouveau”, regrette encore la présidente de l’association.

Vous pouvez contribuer et faire une donation au Mitr Trust sur la page GoFundMe

Traduit de l’anglais par Hélaine Lefrançois.