“Des stagiaires pas si mal payés” : vraiment ?

“Des stagiaires pas si mal payés” : vraiment ?

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Par Théo Chapuis

Publié le

“Cette étude ne reflète pas la réalité”

Pour Patrick, de Génération Précaire (GP), c’est déjà un premier problème, et il est de taille. Les membres de cette structure qui défend les droits des stagiaires ont découvert l’article du Monde dès sa publication. Pour eux, “elle ne reflète pas la réalité – et quand bien même ce serait le cas, 668€ par mois, ce n’est même pas assez pour payer le loyer d’un 20m2 à Paris”. Certes.
Génération Précaire démonte l’argumentation de l’étude et l’accuse d’être biaisée. En cause, l’étrange répartition des profils qui y ont répondu :

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On ne compte parmi les participants de cette étude que 30% de stagiaires qui sortent d’université, contre 45% d’entre eux qui viennent d’écoles de commerce. Cette étude est difficile à crédibiliser puisqu’elle extrapole ses conclusions par rapport à une minorité d’étudiants.

Déterminisme

Des disparités de rémunération regrettables qui se renforcent selon le milieu social de l’étudiant. Génération Précaire explique :

Les étudiants en grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs sont plutôt issus d’un milieu familial favorable. Pour la plupart ils ne sont pas, à proprement parler, des étudiants précaires.

Comment expliquer ces écarts d’indemnisation ?

Selon Amaury Montmoreau, on peut expliquer ces disparités de rémunération grâce à différents facteurs : “tout comme différents emplois amèneront à des différences de salaires, c’est également le cas pour les stages. Cela dépend aussi évidemment du type d’entreprise, de la fonction dans celle-ci… Cela va donc se répercuter sur l’indemnisation des stagiaires”.
Il poursuit :

Cela dépend aussi du type d’entreprise : par exemple, on sera moins indemnisé dans une association que dans un grand groupe. Pour être concret, selon nos chiffres, la moyenne de l’indemnisation d’un stage dans le secteur culturel plafonne, elle, à 356€.
Si c’est moins que la rémunération obligatoire, c’est parce que nous incluons dans notre étude les stagiaires de moins de deux mois [qui ne sont pas obligatoirement rémunérés, ndlr]. Mais indemnisés ou non, ils font partie du monde du stage, c’est pourquoi nous avons choisi d’inclure les stages courts également.

Pourtant, il semble manquer des profils du “monde du stage” à l’étude : quid, par exemple, des étudiants en médecine ou en pharmacie, par exemple ? Amaury Montmoreau le reconnaît: “Notre étude n’est pas exhaustive”. Il explique pourquoi, concernant ces cas précis :

Nous ne prenons pas en compte les stagiaires en pharmacie ou médecine, qui relèvent de statuts plus particuliers. Par exemple, les écoles de médecine sont parfois rattachées à des hôpitaux et ont donc des accords pour faire entrer en stage les étudiants. Ce faisant, vous avez déjà une structure et n’avez pas vraiment besoin d’en rechercher une, en somme.

450 000 stagiaires en 2005, 1,6 million en 2012

Selon une dernière estimation qui remonte à 2012, il y aurait en France 1,6 million de stagiaires. Là-dessus, AJ Stage et le collectif Génération Précaire sont d’accord. Amaury Montmoreau commente :

On relève un boom des stagiaires ces dernières années, notamment grâce aux universités qui veulent professionnaliser leurs étudiants en les intégrant en entreprise. Sur la part d’étudiants que nous connaissons la mieux, nous estimons qu’en France il y a 350 000 stagiaires à niveaux Bac+3 à Bac+5.

De son côté, si le collectif relève aussi une augmentation, il rappelle à quel point elle a été vertigineuse, en sept ans seulement : “Le chiffre de stagiaires a été multiplié par trois depuis 2005”. Effectivement, et c’est même pire, selon le Ministère de l’éducation nationale, on comptait 446 080 stagiaires en 2005.

Jusqu’à la loi de juin 2014, il y avait un véritable flou autour du statut de stagiaire, avec une incitation pour les entreprises à les utiliser : il n’y avait pas de quota. Aussi, si les universités envoient leurs étudiants en stage, c’est aussi parce que leurs élèves n’ont pas suffisamment d’expérience professionnelle et qu’elles ne valorisent pas les projets tutorés ou l’enseignement. Donc des statuts comme le stage ou le Service Civique se sont multipliés, avec la précarité qui va avec.

Génération Précaire n’attend qu’une chose : qu’on compte enfin les stagiaires dans la masse salariale de l’entreprise, afin qu’un rapport du nombre de stagiaires ainsi que de leur condition soit menée par un organisme public et indépendant. Patrick enfonce le clou : “Ainsi, on n’aurait pas à commenter ce genre d’études effectuées par des entreprises qui y ont leur intérêt”.