Vous l’avez probablement déjà lu : 64 % de l’information en ligne est un copier-coller

Vous l’avez probablement déjà lu : 64 % de l’information en ligne est un copier-coller

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Par Thibault Prévost

Publié le

Une enquête statistique de la revue de l’INA sur la raréfaction des contenus originaux en ligne a immédiatement été reprise… en copier-coller.

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Théophraste Renaudot, Albert Londres, Hunter S. Thompson, Günter Wallraff, Pierre Carles, Denis Robert, Fabrice Arfi… En France comme dans le monde, d’hier à aujourd’hui, nombreux sont ceux qui font vivre le journalisme dans son aspect le plus “noble”, celui de l’investigation et du grand reportage, qui fait rêver chaque année des hordes de prétendants aux concours des écoles de journalisme. Sauf qu’entre l’âge de l’information rare et “froide” et celui des autoroutes de l’information permanente, une nouvelle pratique s’est généralisée dans la profession, joyeusement baptisée “bâtonnage” dans les rédactions hexagonales, alors que leurs effectifs diminuent non moins joyeusement de 1 % par an depuis 2013.

La simplicité du bâtonnage n’a d’égale que la vitesse de production des articles qui en résultent, et c’est précisément son intérêt, alors que l’exclusivité n’a plus aucune valeur commerciale. Son fonctionnement est élémentaire : achetez un abonnement à l’Agence France-Presse (attention, c’est pas donné), attendez que tombent les dépêches qui vous intéressent, copiez-collez-les, et voilà !

Ça fonctionne avec toutes les infos… y compris sur cette enquête de la revue spécialisée InaGlobal, qui porte précisément sur l’uniformisation des contenus d’information en ligne et qui nous livre ce chiffre ahurissant de 64 % d’articles intégralement copiés-collés. On tombe alors dans un gouffre sans fin de métajournalisme qui voit l’ensemble des médias en ligne français reprendre en chœur, à la virgule près, une dépêche sur l’uniformisation des contenus. Pendant un bref moment, l’écosystème médiatique en ligne français a pris la forme d’une série de poupées russes.

Qui, quoi, où, quand, comment ?

Au-delà de l’aspect formidablement ironique de la chose, l’enquête de big data réalisée par Julia Cagé, Marie-Luce Viaud et Nicolas Hervé, auteurs du livre L’Information à tout prix, décortique la chaîne de production de l’information pour 25 0000 événements traités par 86 médias, soit un corpus de 2,5 millions d’articles. À la manière du sacro-saint commandement du journalisme “qui, quoi, où, quand, comment ?”, les trois enquêteurs ont ainsi identifié les logiques de création et de diffusion de l’info en ligne, similaires à la production de masse de tout bien de consommation.

Premier résultat : l’information se diffuse à une vitesse folle. En moyenne, une information révélée par un média met trois heures à être reprise par un autre, les temps variant en fonction du type de média. Quand c’est l’AFP qui relaie l’info, soit une fois sur deux, les dépêches sont reprises en 25 minutes en moyenne ; quand il s’agit d’un pure player (Konbini, le HuffPost, BuzzFeed, Slate…), l’information met en moyenne sept heures à être reprise, la presse ayant sa propre hiérarchie des légitimités.

Voilà pour la forme. Côté fond, on l’a vu en tête d’article, le taux d’originalité d’un papier recensé par les chercheurs est de 36 % en moyenne, ce qui signifie que deux tiers des papiers que vous lisez sont du simple Ctrl-C/Ctrl-V (promis, sur celui-ci, on a fait gaffe). Si 21 % des articles sont entièrement originaux (yay !), 37 % d’entre eux ont “entre 1 et 20 % d’originalité” et 19 % des documents n’ont AUCUNE originalité. Zéro. Nada. Que dalle.

Que conclure de cette étude ? Comme le décrivent les auteurs, la conclusion est double, selon l’angle que l’on adopte : “On observe une homogénéisation croissante des contenus ; il est facile de la dénoncer, mais l’on peut également décider d’observer le verre à moitié plein et noter que l’un des corollaires de ce recours à la copie est que davantage d’information est mise à disposition du plus grand nombre gratuitement aujourd’hui.” Pourquoi ? Parce que derrière l’apparent appauvrissement de la diversité de l’information, il y a un paysage socio-économique dévasté : entre 2009 et 2016, la France est passée de près de 38 000 à 35 000 titulaires de la carte de presse, et la précarisation est de mise pour ceux qui restent. En outre, le contenu original, s’il accroît la réputation d’un média et fidélise ses abonnés, n’a qu’un impact microscopique sur le trafic – 0,018 % d’augmentation du nombre de lecteurs pour 1 % d’augmentation du contenu. Problème : sur Internet, la réputation est beaucoup moins rentable que le nombre de visiteurs uniques par mois. Mais tout ça, vous l’avez déjà probablement lu ailleurs.