Docu : quand une victime de violences conjugales et son agresseur reviennent sur les lieux 22 ans plus tard

Docu : quand une victime de violences conjugales et son agresseur reviennent sur les lieux 22 ans plus tard

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A Better Man – Attiya and Steve (CNW Group/TVO) @http://www.newswire.ca/news-releases/tvo-original-documentary-a-better-man-broadcast-premieres-on-un-day-for-the-elimination-of-violence-against-women-helping-to-change-conversations-about-domestic-abuse-658854283.html

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Par Mélissa Perraudeau

Publié le

Dans le documentaire A Better Man, une femme qui a été victime de violences conjugales décide de revoir son agresseur vingt-deux ans plus tard pour pouvoir démarrer un processus de guérison, et le pousser à assumer la responsabilité de ses actes.

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Attiya et Steve ont vécu ensemble durant deux ans alors qu’ils étaient lycéens. Des années durant lesquelles Steve a battu et humilié quotidiennement Attiya. Vingt-deux ans après avoir réussi à se libérer de son emprise, celle-ci propose à son ex-bourreau de se revoir et de revenir sur leur relation et ces violences. Elle veut savoir s’il s’en souvient, s’il a conscience de la gravité de ses actions et s’il est prêt à les assumer.
Avec l’accord de Steve, Attiya filme leur rendez-vous. Elle se rend alors compte que la confrontation l’aide à aller mieux, et il accepte de continuer à la voir pour discuter de ce qu’il lui a fait subir. C’est le point de départ du documentaire canadien A Better Man, coréalisé par Attiya Khan et Lawrence Jackman.

Un angle inédit sur les violences conjugales

Pendant plusieurs jours, Attiya et Steve – dont on ne connaît que le prénom – reviennent sur la brutalité que ce dernier a eue à l’égard de son ex-conjointe, entourés de Tod Augusta-Scott, un thérapeute spécialisé dans les violences conjugales. Attiya demande à Steve s’il se souvient de ce qu’il lui a fait endurer et lui raconte ses souffrances, tandis que ce dernier se remémore les sévices qu’il a exercés sur elle.
Ils retournent ainsi dans les lieux où il l’a frappée, humiliée, torturée physiquement et psychologiquement – l’appartement où ils habitaient, leur lycée… L’idée est de mettre en place une justice restaurative, qui “consiste à faire dialoguer victimes et auteurs d’infractions (qu’il s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non)” pour “rétablir le lien social” et “prévenir au mieux la récidive”.
Pour Attiya, le documentaire résulte de ces longues heures difficiles de discussion et d’exploration du passé, et représente “un pas en avant vers la compréhension et la responsabilité” des violences conjugales, sans pour autant les excuser :

“En se rapprochant de la vérité de ce que les survivant·e·s traversent, et de pourquoi les hommes choisissent d’utiliser la violence, nous pouvons aider à arrêter la maltraitance. J’espère que le partage de ma quête personnelle de justice et de guérison pourra contribuer à la lutte pour mettre un terme aux violences conjugales.”

Vers une véritable prise de responsabilités des agresseurs

Comme Attiya le constate dans le trailer, les confrontations filmées lui ont permis de commencer un processus de guérison, et c’était la première fois que Steve se confrontait directement à ses actes brutaux. La jeune femme veut ainsi montrer l’importance que les agresseurs prennent objectivement conscience des violences qu’ils infligent aux autres.
C’est également ce qui a convaincu la productrice du documentaire, Sarah Polley, qui a expliqué à Vulture que la responsabilité de stopper les violences faites aux femmes est constamment attribuée… aux femmes :

“Je me suis rendu compte que je n’avais jamais entendu un homme qui avait maltraité sa compagne expliquer pourquoi il l’avait fait, comment il se sentait en le faisant, ce qu’il se serait passé si on l’avait aidé à arrêter, qui il est maintenant.”

Avec A Better Man, la productrice espère donc montrer le besoin et l’urgence de “créer des espaces pour que cela se produise et de proposer des services pour aider les gens à prendre leurs responsabilités et travailler dans l’optique atteindre la non-violence”.
Parallèlement à la sortie du documentaire, l’équipe derrière A Better Man a lancé une plateforme interactive appelée It Was Me (“C’était moi”) pour encadrer et développer cette revendication. Elle compulse six témoignages d’hommes qui ont été violents avec leur partenaire, et qui travaillent désormais à assumer leurs actes et à refréner leur violence, notamment grâce à des thérapies de groupe.

Le site articule un dialogue autour de cinq phrases prononcées par des femmes qui ont été victimes de violences conjugales : “reconnais ce que tu as fait”, “pourquoi pensais-tu que ce n’était pas grave ?”, “pourquoi l’as-tu caché ?”, “est-ce que tu es prêt à changer ?” et “comment en assumes-tu la responsabilité ?”
“Je dois avoir l’ascendant”, “je ressens de la colère et de la haine pures”, “elle m’a frappé en premier”, “l’homme est le plus fort chez moi”… Chaque agresseur livre sa réponse, permettant de comprendre certains des ressorts et mécanismes des violences conjugales, et montrant à quel point celles-ci touchent tous les milieux.

Comprendre les ressorts systémiques des violences conjugales

C’est bien ce qu’Attiya souhaite montrer, comme elle l’a expliqué à Vulture :

“Steve n’était pas un monstre démoniaque horrible. C’était un jeune homme qui a choisi d’utiliser la violence contre moi, ce qui était nocif et a eu des conséquences sur ma vie et sa vie. Il avait besoin d’aide pour arrêter d’utiliser la violence.”

Via son expérience personnelle, la réalisatrice veut montrer la dimension systémique et sociétale de ce type d’agressions, et inspirer des discussions publiques et individuelles “sur la violence conjugale, la guérison et la justice”. En septembre dernier, le bilan du ministère de l’Intérieur concernant les meurtres conjugaux commis en France en 2016 montrait notamment qu’en moyenne, une femme a été tuée tous les trois jours. Un nombre relativement “stable” par rapport aux chiffres de 2015, démontrant que les mentalités ne semblent pas évoluer.
L’équipe derrière A Better Man, exclusivement féminine à l’exception du coréalisateur, voulait créer un documentaire “plein d’espoir, respectueux, non sensationnaliste” sur le sujet. Aux yeux d’Attiya, le film montre bien “la guérison qui peut se produire quand la personne utilisant la violence assume la responsabilité du mal qu’elle a fait”. Elle espère ensuite le montrer à plus grande échelle, pour susciter de grands changements sociétaux :

“Il n’y a pas que ces hommes qui ont blessé des femmes. Il y a les lieux de travail, les écoles, le système judiciaire, et les quartiers qui n’ont rien fait pour les protéger. Je veux amener notre film non seulement à des festivals, mais également sur ces autres lieux, qui sont là où le vrai changement doit se produire.”

A Better Man sera diffusé sur TVO, le plus ancien service éducatif télévisé au Canada, ce 25 novembre à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

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