Un second Visa pour l’Australie ? Ces trois témoignages vous disent à quel prix

Un second Visa pour l’Australie ? Ces trois témoignages vous disent à quel prix

photo de profil

Par Camille Filippi

Publié le

Les gouvernements successifs, qu’ils soient travaillistes ou libéraux, ont fermé les yeux sur le fait que des étudiants internationaux et les détenteurs de Visa Vacances Travail soient utilisés en tant que main d’œuvre non-qualifiée par les agriculteurs et autres à travers le pays.

À voir aussi sur Konbini

Afin d’éviter le scénario à la Wolf Creek, vérifiez les options disponibles sur le site du gouvernement australien. Tous les fermiers ne sont pas suspects ou des pervers esseulés tapis dans l’ombre attendant l’arrivée d’une voyageuse vulnérable à leur porte. Cette expérience est faite pour faire bénéficier les deux partis de manière égale. Nous avons demandé à trois voyageurs venus d’Europe de nous raconter leur expérience. Pour le meilleur et le pire.

“Australia, I love you but you’re bringing me down”

par Vincent Micheli, Corse, France

Après avoir pris le train de 8 heures pour Melbourne, puis une voiture, j’étais enfin arrivé à Robinvale à 15 heures. J’y ai rencontré des travailleurs chinois entassés dans un espace,  et aucun d’eux ne m’a dit bonjour. Nous nous sommes d’abord arrêtés au supermarché vietnamien, puis, une fois arrivé sur place, j’ai été accueilli par mes nouveaux amis méditerranéens. Leurs mains étaient entaillées à cause des sécateurs, mais mon pote Dimitri m’a demandé “d’oublier ça.”
Ce village fantôme de 3 000 âmes dans lequel j’étais arrivé portait le nom d’un général inconnu mort pendant la Seconde Guerre Mondiale, et était jumelé avec un village picard. Ce endroit ne me manque pas le moins du monde.
Mon voyage prenait fin en arrivant devant cette maison traditionnelle typique de la campagne australienne. Hormis les neuf asiatiques que j’avais déjà rencontrés, il y avait le Grec Dimitri, et Chloé, qui était Corse comme moi. De l’autre côté du jardin se trouvait ma “maison” qui était en fait un petit entrepôt tout pourri en métal divisé en deux chambres. J’en louais une pour 70 dollars la semaine.

Avoir une chambre et un salon habitables et nous donnant la possibilité d’apprécier les choses simples de la vie était plus important que l’argent et un Visa pour la seconde année. Résultat, je passais deux heures à tuer des araignées, des mille-pattes et des tarentules pour rendre ce taudis confortable.
Les Chinois présents ne buvaient pas d’alcool, ne fumaient pas de weed, ne lisaient pas de littérature occidentale, regardaient des films commerciaux, et écoutaient ce que MTV voulait bien passer. Leur niveau d’anglais était à peu près équivalent au mien à l’époque (plutôt mauvais), donc on ne parlait pas beaucoup. Certains ne savaient même pas qui étaient Bob Marley et Jésus.
Je passais dix heures par jour à ramasser des raisins Kyoho dans un arbre de deux mètres de haut et j’étais payé au cageot. Les jours où j’étais désespéré et impatient de gagner de l’argent, je ramassais des raisins à fond par 45°C comme un esclave, jusqu’à ce que je m’endorme d’épuisement sur le chemin du retour. Les jours de grand vent et de paresse, je restais tranquille et fumais ma cigarette en mangeant du riz sur l’herbe avec mes potes Afghans qui étaient en Australie depuis 2001.
J’observais les cacatoès, les perroquets et les autres oiseaux exotiques. Observer la faune et la flore était mon activité préférée, que ce soit dans les champs ou dans mon jardin. Le soir, je profitais des derniers rayons de soleil avec un verre de whisky-coca ; puis je cuisinais le dîner et allais dormir avant le lendemain. C’était mes petits plaisirs. C’était simple pour un gars de la campagne corse comme moi.
Le jour suivant, debout à 5 heures avec Eminem à fond à la radio. “Jason” conduisait une Mitsubishi bleue jusqu’à l’entrepôt en mangeant du poulet frit. Jason adorait Arsenal. Les Thaïlandais étaient chargés d’évaluer la récolte de la journée tôt le matin. J’étais le seul blanc avec le propriétaire et son fils. On commençait doucement.
Les patrons avaient caché des serpents en plastique dans les cageots pour nous faire une mauvaise blague à l’australienne. Tout le monde se mit à rire puis à travailler encore plus dur, comme des singes-robots suivant le rythme de “Beat it” de Michael Jackson ou un solo de Van Halen. Le propriétaire criait “WE’RE FOCKIN RICH.” (“ON EST PUTAIN DE RICHES“)

Une fois, on est allés à “la ville.” On a regardé des films américains et j’ai acheté Enter the Wu-Tang (36 chambers) et Marquee Moon de Wu Tang Clan et Television. Puis je suis retourné au petit Chinatown coincé entre Adélaïde et Melbourne. À la fin, je contais les jours restants comme si j’étais en prison.
Finalement, les pluies tropicales mirent fin à la saison des récoltes. Je venais de passer l’été entier à la campagne à ramasser des raisins, loin de mes amis, de la plage et des soirées. Au fond, ce n’était pas si grave. Une fois mon Visa pour une seconde année obtenu, avec en prime un bronzage d’agriculteur et des cicatrices partout sur les bras, j’ai fait mes valises à nouveau. Je suis parti de Robinvale à 5 heures du matin en sachant que je ne les reverrai jamais, et je compte bien ne jamais y remettre les pieds.
Ces histoires démontrent que si vous arrivez à rester en vie après cette aventure mémorable (en évitant l’esclavage, l’harcèlement sexuel, de perdre un doigt dans une exploitation de poulets ou une jambe dans une ferme d’alligators du Queensland), alors peut-être qu’un jour vous pourrez dire que l’Australie est votre “maison” et chanter cette chanson patriotique.

“Les blancs sont paresseux”

par Ivy Willis, Angleterre

Le moment était venu de quitter ma vie à Melbourne et de partir à la campagne pour 88 jours de travail à la ferme. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais j’étais enthousiaste à l’idée de commencer cette nouvelle aventure. J’avais l’espoir de gagner beaucoup d’argent, de me muscler un peu et de rencontrer d’autres voyageurs. Je n’avais aucune idée de l’enfer qui m’attendait.
J’avais répondu à un nombre incalculable d’annonces Gumtree, mais je n’avais jamais eu de retour. Finalement, un couple me répondit. Ils étaient organisés pour accueillir des travailleurs internationaux qui souhaitaient obtenir un Visa pour une seconde année. Je devais donc me rendre à Gatton, à une heure de Brisbane. Après un départ difficile, j’ai pris la route avec pour seul bagage mon sac à dos et des chaussures de sécurité.
Ils sont venus me chercher et m’ont conduit sur place. Une fois arrivé, j’ai dû signer un contrat interminable et donner 470 dollars pour payer le loyer et la caution. Ils m’ont donné un coussin marronâtre et une couverture qui gratte, comme si j’étais un nouveau pensionnaire d’une prison. J’ai eu de la chance car j’ai été placé avec des gens cool, mais cet endroit est sûrement l’un des pires pour les backpackers.
On habite dans une vieille maison avec une salle de bain, deux chambres et un petit placard au fond. Il y a une moquette repoussante partout sur laquelle je suis incapable de marcher pieds-nus, bien que j’ai déjà passé un an sans chaussures à voyager à travers le monde. La cuisine est équipée pour une famille de quatre personnes, mais sûrement pas pour neuf travailleurs.

Le frigo est rempli de cafards et des insectes morts recouvrent les meubles. Le bon côté des choses, c’est qu’on ne paye que 135 dollars par semaine contre 150 dollars pour de meilleurs logements. Surprise, les logements “un peu mieux” sont infestés de punaises de lit ! Petite veinarde que je suis, je n’ai pas eu à faire un choix difficile.
Une journée type commence en envoyant un SMS la veille entre 16 et 17 heures à notre employeur disant “prêt à travailler demain”. La réponse arrive vers 20 ou 21 heures et nous informe du lieu de travail et de l’heure du ramassage en camion. J’étais contente de recevoir le message “ramassage de cébette, départ à 5 heures 30” pour mon premier jour. Aïe. C’est à cette heure-ci que j’arrivais d’habitude chez moi en titubant à Melbourne.
Maintenant, je ramasse des tomates. Un cageot pour neuf dollars. Ne vous méprenez pas, j’adore être dehors au soleil. Mais ramasser des tomates cerises dans un champ pendant huit heures pour neuf dollars par cageot, ça ne me semble pas correct. Est-ce normal ? Est-ce légal ? J’entendais les fermiers hurler “dépêchez-vous, ramassez plus vite” et d’autres mots qu’il ne vaut mieux pas répéter.
Ces fermiers prennent pour cible leurs employés noirs en supprimant leurs journées et en les traitant de manière injuste. J’étais choquée de constater que ça puisse encore arriver de nos jours, surtout en Australie. J’en ai parlé à une fille originaire de Chine qui travaillait pour un bureau de placement obscur, et elle m’avait répondu que “le fermier n’embauche pas de blancs parce qu’il dit qu’ils sont tous paresseux.”

Après la diffusion de l’enquête “Four Corners” sur ABC, les journalistes attendaient à l’extérieur de l’une des maisons des backpackers et leur demandaient de leur décrire leurs conditions de travail, proches de celles de l’esclavage. Par hasard, la responsable passait à côté de la maison en question et les journalistes se sont rués vers elle en demandant “êtes-vous celle qui est responsable de l’exploitation des voyageurs ?” avant qu’elle n’aille se réfugier à l’intérieur, refusant de répondre.
Pour une année supplémentaire en Australie, doit-on supporter des conditions de vie édifiantes, le racisme, les horaires éreintants, un salaire de misère, les enquêtes, le stress et le manque total de confort ? N’y a-t-il pas un autre moyen ?
Il me reste 71 jours à travailler pour compléter mon dû, et je pense rester ici. Je n’ai pas assez de temps pour trouver une autre ferme, ni assez d’argent pour acheter un nouveau billet d’avion à cause de ce maudit salaire. Puis nous sommes soudés dans la maison. C’est vital d’avoir un bon sens de l’humour, mais parfois ça ne suffit pas pour éviter les moments de déprime. Plus que 71 jours à tirer. Et peut-être que lorsque je serai de retour auprès de ma famille et mes amis, je rirai en me souvenant de cette expérience. Ou peut-être pas.

Vivre de carottes et d’eau fraîche

par Marie-Chantal, France

Garfied, Victoria. Il y a un an, j’ai fait l’expérience de ce qui restera probablement comme le souvenir le plus intense de ma jeune et naïve existence. Pour ces 88 jours de travail à la ferme afin obtenir un second Visa, je voulais éviter le “wwoofing”, le ramassage de fruits et tous ces noms bizarres. Désolée chéri, je ne compte pas travailler gratis juste pour ramasser tes bananes. J’ai donc fini dans un centre équestre à Garfield, Victoria, qui élevait des cheveaux de la race des Frisons.
Mon “adorable” chambre était un container de bateau vert, poussiéreux et sombre. Il y avait un lit, une lumière et un chauffage. Rien de plus, rien de moins. J’avais aussi le privilège de prendre une douche de cinq minutes par jour et de manger des carottes (de la nourriture pour chevaux mangée par des humains, ça passe, non ?) avec du houmous fait maison pour le dîner. Je pensais que ce n’était pas si mal, j’aurais pu finir sous une tente en mâchouillant un bout de pain sec après tout.
Je devais m’occuper de vingt chevaux seule tous les jours, c’est-à-dire les nourrir, les brosser, changer leur tapis et autres. Parmi eux, il y avait huit énormes chevaux disposant d’un impressionnant stock de différents tapis, bombes, et divers accessoires. J’étais enthousiaste à l’idée de relever le défi, mais j’étais physiquement épuisée.
Après une semaine complète de dur labeur à nettoyer des montagnes de crottin, à nettoyer les bottes de Natacha (ce qui n’était pas mentionné dans le contrat) et après avoir eu mon cerveau grillé par une barrière électrifiée un jour de pluie, j’ai enfin obtenu une journée de répit.
Le matin suivant, l’assistant de Natacha m’a appelée pour m’annoncer que j’étais virée. “Tu as mis le mauvais tapis sur un cheval,” ce qui était un signe évident que je n’étais pas une “véritable” amoureuse de nos amis équins. J’étais désolée, mon mauvais comportement pouvait simplement s’expliquer par un problème de compréhension de la langue. J’y suis allée afin d’expliquer mon erreur et présenter mes sincères excuses (Dieu merci, le cheval était encore en vie). Elle n’a pas voulu écouter un mot de ce que j’avais à dire, et m’annonça que de toute façon, je n’étais qu’en période d’essai. Pardon ? Depuis quand ?!
J’étais effondrée, en colère, et je me suis sentie manipulée. Alors que j’étais en train de plier bagage en jurant bruyamment en français en pleine crise d’hystérie, je me suis soudainement vue pousser mon lit, baisser mon pantalon et ma culotte, et pisser sur le sol à ma plus grande satisfaction. Douce revanche.