Non, vos “amis Facebook” ne sont pas forcément vos vrais amis

Non, vos “amis Facebook” ne sont pas forcément vos vrais amis

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Par Thibault Prévost

Publié le

Un arrêt rendu le 5 janvier par la Cour de cassation estime  qu’un ami Facebook “ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme”

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Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais c’est une décision qui pourrait faire date : le 5 janvier, la Cour de cassation a tranché sur le statut légal d’un “ami Facebook”, et a déterminé que non, une personne à qui vous permettez d’explorer votre profil en ligne ne peut pas être mise sur le même plan qu’un ami IRL, avec qui vous partagez de véritables moment de complicité mutuelle dans le cadre rassurant de la réalité physique. Un truc que tout utilisateur Facebook sait de manière instinctive, mais sur lequel la justice n’avait pas encore eu l’occasion de se pencher. C’est désormais gravé dans le marbre, et ce n’est pas aussi trivial que vous le pensez.

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile, repéré par le twittos avocat Sefen Guez Guez, fait suite à la saisine de la Cour par un avocat du barreau de Paris, visé par une procédure disciplinaire. Sanctionné par l’Ordre des avocats, le juriste contestait cette décision en arguant que des membres de la formation chargée de statuer sur sa punition étaient amis sur Facebook avec des personnes impliquées dans l’affaire en question, y compris la plaignante, ce qui remettait en cause leur impartialité et rendait le jugement caduc.

La Cour de cassation en a décidé autrement, estimant qu’être “en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme” et que “l’existence de contacts entre ces différentes personnes par l’intermédiaire de ces réseaux ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession”. L’avocat a donc été débouté.

Lutte antiterroriste, pages xénophobes ou racistes, etc.

Toutefois, la décision dépasse de loin cette simple affaire, et a de bonnes chances de concerner d’autres décisions de justice dans les années à venir. Car jusqu’à maintenant, excepté une décision de la cour d’appel de Lyon, qui avait estimé en 2014 que les amis Facebook ne sont pas tous des amis au sens IRL, il n’existait pas de jurisprudence claire sur le statut de nos connaissances virtuelles. Pourtant, déterminer si deux personnes sont liées par un lien “d’amitié” peut être déterminant dans plusieurs types d’affaires – on pense immédiatement, paradigme sécuritaire oblige, aux projets d’attentats terroristes fomentés sur les réseaux sociaux.

Comme l’explique Sefen Guez Guez sur Twitter, les services de renseignement considèrent qu’un “like” équivaut “à une adhésion totale” aux propos émis par un individu, une position loin d’être neutre juridiquement. Avec cette décision de la Cour de cassation, il sera plus difficile à la justice d’utiliser un lien d’amitié Facebook comme preuve d’une proximité entre des individus lorsqu’elle tentera d’estimer, par exemple, un degré de complicité, qu’il s’agisse de banditisme ou de terrorisme. Concrètement, explique Sefen Guez Guez, un homme jugé la semaine prochaine au tribunal administratif après avoir subi une perquisition pour avoir “liké” une page ayant partagé des vidéos de Daech – c’est désormais possible avec l’état d’urgence – pourra se défendre de tout soutien à ladite vidéo.

D’un autre côté, cela vaudra aussi pour tous ceux qui “aiment” des pages à contenu xénophobe, raciste, islamophobe ou anti-LGBT, et qui pourront désormais arguer que leur “like” ne signifie pas leur adhésion aux propos émis par la page, le groupe ou l’individu, et probablement s’en sortir. Dura lex, sed lex. Enfin, comme le rappelle Le Monde, Facebook lui-même tend à utiliser les liens d’amitié comme justification pour la suppression de comptes. Dans ce cas, il sera plus difficile de contester la décision (après tout, Facebook a tous les droits sur votre compte), mais pas impossible. Et voilà comment un truc aussi trivial que la définition juridique d’un ami Facebook cache en fait un enjeu particulièrement sensible de la société numérique.