“L’émotion est encore plus forte qu’après Charlie” : les attentats vus par les médias étrangers

“L’émotion est encore plus forte qu’après Charlie” : les attentats vus par les médias étrangers

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Par Théo Chapuis

Publié le

Depuis samedi matin, la place de la République est remplie de médias français, mais également du monde entier. Pour prendre de la perspective sur les attentats du 13 novembre, Konbini est parti à la rencontre des reporters étrangers.

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Lundi matin, il y avait comme un air de déjà-vu à République. Dix mois après les rassemblements consécutifs aux attaques de Charlie Hebdo et de l’HyperCacher, cette place désormais emblématique de Paris confirmait à nouveau sont statut de lieu de rassemblement. Trois jours après les attentats qui ont semé la mort dans ses environs directs, au lendemain du mouvement de panique qui a vidé la place en quelques instants, les Parisiens s’obstinent encore et toujours à se réunir sous l’œil bienveillant de Marianne.

C’est parce qu’ils sont au courant de cette résilience, de cette obstination, que les journalistes du monde entier convergent eux aussi sur les pavés de la place de la République. C’est depuis ce carrefour parisien qu’ils se rendent au Bataclan ou boulevard Voltaire, où ils sont venus “recueillir l’ambiance”, “sentir la ville”, “comprendre l’impact sur la population”, comme le raconte Jean-Christophe Nigon, reporter pour Telebasel, une chaîne de télévision suisse-allemande :

On s’attendait à ces attentats, on savait que c’était une question de temps. Mais c’est le nombre et la manière qui ont glacé le sang de tout le monde. C’était un choc, on est chaos debout. […] Le fait qu’une télé régionale suisse allemande se déplace ici est une preuve que ça touche énormément.

Les antennes paraboliques juchées sur les dizaines de camionnettes émettent aux quatre coins du globe. Loveena Tandon, reporter pour India Today arrivée dès samedi, cherche à tout prix comment rejoindre une mosquée pour interroger des musulmans. “J’avais couvert Charlie Hebdo et l’émotion est encore plus forte”, remarque-t-elle.

Ce qui la frappe, c’est “le choc, profondément ressenti” par les Parisiens, mais aussi la formidable variété des hommages rendus : “rassemblements, bougies, graffitis…”

Son confrère David Ushery est correspondant pour NBC New York. Lui aussi se dit impressionné :

Arrivés sur les lieux des drames, le plus extraordinaire était de voir les visages des gens rassemblés là. Sonnés, tristes, en pleurs et parfois même incapables de parler. Nous venons de New York et bien sûr, après ce qui s’est passé le 11 septembre, on peut très vite s’identifier.

L’Inde aussi a connu de nombreux attentats sur son territoire. “Nous pouvons comprendre ce que traverse l’Europe. Il y a un grand sentiment de compassion”, explique la journaliste d’India Today.

Yachi partage ce même sentiment de proximité dans l’horreur. Ce reporter japonais semble un peu perdu, fixant sans relâche la statue de Marianne. Il bafouille quelques mots d’anglais, mais doit patienter que son interprète arrive pour que nous puissions échanger.

S’il est ici avec son équipe, c’est parce que les citoyens du Japon ont compris la menace de l’Etat Islamique lorsque deux compatriotes journalistes étaient décapités dans le désert par le groupe armé. “Ça a beau s’être passé à des milliers de kilomètres, l’EI a alors semblé une menace plus proche aux Japonais”, décrypte Yachi, confirmant la fameuse loi du “mort-kilomètre” bien connue des journalistes.

“C’est comme si notre cœur à tous était un peu plus petit aujourd’hui”

De retour auprès de David Ushery, le correspondant de NBC. Il nous explique que les attentats de Paris ont eu deux types de conséquences sur les New Yorkais. D’abord, le renforcement de la sécurité : “C’est courant lorsqu’une chose pareille arrive dans une grande ville occidentale, et tout particulièrement dans une ville comme Paris.” Mais aussi beaucoup d’empathie : “Il y a eu très vite des rassemblements dans plusieurs endroits de la ville, notamment le Washington Square Park, qui abrite un bâtiment dont l’architecture évoque l’Arc de triomphe.

Qu’ils soient Autrichiens, Indiens, Américains ou Allemands, tous les journalistes rencontrés se font le relais de la grande compassion dont témoignent leurs peuples à l’égard des Français en ces temps difficiles. Journaliste pour la chaîne espagnole TVE, Lara Robles ne cache pas son émotion : “C’est comme si notre cœur à tous était un peu plus petit aujourd’hui”.

Je suis journaliste, alors mon job c’est de dire à des gens qui habitent loin d’ici ce qui s’est passé. Mais c’est difficile de ne pas être ému par toutes les larmes, toutes les fleurs… Il faut accepter de le ressentir aussi afin d’être capable de le communiquer, et mais il faut trouver l’équilibre pour garder son sang-froid.

Elle n’est pas seule. Visiblement marquée par les événements, Nadine Mierdorf, reporter pour N24 (“la plus grande chaîne de news d’Allemagne”), a remarqué la résilience à toute épreuve des Parisiens, mais aussi le stress encore présent partout – comme en atteste le mouvement de panique qui a déferlé sur la foule dimanche soir à la suite de fausses alertes :

Je fais ce job depuis dix ans, je suis allée à Gaza, au Népal et dans des tas d’autres pays où d’horribles choses se sont produites. Mais hier c’était très effrayant à cause de l’incertitude : on ne savait pas ce qui se passait, qui était là, s’il y avait des coups de feu, tout le monde criait, c’était si bruyant…

Le refus du bouc-émissaire impressionne les médias étrangers

Si la plaie était moins profonde, il y aurait quelque chose de comique dans la mine préoccupée de ces reporters internationaux cherchant à savoir si la routine du métro-boulot-dodo a repris comme d’habitude ce lundi matin de novembre. Arrivés samedi matin pour la plupart, ils ont eu le temps de partager l’inquiétude, la peine, mais aussi la terreur des Parisiens.

Marcin Wyrwal, d’Onet.pl, tient lui aussi à indiquer qu’il est reporter pour “le plus grand site d’infos de Pologne” avant de partager son expérience des lendemains de tragédies :

J’étais Place Maidan, à Kiev. J’y ai senti les mêmes émotions, les mêmes réactions lorsqu’un grand nombre de personnes meurent le même jour. On prenait les mêmes images d’ailleurs : des gens qui se tiennent debout, quoi qu’il arrive, apportant des fleurs et des bougies […] On a vu énormément de tension mais on constate aujourd’hui aussi la beauté des sentiments humains.

C’est également ce qui frappe Massimiliano Cochi, reporter pour TV2000, “la chaîne de l’Eglise italienne”. En atterrissant à Paris, il était presque sûr d’entendre l’opinion se déchaîner contre les migrants, comme la Ligue du Nord [parti d’extrême-droite italien] qui en a fait les parfaits boucs-émissaires… Mais non : “Ce n’est pas un problème religieux, mais un problème politique, expliquent les Parisiens. Et il y a beaucoup de maturité dans ces propos”.

Reporter pour un journal autrichien, Anja Kröll vit dans un pays qui se trouve actuellement sur la route du plus grand déplacement de population depuis la Seconde guerre mondiale. Pragmatique, elle rejette à son tour la trop facile accusation contre les migrants :

Il n’est pas l’heure de dresser des parallèles entre ce qui s’est produit et ces gens, il faut faire très attention. Après tout, il n’y a rien de plus facile pour Daech que de produire un faux passeport syrien afin de faire croire que les auteurs des attentats se sont cachés parmi les migrants. Mais je pense que c’est ce qu’ils veulent : séparer l’Europe et faire croire à ses habitants que dans la vague de migrants se cachent des terroristes.

Si les journalistes du monde entier sont émerveillés à l’unanimité par le désir de rassemblement et l’émotion des Parisiens, ils semblent s’accorder aussi sur une chose : rien ne dit que de tels événements n’arriveront pas dans leur propre patrie un jour ou l’autre – quand ce n’est pas déjà fait. Martin Thuer, journaliste pour ATV (Autriche), est convaincu qu’après tout, “cette forme de terrorisme aveugle est désormais propre à l’Europe”.