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Au Maroc, deux prédicateurs qui prêchaient la chasteté poursuivis pour relation extraconjugale

Au Maroc, deux prédicateurs qui prêchaient la chasteté poursuivis pour relation extraconjugale

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Par Youssef Roudaby

Publié le

Lui avait émis une fatwa interdisant l’échange de mots d’amour sur Facebook. Elle s’était fait connaître par une prêche à destination des étudiantes où elle considérait que “rire avec les hommes relevait de la fornication”.

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Les deux prédicateurs Omar Benhammad et Fatima Nejjar, tous deux vice-présidents du Mouvement unicité et réforme (MUR), considéré comme l’aile idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD), parti islamiste majoritaire dans l’actuel gouvernement marocain, ont été surpris dans la matinée du 20 août “en flagrant délit d’adultère” dans une voiture garée devant une plage à quelques kilomètres de Casablanca.

Fatima Nejjar est actuellement poursuivie devant la justice pour “adultère”. Omar Benhammad risque la prison pour “corruption”, vu qu’il aurait cherché à soudoyer les autorités pendant son arrestation. Il ne sera cependant pas poursuivi pour les mêmes chefs d’accusation que sa compagne, sa femme ayant refusé de porter plainte.

Pour sauver les meubles, le mouvement islamiste s’est vite désolidarisé de ses deux membres, annonçant la démission de l’une et le limogeage de l’autre. Le PJD, parti islamiste actuellement aux responsabilités, a de son côté préféré se murer dans le silence. Le fait divers pouvant entacher l’image du parti à quelques mois des élections législatives, prévues en novembre au Maroc.

Entretemps, le procès-verbal de l’interrogatoire des deux mis en cause a leaké sur Internet, dévoilant sur les réseaux sociaux les détails de l’affaire. Si les islamistes ont été nombreux à crier au “coup monté” destiné à ternir la réputation des deux prédicateurs, les services de police ont fini par publier un communiqué où ils expliquaient que l’arrestation s’est faite de “manière fortuite” et qu’ils détiennent “des éléments constitutifs d’un acte légalement incriminé”.

Les relations extraconjugales étant toujours réprimées par la loi marocaine, le prédicateur, marié et père de sept enfants et Fatima Nejjar, veuve et mère de six enfants, risquent une sentence de trois mois à deux ans de prison. Omar Benhammad ne devrait cependant pas être poursuivi pour “adultère”, vu que le code pénal marocain énonce que “le retrait de la plainte par le conjoint offensé met fin aux poursuites exercées contre son conjoint pour adultère”. Chose que sa femme a faite avant de demander le divorce.

La prédicatrice ne devrait pas bénéficier des largesses du code pénal marocain, puisque “le retrait de la plainte ne profite jamais à la personne complice du conjoint d’adultère”, comme le précise le texte de loi.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

Au lendemain de faits similaires, les défenseurs des droits de l’homme au Maroc ont pour habitude d’appeler à la libération immédiate des accusés ou encore à revoir le code pénal, qui contient encore des textes portant atteinte aux libertés individuelles. Sauf que lorsque les mis en cause sont des prédicateurs qui se sont longtemps attaqués à la notion de liberté, les associations gardent le silence.

Du côté des internautes, l’affaire a été commentée à l’infini, souvent au second degré. Sur Twitter et Facebook, certains prennent un malin plaisir à publier les vidéos où la prédicatrice appelle à ne pas “céder au vice” tout en donnant des leçons de morale à de jeunes étudiantes.

Idem de la part de la presse internationale qui a relayé l’information. La plupart des supports ont effet mis en lumière la contradiction entre ce que prêchent les deux prédicateurs et les faits qui leur sont reprochés. “Un islamiste qui prêche la chasteté arrêté en pleine relation sexuelle sur la plage”, titre The Daily Star. “Le procès ‘sex on the beach’ a débuté au Maroc”, indique Al Arabiya.

Des islamistes appellent à revoir la loi

Seuls certains prédicateurs se sont rangés du côté du couple, vu que ce dernier avait assuré aux autorités avoir contracté un mariage religieux, pourtant non reconnu par la loi. Hamza Kabbaj, un imam connu pour ses déclarations controversées, a même comparé Fatima Nejjar à la femme de Mahomet, tout en s’attaquant aux “chiens” qui ne reconnaissent pas ce mariage.

Le scandale du couple de prédicateurs représente cependant une lueur d’espoir pour les militants des droits de l’homme, parce qu’il a contribué à une prise de conscience, même partielle, de la nécessité de revoir le code pénal marocain, dont les textes liberticides n’assurent toujours pas la liberté sexuelle aux citoyens.

Le 4 septembre, le Forum de la dignité, une association proche du parti islamiste marocain, a appelé pour la première fois à revoir les textes interdisant les relations sexuelles hors mariage et l’adultère. “L’application des articles 490, 491 et 492 du code pénal par les fonctionnaires chargés d’appliquer la loi peut porter atteinte aux libertés individuelles et aux droits constitutionnels des citoyens. De même, cette mauvaise application de ces lois expose les citoyens à des traitements dégradants et inhumains touchant leur dignité”, écrit l’association à vocation islamiste dans un communiqué, tout en appelant à l’indemnisation du couple mise en cause.

Ce n’est pas la première fois que le Maroc est appelé par la société civile à dépénaliser les relations extraconjugales. En 2015, la condamnation d’un journaliste marocain pour des faits similaires avait provoqué de vives réactions. “La condamnation de Hicham Mansouri et de sa coaccusée est un exemple déprimant de tout ce qui est inadéquat dans le système judiciaire marocain”, avait déclaré la directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.

Mais la situation ne devrait pas s’améliorer pour autant, malgré l’insistance des instances internationales et des associations marocaines. Le 31 mars 2015, le ministre marocain de la Justice avait publié un projet de révision du code pénal où… les peines encourues pour adultère sont plus lourdes. Le nouveau projet de code pénal prévoit ainsi une amende en plus de la peine de prison actuellement en vigueur.