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L’humanité n’a jamais connu une atmosphère aussi chargée en CO2

L’humanité n’a jamais connu une atmosphère aussi chargée en CO2

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Par Thibault Prévost

Publié le

Le 11 mai, le dioxyde de carbone a atteint un niveau de 415 parties par million. Un niveau inédit depuis l'aube de l'humanité.

Bravo à toutes et à tous, fièr·e·s représentant·e·s de l’espèce humaine : nous l’avons fait ! Le 11 mai dernier, nous avons battu un nouveau record de vitesse dans l’interminable sprint vers l’extinction que nous avons lancé depuis le début de l’ère industrielle. Rendez-vous compte, à en croire les données mesurées par l’institut d’océanographie Scripps (situé à l’université de Californie à San Diego), la densité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère terrestre est désormais de 415, 26 parties par million (ppm) ! Un tonnerre d’applaudissements, s’il vous plaît, pour l’ensemble des activités humaines, sans qui rien de tout cela n’eut été possible aujourd’hui.

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Surtout, ne minimisons pas la performance. Comme le rappelle le journaliste spécialisé Eric Holthaus, l’un des premiers à partager l’information sur Twitter, c’est une véritable prouesse : à l’échelle humaine, cette concentration en CO2 est tout simplement inédite. Pas depuis l’apparition de la civilisation industrielle, non. Pas non plus depuis l’invention de l’agriculture préfigurant les sociétés humaines, non – jamais homo sapiens n’a respiré un air aussi chargé en dioxyde de carbone. Prenez une grande inspiration pour célébrer l’événement, et remerciez en silence le miracle du progrès technique. (Pour rappel, le CO2 est important pour l’équilibre de l’écosystème car il emprisonne dans l’atmosphère la chaleur émise et/ou absorbée par les océans et le sol terrestre. Trop de CO2 dans l’atmosphère, et toute la planète chauffe.)

Stable pendant près de 800 000 ans, et puis…

Nous voilà rendus à 415.26 ppm de dioxyde de carbone, donc, mais au fond, qu’est-ce que ça signifie ? Cette “partie par million” correspond tout simplement à la quantité d’une molécule (ici, le CO2) présente dans un million de molécules d’air (composée, rappelons-nous, à 78 % d’azote, 21 % d’oxygène et 1 % de gaz rares). Mesurée depuis 1958 à l’observatoire de Mauna Loa (Hawaii), l’évolution de la concentration en CO2 dans l’atmosphère terrestre est illustrée graphiquement par la courbe de Keeling, du nom du chercheur de l’institut Scripps ayant patiemment compilé ces données. Spoiler : ça augmente exponentiellement.

En 1958, date de la première mesure de l’observatoire, la concentration de CO2 était alors de 315 ppm, ce qui représente une augmentation de 30 % en une soixantaine d’années. En 2013, la saturation dépassait pour la première fois les 400 ppm ; les 405 ppm étaient atteints en 2017, les 410 ppm en 2018, et désormais 415 en 2019. S’il faut évidemment rappeler que la Terre, au cours de ses terribles fluctuations climatiques et atmosphériques, a déjà connu un air encore plus saturé qu’actuellement en dioxyde de carbone, l’institut Scripps assure que la concentration n’avait jamais dépassé les 300 ppm en… 800 000 ans. Pré-révolution industrielle, en 1850, le taux était de 280 ppm. Pas de doute, l’être humain est vraiment exceptionnel.

Avec un taux pareil, l’Antarctique était couvert de forêts

Concrètement, la dernière fois que l’atmosphère a ressemblé à celle de 2019, c’était il y a 3 millions d’années, en plein Pliocène. À cette époque, l’Antarctique était une forêt géante et tempérée, autour des 15 degrés de moyenne. La température globale était 2 à 3 degrés plus élevée, comme ce qui nous attend d’ici la fin du siècle. Les océans ? Vous allez rire, mais ils étaient à peu près 20 mètres plus hauts qu’aujourd’hui. (En suivant l’évolution des concentrations actuelles, le consensus est celui d’une augmentation du niveau des océans de 50 centimètres à un mètre d’ici 2100.)

Entre-temps, le CO2 avait été capturé par les arbres, les plantes, les animaux et les glaces et capturé dans le sol. Et nous voilà aujourd’hui en train de le déterrer joyeusement. Bonus : si nous brûlons toutes les réserves de pétrole, de charbon et de gaz disponibles sur Terre, la concentration en CO2 pourrait atteindre 2000 ppm et on préfère vous épargner les conséquences sur votre quotidien ou celui de vos enfants, si vous décidez d’en faire malgré leur empreinte carbone.

Face à l’urgence, les gaz à effets de serre… augmentent

La performance est donc à tous points de vue historique et assombrit un peu plus l’objectif du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), déjà menacé, de rester sous les 1,5 °C d’augmentation de température d’ici la fin du siècle. Pour y parvenir, il faudrait réduire nos émissions de CO2 globales de 50 % d’ici 2030. Aujourd’hui, la communauté d’experts table sur une augmentation des températures, jugée inévitable, de 3 à 4 °C.

À raison : en 2018, les analyses atmosphériques menées par le satellite Copernicus montraient que les émissions de gaz à effets de serre avaient encore globalement augmenté, de 2,5 parties par million, tandis que les mesures au sol faisaient état d’une augmentation de 2,7 %. Soit plus rapidement qu’en 2017, où l’augmentation n’était “que” de 1,6 %.

Dans ce tableau enfumé, la Chine pèse toujours le quart des émissions mondiales, en grande partie causées par sa dépendance au charbon. Les États-Unis ont de leur côté recommencé à polluer après trois ans de réduction de gaz nocifs. La France a accompagné le mouvement, signant une hausse de 3,2 % en 2017 par rapport à l’année précédente.

Tout ça alors que plusieurs climatologues alertaient l’année dernière sur la proximité d’un “point de rupture climatique”, estimé à quelques décennies, passé lequel plus aucune action humaine ne pourrait enrayer l’accélération de la destruction de l’écosystème. On ne va pas se le cacher, peu importe la manière dont on regarde les données, ça sent plutôt le sapin pour les objectifs du Giec, le niveau des océans, les calottes polaires et les climats tempérés.