Charlie Charlie Challenge : le mème qui convoque démon mexicain, exorcisme et marketing

Charlie Charlie Challenge : le mème qui convoque démon mexicain, exorcisme et marketing

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Par Arthur Cios

Publié le

Deux crayons, une feuille blanche et un esprit démoniaque mexicain

Mais ce Charlie, déjà, qui c’est ? Rien moins qu’un démon apparemment originaire du Mexique. Pourtant, la pratique n’est pas dangereuse pour autant : elle consiste en la reproduction d’une sorte de tablette ouija sommaire, avec deux crayons disposés en croix sur une feuille blanche où l’on écrit Yes/No/Yes/No. L’internaute appelle l’esprit de Charlie, (“Charlie Charlie, es-tu là ?” ) et le crayon posé en équilibre se met à bouger tout seul.

Pas de fil invisible, ni de magie. L’explication est en réalité toute simple : c’est la gravité qui provoque la prétendue invocation satanique. Pas besoin de souffler sur l’objet comme certains ont pu le faire. La disposition en équilibre, si l’alignement est parfait, fait que les crayons ne peuvent rester en place, comme l’explique The Independent. Évidemment, la position adéquate n’étant pas forcément facile à trouver, certains trichent, parfois même involontairement, puisque le moindre mouvement peut faire vaciller le crayon.
Evidemment, les adolescents en manque d’adrénaline n’ont cure des explications rationnelles et scientifiques, ouvrant de nombreux débats en ligne, souvent houleux, sur le pourquoi du comment de cette incantation sauce réseaux sociaux et de ses conséquences. Notons qu’une grande partie s’amuse du succès de ce challenge un tantinet ridicule et le détourne, avec des vidéos où Charlie doit répondre à des questions telles que “Zayn va-t-il revenir dans 1D ?” ou “Justin Bieber va-t-il m’épouser ?
Pendant ce temps, en proie à la stupeur devant un phénomène gravitationnel qu’ils ne comprennent pas, d’autres prennent la chose très au sérieux : “Si c’est juste la gravité et des trucs du genre, alors pourquoi certaines personnes entendent des voix et que d’autres objets bougent alors ?” peut-on lire par exemple en commentaire d’un article de CNET.
Car oui, la “légende” raconte qu’une fois Charlie invoqué, il faut lui demander de partir, sinon il vous poursuivra à jamais. Rien que ça. L’exemple le plus repris en ligne est celui de cette jeune américaine racontant que Siri n’arrête pas de “popper” sur le portable de sa sœur depuis qu’elle a arrêté le jeu sans lui dire au revoir. La même adolescente raconte quelques tweets plus tard comment leur film Good Luck Charlie s’est mis sur pause sans que quelqu’un touche à la télécommande.
Le pire dans tout ça ? Lesdites victimes sont persuadées que Charlie les hante vraiment. Car la plus simple explication réside tout simplement dans la peur et la paranoïa, ou dans le fait qu’ils parviennent à voir ou entendre… ce qu’ils ont envie de voir ou d’entendre. Pour les plus sceptiques, voilà le récit d’une expérience prouvant qu’un robot peut vous donner l’impression que vous êtes en présence de fantômes, et donc créer une illusion tenace dans votre propre esprit.

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Qui est Charlie ?

Si le challenge est apparu de manière virale le 24 Mai, Charlie n’est pas tout jeune (normal pour un démon). Il est bien évidemment compliqué de mettre une date et un pays d’origine sur le phénomène. Néanmoins, on trouve sur un forum Yahoo espagnol des témoignages datant d’il y a 7 ans qui évoquent déjà le jeu de “Charly Charly” (les deux s’écrivent, oui), comme étant un jeu d’écoliers qui se pratique depuis des générations.
Visiblement, la version telle qu’on peut la trouver avec le challenge s’appelle “Juego de la Lapicera” (“jeu du stylo” tout simplement) ou encore “la tablette ouija de l’homme pauvre”, tandis que le “Charly Charly” était un autre jeu, avec des crayons de couleur et une disposition totalement différente. Cette version serait alors d’origine mexicaine, jusqu’à ce que les deux jeux se mélangent pour ressembler à ce que sera notre mème star du printemps 2015. On s’y perd.
Le point commun est donc l’aspect surnaturel : l’invocation d’un démon. Encore une fois, les versions divergent sur son identité. Certains racontent que Charlie serait un enfant suicidé, ou la victime d’un accident de voiture, là où d’autres y voient un démon païen mexicain aux yeux rouges et noirs qui aurait un rapport avec le Satan chrétien.
Seul problème, selon Maria Elena Navez, journaliste mexicaine à BBC Mundo, “il n’existe aucun démon appelé ‘Charlie’ au Mexique.” Ah. Maria précise : “Les légendes mexicaines viennent souvent de l’histoire des Aztèques et des Mayas, ou des croyances qui ont commencé à circuler pendant la conquête espagnole. Dans la mythologie mexicaine, vous pouvez trouver des dieux avec des noms tels que ‘Tlatecuhtli’ ou ‘Tezcatlipoca’ dans la langue Nahuatl. Mais si la légende avait commencé après la conquête espagnole, je suis sûre qu’il se serait alors appelé ‘Carlitos’. ” (Charlie en espagnol)
En fait, les origines de Charlie semblent multiples. Une autre source d’apparition provient de la République Dominicaine, et plus précisément de la province de Hato Mayor. Fin avril, un reportage a été diffusé sur une chaîne d’informations locale sur l’invasion dans les cours de récréation d’un jeu “satanique”. Ce serait à partir de là donc que les internautes dominicains auraient commencé à évoquer Charlie. Deux semaines plus tard, la phrase est en top trending sur le Twitter dominicain, le rendant accessible à toute la sphère hispanophone. La Dame Blanche 2.0 est lancée.

Récupération ou opération marketing?

L’explosion éphémère du phénomène a rapidement dépassé le cadre de YouTube. Le succès du challenge a dans un premier temps donné des idées à certains. Fin mai, le compte twitter du film The Gallows a publié une vidéo qui a provoqué un nouveau débat : et si tout cela n’était qu’une opération marketing ? Le film d’horreur américain, dont la sortie est prévue pour le 22 juillet en France, présente un synopsis somme toute classique :

Dans une petite ville, un accident se produit pendant le spectacle de fin d’année du lycée et fait plusieurs morts. Vingt ans plus tard, des lycéens du même établissement remontent la pièce pour rendre hommage aux victimes de la tragédie, mais découvrent qu’il vaut mieux parfois ne pas ressusciter les fantômes…

“Ressusciter les fantômes”. La ressemblance entre le pitch et notre mème ne réside que dans ces trois mots. Cependant, tandis que la promo du film était à ses débuts, en l’occurrence le 27 mai, le compte @TheGallows poste une vidéo teaser assez explicite.


Il n’en fallait pas plus pour que certains médias s’emballent et crient au scandale : “#CharlieCharlieChallenge était une campagne de marketing viral parce que ce monde part en vrille” titrait alors le site Uproxx. Seul problème : la vidéo a été postée après le début dudit challenge. De plus, les médias ont relayé cette information mais aucun tweet n’évoquait ce film avant le teaser.
Autre preuve, plus significative : le démon du film, bien que répondant au nom de Charlie, s’énerve quand on prononce son nom et il ne faut pas le prononcer. Or, dans le challenge, l’évocation du nom est la clé du “jeu”. Il serait donc plus vraisemblable que, voyant le succès de ce Mexicain prénommé Charlie, The Gallows ait essayé de surfer sur la vague du succès, de filmer un challenge avec un filtre rouge et de le monter avec une scène qui n’a rien à voir et que l’on voit dans un autre teaser.

Un jeu “dangereux”

Pendant que le service marketing du film s’amusait à reprendre ce phénomène de “mode”, le Charlie Charlie Challenge est devenu un sujet grave pour certains : témoins externes de ces pratiques païennes, quelques représentants de l’église catholique ont répondu très sérieusement au sujet.
Le prêtre américain Stephen McCarthy a écrit une lettre ouverte le 26 Mai, où il dit entres autres que “il n’existe pas de ‘jeu innocent avec des démons’ (…) Le problème avec le fait de s’ouvrir soi-même à des activités démoniaques est que cela ouvre un champ de possibilités qui ne se clôture pas facilement.” Vous êtes prévenus.


Le lendemain, c’est un exorciste espagnol, Jose Antonio Fortea, qui mettait en garde les jeunes jouant avec Charlie : “Certains esprits qui sont aux racines de cette pratique vont harceler quelques joueurs.” S’ils ne seront pas forcément possédés, l’esprit invoqué “risque de rester aux alentours pendant un certain temps.”
Il évoque aussi le risque de convoquer d’autres démons habitués à ce genre de pratique. En faisant quelques recherches, on comprend rapidement que Jose Antonio Fortea est une figure plutôt respectée au Vatican, et un exorciste parmi les plus réputés. De là à dire que le message vient du Saint-Siège directement, comme certains médias l’ont déclaré, il y a un juste milieu. Néanmoins, Charlie intrigue et inquiète.

Recommandations ministérielles

Charlie est même devenu une question politique. Aux Caraïbes en tout cas, le sujet est très franchement pris au sérieux. Le 29 Mai, un communiqué officiel du ministère de l’éducation des Bahamas a été envoyé dans chaque école du pays. Ce dernier prévenait du danger d’un jeu convoquant des esprits surnaturels. Un haut-représentant ministériel, Lionel Sands, aurait justifié l’acte ainsi :

Cela devrait être considéré comme quelque chose de sérieux. Quand on a affaire à des choses surnaturelles, je ne peux pas l’expliquer, mais je ne veux pas que nos enfants soient exposés à quoique ce soit de surnaturel qui puisse causer des problèmes. C’est difficile à expliquer mais nous ne savons pas dans quel mesure cela peut affecter nos enfants donc je ne l’interdirais pas.

En gros, pas de législation particulière autour du phénomène, mais un sérieux avertissement au corps enseignant.

Si l’affaire est arrivée jusqu’au gouvernement, c’est qu’aux Bahamas, nation profondément croyante, un certain nombre de débordements est apparu. Interrogé par le site Motherboard, le pasteur Theo Smith raconte comment quelques jeunes ont subi des effets secondaires : “Des enfants ont commencé à avoir des attaques, à crier, à entendre des voix et rire, un peu partout“, raconte-t-il.
Le quotidien Tribune 242 rajoute que plusieurs enfants ont été hospitalisés des suite du Charlie Charlie Challenge. Un lycée de l’archipel a même demandé aux pasteurs et aux ministres de venir prier sur les campus et les classes où les élèves ont pu jouer, afin de limiter ce genre de cas.
Une situation que l’on trouve un peu partout dans les Caraïbes, en Antigua-et-Barbuda, en Jamaïque, en Trinidad & Tobago, en Guyane ou à la Barbade par exemple. Un pasteur guyanais raconte le cas de seize élèves qu’il doit “délivrer d’une activité démoniaque, à cause de ce jeu.” Des séances de prières ont lieu un peu partout pour sauver la jeunesse de ces îles. Certains ont même quelques théories plutôt délirantes, comme cette directrice d’école à Nassau, Myrtle McPhee, qui aurait demandé l’aide de pasteurs après que ses élèves aient fait des expériences “avec un démon mexicain homosexuel appelé Charlie. 
Le sujet semble s’être apaisé depuis quelques jours, maintenant que la bulle #CharlieCharlieChallenge a explosé, aux Caraïbes également. Certains continuent de faire tourner des crayons, de moins en moins finalement. Mais l’impact qu’a eu ce simple jeu prouve qu’un phénomène en ligne, aussi court soit-il, peut avoir beaucoup de conséquences.